Stocker de l’électricité, c’est comme stocker nos déchets nucléaires dans les sous-sols : c’est souhaitable, mais ce n’est pas une mince affaire. La meilleure solution, ce sont les barrages hydroélectriques, une invention du début du XIXe siècle qui utilise la force de gravitation des chutes d’eau pour produire du courant à la demande. Installée principalement sur des fleuves et des rivières, cette lâchée mécanique marche si bien que 99% du stockage électrique mondial repose dessus. Seul problème : cette méthode est stationnaire et éloignée des villes, donc de la demande. L’autre forme de conservation bien connue, c’est les batteries qu’on retrouve dans nos smartphones, ordinateurs et véhicules électriques. Un stockage embarqué qui a l’avantage d’être domestique et souple, mais qui ne peut emmagasiner que de tout petits volumes d’énergie. Pour pallier les inconvénients de chacune de ces deux méthodes, les ingénieurs travaillent désormais sur une sorte de troisième voie, le
Vehicle-to-grid (V2G).
Mettre à profit les 95% de temps inutilisés d’une voiture
L’idée est partie d’un double constat. D’abord, l’électricité va prendre de plus en plus de place dans le mix énergétique, que ce soit pour se chauffer, se déplacer ou se nourrir. Ensuite, que le parc de véhicules électriques ne va cesser de se développer pour limiter la dérive climatique. Or, une voiture est inutilisée 95 % du temps en moyenne, et ses trajets quotidiens consomment moins de 80 % de ses capacités de charge. Les quatre-roues représentent donc un gisement d’énergie inemployé qui peut alimenter domiciles et bureaux alentour. À plus forte raison que de plus en plus de villes sont équipées de panneaux photovoltaïques installés sur les toits des parkings. Ces derniers ont besoin d’un stockage local, de préférence sans infrastructure supplémentaire souvent coûteuse.
La Hollande en premier de cordée
À Utrecht, la quatrième plus grande ville des Pays-Bas réputée pour sa vie étudiante, plus de 2 000 panneaux solaires sont déjà installés. En dessous, 250 chargeurs dits « bidirectionnels », c’est-à-dire capables de charger ou décharger la batterie selon les besoins du réseau. Avec un tel équipement, Utrecht ne cache pas son ambition de devenir la première ville à réseau électrique nomade. Pour y parvenir, elle prévoit d’installer dans les mois à venir des milliers de chargeurs dans son centre-ville et sa banlieue. Mais la mairie se confronte au manque de maturité du secteur. Pour le moment, les voitures électriques sur le marché ne sont pas capables de renvoyer de l’électricité dans le réseau. En attendant que les constructeurs s’y attellent, la ville va déployer 150 voitures d’auto-partage bidirectionnelles. Mais aux Pays-Bas, ces investissements ne sont que secondaires face à l’argent mis dans les transports en commun, la piétonnisation et la cyclisation des villes. La voiture ne disparaîtra pas totalement, mais sera vite reléguée à la mobilité annexe et au stockage électrique.
Fiat et Renault sur le coup
Le groupe
Fiat et
Engie ont annoncé début 2021 un partenariat qui prendra place à Turin. Un demi-millier de Fiat 500 bidirectionnelles va être utilisé exclusivement comme batteries stationnaires dans un programme pilote, avant d’être vendues à la fin de la décennie en seconde main à des clients. Le groupe
Renault a lancé quant à lui son expérimentation bidirectionnelle loin de l’hexagone, sur l’île Porto Santo au large de l’océan Atlantique. Un choix qui s’explique par la volonté de l’île portugaise de s’extraire des énergies fossiles pour développer l’éolien et le solaire. Autre raison, une île de petite taille permet de préserver la charge des batteries et de rendre plus acceptable le prélèvement électrique. Si l’expérimentation est un succès, le groupe pourrait renouveler l’expérience à Belle-Île-en-Mer puis à la Réunion. Un essor prometteur, mais qui ne doit pas masquer les velléités extractivistes et inégalitaires de cette technologie. Une mobilité 100% électrique n’est pour le moment pas accessible aux plus pauvres, et exige des ressources qui sont considérablement coûteuses sur le plan environnemental et social. Une stratégie d’électrification automobile ne peut être menée que sous une politique de sobriété énergétique et de développement des mobilités douces.