20 mars 2013

Temps de lecture : 6 min

Le VRM : CRM social ?

Internet et les technologies de l’information n’ont pas fini de révolutionner nos sociétés. Dans le commerce, la désintermédiation et la ré-intermédiation ont été les premiers volets d’une révolution dans les modes de commercialisation des produits et des services...

Preuve à l’appui, les soucis de Surcouf puis de Virgin Mégastore montrent par exemple les effets d’Internet dans l’industrie des produits culturels. La prochaine étape pourrait être plus radicale. En effet, comme le rappelle fort justement les auteurs du rapport Collin et Colin, le numérique « dévore » désormais tous les secteurs d’activités de l’économie. Mais surtout, en fournissant de nouveaux outils aux consommateurs, internet leur donne de nouveaux pouvoirs. Ainsi par exemple, la démocratisation des smartphones fait peur à de nombreuses enseignes dont les clients pratiquent de plus en plus le showrooming. Les comparateurs de prix et les avis de consommateurs sont désormais dans nos poches. Informés et en réseau, les clients peuvent désormais challenger les marques, les comparer et les mettre en concurrence. Et ce n’est qu’un début !

Un consommateur vraiment puissant

C’est la thèse partagée par ceux qui prévoient l’arrivée massive de nouveaux services online qui renforceront encore le pouvoir des consommateurs. C’est l’objectif notamment des plateformes de VRM. L’idée centrale du VRM (Vendor Relationship Management) est de fournir aux consommateurs des outils pour gérer et piloter leurs relations avec les marques. Ces dispositifs les aideront par exemple à mieux choisir leurs fournisseurs de services (télécom, banques, tourisme…), à mieux acheter en pouvant lancer leurs propres appels d’offres ou encore à mieux contrôler les informations qu’ils partagent avec eux. Le VRM est comme un CRM inversé : il permet au consommateur de gérer sa relation avec l’ensemble des marques qui l’intéressent tout comme la marque utilise le CRM pour mieux gérer sa relation avec ses clients.

De l’attention à l’intention

Dans son livre « The Intention Economy », Doc Searls, connu pour être l’un des 4 auteurs du « Cluetrain Manifesto », nous expose sa vision « client centric » de l’avenir du commerce. Selon lui, nous allons passer d’une « économie de l’attention » à une « économie de l’intention ». Dans la première, les marques cherchent à capter l’attention des consommateurs pour les séduire et vendre leurs produits. Dans la seconde, ce sont les consommateurs qui vont expliciter leurs intentions d’achat et exploiter des outils pour optimiser leurs relations aux marques. Dans la première, les marques collectent et cumulent des données sur leurs clients pour mieux les cibler et renforcer la performance publicitaire. Dans la seconde, ce sont les clients qui gèrent les données les concernant et les items (passions, hobbies, centres d’intérêts, etc.) sur lesquels ils veulent bien être interpellés par les marques. Grâce à de nouveaux intermédiaires, véritables tiers de confiance, les consommateurs posséderont leur propre centre de données personnelles qu’ils partageront ou pas et de manière sélective avec les entreprises. Ils pourront donc faire le tri entre les marques qu’ils aiment et les autres dont ils pourront mieux se protéger.

Selon Doc Searls, pour parvenir à cet objectif, les consommateurs doivent tout d’abord se réapproprier leurs données personnelles. La digitalisation de la relation entre les marques et les consommateurs permet aux entreprises et aux intermédiaires (Google, Facebook, les Ad Server…) de collecter de nombreuses informations sur les profils et le comportement des consommateurs. Ces données sont ensuite plus ou moins bien exploitées par les marketers pour cibler et personnaliser les messages que les consommateurs reçoivent de la part des marques. L’un des objectifs que poursuivent les tenants du VRM est de fournir aux consommateurs des solutions pour se réapproprier ces données, être en mesure de les gérer et de les exploiter. Cela passe par la mise en place d’applications digitales qui facilitent ces pratiques (ex. la version beta de Privowny) mais aussi éventuellement par de nouvelles règles que peuvent imposer les gouvernements à l’instar du projet MIDATA au Royaume-Unis

Le MIDATA équilibre les rapports de force entres les marques et les consommateurs

Lancé officiellement durant l’été 2012, MIDATA vise la mise en place de plateformes qui permettront de normaliser et d’échanger les données collectées par les grandes marques, les enseignes et les différents opérateurs (banques, télécom…) britanniques. Le gouvernement de Cameron veut « inciter » les entreprises à partager de manière plus ouverte les données personnelles qu’elles possèdent sur leurs clients. Cela permettra à ces clients de ré-exploiter ces données et de les valoriser auprès d’autres marques. Concrètement, imaginez que votre banque ou que votre opérateur télécom vous permette d’accéder et de télécharger vos données de consommation. Cela vous permettra d’aller voir d’autres banques ou d’autres opérateurs pour qu’ils puissent vous faire une offre personnalisée au meilleur prix correspondant à votre profil de consommation.

