INfluencia : Vous venez de publier en partenariat avec BCG la deuxième édition de votre étude intitulée « Freelancing in Europe ». Ce marché a-t-il beaucoup évolué par rapport à l’année précédente ?
Vincent Huguet : La première chose qui saute aux yeux est l’explosion du nombre de nouvelles inscriptions sur notre plateforme. Elles ont bondi de 40% entre 2020 et 2021 et si on prend en compte uniquement le quatrième trimestre de l’an dernier par rapport à la même période de l’exercice précédent, on enregistre une hausse de 103%. Ce rythme semble se poursuivre en 2022. L’autre principal enseignement de notre étude est que chaque fois plus de catégories de métiers « qualifiés » se tournent vers le freelancing. Si dans les métiers du digital comme la Tech & Data, le Graphisme & Conception ou le Marketing & Communication, le nombre d’inscriptions sur Malt a progressé de 27% en 2021, cette hausse a atteint 63% sur les profils plus traditionnels comme la Finance, les RH, le Juridique ou les Achats. Les freelances sont de plus en plus en plus nombreux dans des fonctions qui étaient jusqu’alors occupées par des employés en CDI.
IN : Le profil type du freelancer a-t-il, lui aussi, beaucoup évolué en un an ?
V.H. : Pas réellement. Leur âge moyen varie de 37 ans en France à 43 ans en Allemagne. Dans notre pays, 90% des indépendants ont au moins un bachelor et 91% ont une expérience passée en tant que salariés. Avant de sauter le pas, les freelances ont accumulé 9 à 10 années d’expérience en tant qu’employés à temps plein. En France, pour 91% ce statut est un choix. Ce chiffre est légèrement inférieur en Espagne (89%) et nettement supérieur en république fédérale (96%).
IN : Pour quelles sociétés travaillent-ils ?
V.H. : Nous leur avons posé pour la première fois cette question et nous avons été surpris des résultats obtenus. En Espagne, à peine 5% des indépendants ont effectué des missions dans des grandes entreprises. En France, cette proportion est de 14% et elle atteint 20% en Allemagne.
IN : Comment expliquez-vous ce vaste fossé ?
V.H. : Ces différences sont liées à des raisons culturelles et historiques. L’Allemagne est beaucoup plus mature que nous sur ce marché. Les freelances existent depuis bien plus longtemps, la croissance de ce secteur est plus ancienne et le faible taux de chômage dans le pays attise une guerre des talents qui oblige les entreprises à chercher partout où elles le peuvent les profils très spécialisés dont elles ont besoin.
IN : Pourquoi un freelance choisit une entreprise plutôt qu’une autre lorsqu’il reçoit plusieurs propositions ?
V.H. : Pas pour l’argent… Notre étude montre que l’intérêt de la mission compte, pour les freelances, deux fois plus que le niveau de rémunération dans leur décision de s’engager. Plus d’un indépendant sur deux serait également prêt à refuser une mission pour une entreprise qui n’est pas alignée avec ses convictions. Cette tendance ne touche pas uniquement les plus jeunes mais tous les profils que nous avons interrogés.
IN : Comment les sociétés peuvent-elles attirer les meilleurs freelances ?
V.H. : Elles doivent désormais réfléchir non plus seulement à leur marque employeur collaborateur mais aussi à leur « marque freelance ». Sur Malt, les entreprises sont notées par les freelances et elles sont de plus en plus nombreuses à comprendre que cette note est un facteur d’attractivité auprès des indépendants. On voit de plus en plus de responsables des ressources humaines faire des appels d’offres dédiés aux freelances. Pour recruter ce type de profil, une société doit faire preuve d’humilité, ne pas affirmer qu’elle est la meilleure et publier des offres assez personnelles qui détaillent la mission souhaitée et le profil recherché. Souvent, une demande doit uniquement être modifiée dans sa forme pour être plus attractive. Nous conseillons d’ailleurs nos plus gros clients afin qu’ils formulent au mieux leurs briefs car les entreprises sont toutes en concurrence les unes avec les autres pour séduire les meilleurs profils.
IN : Le marché du freelancing est-il encore appelé à progresser dans les années à venir ?
V.H. : Sans aucun doute. On sent qu’il se passe quelque chose en ce moment sur la balance de l’offre et de la demande. Nous avons d’un côté de plus en plus de freelances avec des profils sans cesse plus variés et d’un autre côté, la guerre des talents et la baisse du chômage ont fait réaliser aux entreprises qu’elles devaient se rapprocher des freelances si elles ne voulaient pas se couper de ce pool de personnes très qualifiés et compétentes. Le marché du freelancing croit rapidement et cette hausse n’est pas prête de s’arrêter.