5 mars 2014

Temps de lecture : 4 min

Si vous devenez féministe grâce à Pantène, c’est que vous n’avez rien compris.

En mars 2007, une campagne de communication Dolce&Gabbana taxée de mise en scène déguisée d’un viol provoquait la colère des associations féministes. A de multiples reprises, la communication a tenté de récupérer à bon compte la rhétorique féministe, parfois à bon escient, parfois maladroitement. Toutefois, les critiques ne surgissent plus exclusivement d’où on pouvait les attendre. Le digital aurait-il désenclavé le bastion féministe jusqu’à faire d’un sujet autrefois clivant et confidentiel, le combat de toute une génération connectée ?

Pionnière du genre, Dove s’en sert depuis des années comme d’un argument commercial; de son côté, Goldie Box propose de faire des petites filles les premières ambassadrices d’une « féminité moins genrée »; Getty Image prend le contrepied des attaques dont sa plateforme a fait l’objet, en entamant un processus de modernisation de la représentation féminine dans sa banque d’images. Les posts taggués #feminism pullulent sur Tumblr, Pinterest ou We Heart It. Bref : pas un jour ne se passe sans qu’on dénonce une démarche sexiste, ou qu’on salue une initiative féministe. Conscientes qu’une part des publics ne souhaite pas porter le « F-word » en étendard, les marques sont désormais partie-prenantes dans le rebranding du féminisme pour en faire un levier marketing dont leurs cibles pourraient plus facilement s’emparer. Est-ce toutefois leur rôle ? La récupération du discours féministe par les marques est-elle toujours opportune ?

Bienvenue dans l’ère du post-féminisme

Récemment, le site Mumsnet, fer de lance des e-mamans US a publié un sondage révélant que 59% des personnes interrogées s’estimaient féministes. Des débats à l’Assemblée Nationale au manifeste de Beyoncé, d’une campagne de pub jugée borderline, au clip de Robin Thicke… le féminisme n’est plus le sujet tabou autrefois réservé aux Chiennes de garde : il existe désormais en dehors des cadres associatifs et militants. Un Tumblr est dorénavant plus efficace, en témoigne le succès de Paye ta Shnek ou encore de Everyday Sexism. Si la dénonciation de certains comportements sexistes est toujours de mise, l’humour apparait comme une arme indispensable pour mobiliser et sensibiliser, là où le féminisme radical et de premier degré cristallise des antagonismes de plus en plus forts (c’est notamment le cas des Femen).

Des initiatives pour sortir le féminisme de ses cadres historiques se multiplient, que ce soit en ligne (Feminist Ryan Gosling) ou encore IRL avec des événements coups de poing organisés simultanément dans plusieurs endroits dans le monde (One Billion Rising). Si le fond de discours du women empowerment n’a pas fondamentalement évolué, le féminisme a bien subi un lifting. Au-delà de la question de fond, on constate également différents degrés d’implication : au croisement du marketing philanthropique et du « slacktivisme » (contraction de « slack » : paresseux et activism, terme qui consacre la « mobilisation de canapé » dont le levier principal réside dans le clic Facebook ou le partage de pétition en ligne), le féminisme actuel revêt maintenant une nature protéiforme. Demandez aux publics féminins quels sont les luttes qui les transcendent, vous obtiendrez autant de réponses qu’il y a de participantes au sondage : il existe donc plusieurs degrés d’implication, dépendant de la nature des combats et perceptions personnels de chacune. Du côté du marketing, les acteurs saisissent l’émergence d’une tendance à la multiplication des combats féministes : des opportunités de prise de parole surgissent, des repositionnements stratégiques s’opèrent.

Le féminisme se cache dans le détail

Toutefois, si le digital semble faciliter l’appropriation du féminisme au même titre qu’il permet à chacun d’entre nous de se mobiliser facilement pour les causes de son choix, il a pour corollaire une véritable intransigeance des publics à l’égard des marques : la publicité Pantène diffusée aux Philippines a ainsi fait l’objet de vives critiques qui ont, pour la première fois, dépassé les frontières des sphères militantes. Présente dans les médias de masse, plus attentifs à cet enjeu aujourd’hui qu’hier (Elle, Huffington Post,Slate…), la polémique a rapidement accompagné la moindre publication sur le sujet, fragilisant de fait son impact. En cause ? Le slogan qui clôt la publicité « Be strong and shine ! » : sous couvert de féminisme, Pantène défendrait l’idée que pour être pleinement reconnues, les femmes doivent avoir les cheveux brillants, en dépit de toutes leurs qualités personnelles et professionnelles… Difficile de s’attirer ainsi la sympathie des communautés féministes.

De la même manière que certaines marques opportunistes ont choisi le développement durable comme axe de communication, faisant par la suite l’objet d’accusation de greenwashing, certaines ont maladroitement repris à leur compte le combat féministe. Toutefois, ce dernier salue chaleureusement celles qui ont fait du féminisme leur profession de foi, lorsqu’elles sont en accord avec leurs engagements. Qu’il s’agisse de L’Oréal et du programme « For Women In Science » ou de Gucci avec « Chime for change », elles sont parvenues à faire valoir avec brio la filiation intellectuelle avec le féminisme. Là où le marketing de Pantène s’inscrit dans l’injonction et la posture morale, le branding de valeur suppose discrétion, humilité et consécration du caractère militant par la mise en place d’actions concrètes.

Lancée par Gucci l’an dernier, l’initiative « Chime for change » est un exemple de réussite. Ce programme en plusieurs volets, et érigé comme modèle par plusieurs médias, est parrainé par des stars sous la houlette de Gucci. La marque, dont les campagnes porno chic avaient exaspéré certaines franges radicales du féminisme, donne aujourd’hui le change. Et annoncée lors d’un Ted Talk -perçu comme un gage de crédibilité- cette opération, donne à Gucci l’occasion de démontrer sa véritable ambition pour militer en faveur des femmes dans le monde. Si l’on peut regretter une initiative fractionnée et éparpillée dans de nombreux combats, on notera que celle-ci est portée personnellement par Salma Hayek Pinault, Beyoncé (encore elle), Frida Giannini (creative director @Gucci), mais aussi Meryl Streep ou Jada Pinkett. Le programme s’accompagne de mesures concrètes, puisque fort de ses 4 millions de budget, il permettra de financer 200 projets dans 70 pays. De quoi offrir des preuves solides d’engagement.

La problématique féministe s’inscrit au cœur des nouvelles relations entre les marques et les citoyens internautes… Et les causes nobles sont un territoire que les marques peinent souvent à investir de manière totalement transparente ou honnête. Ainsi, la vigilance accrue des publics laisse de moins en moins de marge à l’erreur, transformant peu à peu certains axes opportunistes en valeurs incontournables, créant ainsi de nouveaux référentiels auxquels les marques seront contraintes de se conformer. Face à l’émergence d’une figure féminine en ligne à la fois puissante et protéiforme, annonceurs et agences ne peuvent se contenter de traiter les femmes comme une communauté monolithique intéressée par les mêmes causes et mobilisable avec les mêmes leviers.

Maria Sankalé et Claire Duriez – Digital Strategists – Human to Human

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