Le marché de la foodtech mondial pourrait atteindre les 250 milliards de dollars en 2022 et de nombreux acteurs se positionnent sur ce secteur pour redynamiser les centres-villes en ouvrant notamment des fermes urbaines. Kimbal Musk, le frère de Elon Musk a ainsi lancé Square Roots au cœur de Brooklyn.
Des plantes cultivées dans des tours à la lumière de lampes : bienvenue dans le monde intéressant des fermes verticales, ces cultures empilées sur plusieurs étages et développées dans des environnements contrôlés. Comme par exemple une ancienne usine aménagée de 6500 m² en périphérie de New York, dans laquelle la start-up AeroFarms, soutenue notamment par Goldman Sachs, développe l’agriculture urbaine de demain, plus économe en eau et en sol. Mais pas en énergie.
Cité utopique capable de subvenir à ses propres besoins alimentaires, la ville nourricière intrigue, dérange, ravit, questionne. Est-elle l’avenir ? Ses pourfendeurs sont angoissés par le prosélytisme arrogant d’une urbanité qui a fini par convaincre notre société de prendre le problème de la production agricole à l’envers. Ses partisans, dont certains ont applaudi avec enthousiasme la présentation du patron d’AeroFarms lors du récent Hello Tomorrow Global Summit, estiment au contraire que le mariage entre la data science et l’horticulture répond aux défis alimentaires d’un monde futur déruralisé.
Pas seulement des fermes verticales
Roubaix s’est d’abord engagée vers le zéro déchet avant de lancer le mois dernier son projet « Ville nourricière ». L’objectif ? Nourrir 10% de la population avec des fruits et légumes produits localement, soit 730 tonnes par an sur 23 hectares de terrain. Pour la troisième commune la plus peuplée des Hauts de France, qui possède déjà 350 potagers familiaux en activité (et plus de 200 personnes sur liste d’attente pour l’obtention d’une parcelle), l’enjeu est énorme. C’est une première étape vers l’autosuffisance, l’objectif fondateur de la ville nourricière. Dans sa volonté « locavoriste » de remplacer les champs ruraux, ses potagers urbains et ses gratte-ciel transformés en fermes ne serviront à rien sans un changement profond de nos modes de consommation alimentaire.
Le projet T4P pourrait inspirer agences et annonceurs
Pourquoi par exemple ne pas utiliser les Rooftop Farms comme nouveaux supports de communication : si les toits ouverts d’immeubles servent aux marques pour l’évènementiel, ils peuvent bien être utiles pour sensibiliser au manger moins. Surtout que derrière le paradoxe entre la finalité de l’espace et le message se cache une vraie réflexion sur la fin justifiant ou non les moyens. Après tout, au royaume des hipsters qu’est Brooklyn, la société de production Broadway Stages possède bien la Eagle Street Rooftop Farm, qui en plus de produire des laitues et des tomates peut, avec sa vue majestueuse, servir de lieu de tournage pour pub et films. Dans le voisinage, le supermarché » Third and 3rd » de WholeFoods a installé une serre hydroponique sur le toit de son bâtiment, comme l’avait décrypté INfluencia. Paris s’est inspirée de Gotham pour le projet pilote T4P lancé par l’école AgroParisTech en collaboration avec l’association Potager sur les Toits, et pilotée par la chercheuse Christine Aubry. L’initiative veut faire réfléchir à une nouvelle agriculture » en constituant et en testant des substrats de culture utilisables sur les toits, à partir de matériaux organiques locaux, issus du recyclage de déchets urbains « . Le projet ne prétend pas rendre les villes autonomes en nourriture mais permettrait de produire des produits de qualité à hautes valeurs gustatives. Qu’est-ce qui empêcherait une agence ou un annonceur d’installer un potager sur le toit de son immeuble en transformant en compost les déchets alimentaires de sa cantine ou des déjeuners de ses salariés ?