Comme l’indique Norman Lamb du Ministère en charge de MIDATA : « La technologie a permis aux professionnels de mieux comprendre leurs cibles à un niveau encore jamais atteint. Mais à l’inverse le consommateur est désavantagé car il n’a pas les mêmes moyens et connaissances pour prendre ses propres decisions ». Ce fameux MIDATA permet de rééquilibrer les forces. L’idée est donc d’apportes des pouvoirs équivalents entre les marques et les consommateurs. La décision du Gouvernement Britannique est à la pointe des tendances sociétales et technologiques. Elle devance une demande encore peu explicite mais dont l’émergence ne saurait tarder. Tout comme la logique de l’Open Data dans le domaine public, l’objectif est d’obliger les acteurs privés à partager les données qu’ils possèdent pour que des tiers (éditeurs informatiques, développeurs indépendants, start-up …) puissent imaginer et développer des applications au service des consommateurs.

On le voit, Internet a provoqué une vague de fond qui donne des moyens inédits aux consommateurs. Nous n’en sommes qu’aux prémisses. Cela ne veut pas dire que les marques vont perdre toutes possibilités de séduction et d’activation des consommateurs. Au contraire, les données qu’elles ou que les nouveaux intermédiaires récoltent vont permettre d’aller de plus en plus loin dans le ciblage et la personnalisation en temps réel des campagnes et donc renforcer leur efficacité. Néanmoins, pour réussir à résister à cette vague de fond, les marques devront évoluer et mettre en place des organisations et des outils spécifiques. Voici quelques pistes, réflexions et interrogations suscitées par ce véritable tsunami digital de nouveaux pouvoirs consuméristes :

La digitalisation de l’entreprise sera fondamentale. Pour autant, il ne faut pas rater l’essentiel : au-delà de la digitalisation, il s’agit surtout d’intégrer en quoi internet transforme le comportement des consommateurs et du coup le rapport de force entre les consommateurs et les marques. Au niveau du marketing, ce qui est capital, c’est d’appréhender la nouvelle place et la nouvelle puissance du client. Cela nécessitera d’organiser REELLEMENT l’entreprise autour de la connaissance, de la relation et du service client.

Les marques devront mettre en place les dispositifs CRM qui leur permettront d’exploiter les données clients et du coup de « dialoguer » avec les plateformes VRM. L’interfaçage entre les plateformes VRM et le CRM deviendra bientôt l’un des principaux enjeux IT du marketing.

On peut se poser la question de l’intérêt réel des consommateurs pour les plateformes VRM. Réussiront-elles à attirer les consommateurs ? Ne seront-elles pas trop complexes ? Ces questions sont légitimes. Pour autant, nous pouvons compter sur l’ingéniosité de la communauté des développeurs et des start-up pour concevoir et développer des plateformes conviviales, ludiques et générant suffisamment de valeur ajoutée pour séduire les consommateurs. Le VRM n’est qu’un exemple applicatif d’un mouvement de fond qu’il ne faut pas sous-estimer.

L’exploitation marketing des données personnelles est de plus en plus mal vécue par un nombre croissant de citoyens. Les législations se multiplient pour protéger les consommateurs et leur vie privée. Le VRM constitue de fait une réponse innovante et adéquate aux craintes légitimes des consommateurs. En leur permettant de se réapproprier leurs données personnelles, les projets VRM vont rétablir la confiance dans la relation marques/consommateurs.

La question de la valeur économique des données personnelles est également posée. Une récente étude du BCG montre l’importante progression de l’économie des données. La « vie personnelle » d’un européen vaudrait aujourd’hui 600 euro. A qui appartiennent les données personnelles ? Comment gérer et protéger ce capital immatériel ? Là encore, la possibilité pour les individus de gérer leur propre banque de données personnelles via des plateformes dédiées semble être une réponse appropriée à cette problématique. Le VRM clarifie et rend plus transparent des flux de données et donc de valeur qui resteraient invisibles et opaques aux yeux des consommateurs créant là encore de la défiance…

Le VRM n’est pas une solution miracle mais il répond à un nombre important de problèmes soulevés par la digitalisation de l’économie. C’est peut-être une nouvelle utopie technologique mais qui met en lumière un mouvement de fond qui n’a pas fini de bouleverser la société marchande. Très concrètement, c’est le projet d’un ensemble de solutions applicatives qui permettront de rééquilibrer la relation entre les marques et leurs clients. Portée par une communauté de chercheurs, de développeurs et de start-up, c’est une idée ambitieuse qui prend forme et se concrétise chaque jour davantage. Nous voilà prévenus !

Yan Claeyssen, Vice-président d’ETO et vice-président de la délégation Customer Marketing de l’AACC 

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