Beaucoup de villes ont fait du numérique une priorité, un élément de différenciation ou un axe de développement. Parfois même une raison d’être, comme Songdo en Corée du Sud, construite ex-nihilo pour devenir la ville hyper-connectée de demain. Avec l’appui de grands groupes spécialistes des réseaux ou des infrastructures collectives (IBM, Microsoft, Cisco Systems, Siemens, Thales…), ces smart cities s’appuient sur la technologie pour mieux gérer la vie en ville. Elles en font aussi un atout pour devenir plus attractives vis-à-vis des habitants, des investisseurs et des entreprises, qui à leur tour alimentent le système en générant des données de consommation et d’usage des services.
La data : le nouveau bâtisseur de cathédrales ?
Sans un traitement poussé de la data et sans le développement des objets connectés collectifs ou individuels, bon nombre de réalisations qui réinventent la ville n’auraient pas pu voir le jour. La maitrise et l’utilisation de la donnée sont devenues prépondérantes dans la construction d’un écosystème urbain. Que cela soit pour la culture, la voirie, la consommation énergétique, les services sociaux et même les annonceurs, la data permet d’acquérir une connaissance des infrastructures et du citoyen comme jamais auparavant.
Mais au-delà d’une plus grande fluidité des transports, de la mise en place des réseaux Wi-Fi ou de fibre optique, de plates-formes d’open data ou autres projets d’économie d’énergie, quelle place ces villes désormais bardées de capteurs réservent-elles à l’interactivité avec les citadins ? « Le digital et l’urbanisme ne traitent au fond que d’une seule chose : ce qui nous rassemble et nous identifie. Si le numérique ne s’interroge pas sur la place de l’humain, il ne sera qu’une commodité ou, pire, du bruit », affirme Jean-Louis Fréchin, architecte designer, directeur de l’agence Nodesign. Pour lui, la ville intelligente doit donc être avant tout une ville qui met les gens en réseau et engendre de nouvelles conversations : « Il y a un véritable enjeu social à inventer des services très légers qui créent des relations nouvelles entre les bâtisseurs et la ville elle-même. La ville européenne a été bâtie sur l’espace public. Son défi le plus important consistera à inventer les plates-formes de partage d’information qui deviendront ses espaces publics numériques ».
Ma-residence.fr est un des nombreux réseaux sociaux qui, loin de multiplier les amis virtuels, créent du lien dans la vie réelle de la cité grâce aux relations de proximité. « Le numérique redonne un socle au lien social et élargit le cercle du strict voisinage. Nous nous appuyons sur ce lien pour mettre en relation des offres et des demandes de proximité, mais aussi pour donner en temps réel aux habitants une information locale proactive qu’ils ne vont généralement pas chercher. Des grands acteurs comme La Poste, Orange ou Suez sont d’ailleurs intéressés par cette possibilité d’informer les habitants et d’utiliser les liens de voisinage pour développer certaines de leurs activités », explique son président Charles Berdugo.
Si Internet, le mobile et les réseaux sociaux favorisent l’expression de besoins de plus en plus diversifiés de la part de citadins hyper-connectés, ils permettent aussi aux institutions, laboratoires et autres startups de détecter les usages émergeants. « Le numérique ne révolutionne pas la ville en tant que telle. Il ouvre le champ des possibles sur des phénomènes qui étaient jusqu’alors trop complexes, trop difficiles à analyser, ou qui correspondaient à des besoins trop limités pour être compatibles avec le mode d’organisation des grands groupes », note Philippe Gargov, président fondateur de [pop-up] urbain, conseil en prospective.
Dans certains secteurs, de nouveaux acteurs bousculent les organisations structurées depuis des décennies par les aménageurs traditionnels de l’espace urbain. Le transport a déjà été très désintermédié. En mettant en relation l’offre et la demande sur leur site, des startups comme Blablacar, Uber, Drivy ou Ouicar ont répondu avec différents niveaux de services aux demandes d’auto-partage ou de locations de voitures entre particuliers, au point de compter désormais parmi les principaux concurrents de la SNCF ou de susciter régulièrement l’ire des compagnies de taxis. De grands groupes comme JCDecaux et Bolloré ont pu développer leurs propres réseaux de vélos et de voitures en libre-service, Vélib’ et Autolib’. Même si la forme est différente, ils ont eux aussi répondu à cette demande de transports alternatifs émanant de consommateurs qui veulent privilégier l’usage à la propriété.
De nouveaux acteurs
À l’avenir, la ville interactive comportera sans doute moins d’intermédiaires sur les besoins classiques (énergie, télécommunications, transport ou retail), tandis que de nouveaux acteurs se chargeront de construire des interfaces dédiées aux sujets émergents : « Les grands groupes doivent rester très attentifs à la manière dont leurs usagers ou leurs clients peuvent interagir avec eux. Comme ils ne parviendront pas à créer seuls l’ensemble de la valeur, ils devront réfléchir de plus en plus en termes d’interfaces de programmation (API) pour permettre à d’autres acteurs de venir se greffer sur leurs offres sur un mode Plug & Play », détaille Paul Bois, associé et directeur de projet à l’agence Fabernovel.
Pour mettre en place ces nouvelles interactions, les collectivités et institutions publiques doivent aussi apprendre à assumer un côté expérimental et une part de risque, à déléguer et à travailler par itération pour s’adapter au flux constant des évolutions, comme c’est par exemple le cas pour la construction du Grand Lyon. Pas toujours facile quand le temps de la technologie n’est pas celui des habitants et encore moins celui de la décision politique…
Retrouvez la suite de cet article dans la revue digitale n°10 : La Ville, Bienvenue à bord
Christine Monfort
Illustrations : Elodie Lascar