» Ce retour à la nature apparaît comme une forte envie sociétale. L’agriculture devient pour les citoyens du monde un moyen de défendre leurs espaces, leurs cadres de vie mais aussi leurs valeurs. La limite entre zone rurale et citadine devenant de plus en plus floue, cet engouement se propage sur l’ensemble des territoires. La campagne en ville est devenue un besoin, non seulement pour mettre la main à la pâte et ne plus se sentir comme de simples consommateurs mais aussi pour lutter contre l’individualisme, ce fléau des villes. La gestion collective crée du lien, du partage et apporte de la cohésion entre les habitants « , expliquait il y a déjà trois ans Citazine. Le constat n’a pas pris une ride, n’est-ce pas « Les incroyables comestibles » ? Cette communauté sème dans plus de 250 communes de France et transforme les trottoirs en potager gratuit. Si vous y voyez une pancarte » Nourriture à partager « , n’hésitez pas à vous servir.
A-t-on vraiment envie de déguster une salade sortie d’un conteneur austère ?
» En Île-de-France, à peine 10% des fruits et légumes consommés proviennent du territoire francilien. Ce chiffre descend à moins de 1,5 % en ce qui concerne la viande et le lait. Avec le regain de l’agriculture locale, quelles sont les solutions sur le territoire pour nourrir une population de 7 millions d’habitants ? La construction du Grand Paris aura-t-elle un impact sur le futur modèle alimentaire métropolitain ? « , s’interroge très justement le projet d’agriculture participative Toits Vivants, qui rêve d’une ville comestible. La ville nourricière est-elle véritablement durable ? Quid de la santé des habitants ? Pour quel impact sur l’étalement urbain ? Et sur les modes de consommations ?
Pour Demain La Ville, la ville nourricière n’est qu’une demi-solution: » Dans nos villes déjà engorgées par le bâti, il n’existe que deux solutions pour greffer des espaces agricoles en nombre suffisant : construire plus haut, ou construire plus diffus. La première solution implique une ville faite de gratte-ciel, certes recouverts de verdure. La seconde implique un étalement urbain, donc des terres arables recouvertes par le bitume. Si le prix à payer du “ local food ” est de détruire le peu de terres agricoles qui subsistent autour des métropoles, est-ce vraiment un modèle durable ? De plus, en ces temps de crise alimentaire, où le consommateur souhaite savoir ce qu’il a dans son assiette, l’exigence du “ manger local ” n’a-t-elle pas des limites endogènes ? A-t-on vraiment envie de déguster une salade sortie tout droit d’un conteneur austère ? «
Le virus locavore a depuis contaminé une nuée de jeunes loups
Les doutes sont justifiés mais clairement un phénomène est enclenché. Depuis trois ans, Paris voit se multiplier les denrées fabriquées intramuros -comme des champignons, du jambon, du miel, des fraises et même de la burrata. La Ville lumière s’invente même carrément un terroir. L’idée a d’abord émergé en 2008 sous l’impulsion de Yannick Alléno, alors chef au Meurice, qui a lancé ses bistrots Terroir Parisien dans les quartiers de la Bourse et de la Mutualité. Le chef étoilé voulait réhabiliter l’asperge d’Argenteuil, le chou de Pontoise ou la pêche de Montreuil, rappelait Libération l’été dernier.
» Par-delà les artifices du marketing, le virus locavore a depuis contaminé une nuée de jeunes loups, bien décidés à exploiter tout le potentiel de leur ville. Les Vignerons parisiens, Ottanta, le Miel de Paris et Aéromate sont quatre projets récents. Tous ont en commun d’avoir importé un savoir-faire en plein cœur de la capitale, offrant un produit local, artisanal, avec une identité propre « , expliquait alors Le Quotidien. Pour la communication extérieure, qui dit nouveaux territoires de production, même alimentaires, dit nouveaux leviers. Demain les marques auront droit de cité dans cette ville qui se repense mais notre société peut-elle concentrer 80% de sa population dans des mégalopoles, aussi intelligentes soient-elles ? Ce défi est celui de tous les acteurs urbains.