Alors que nos régimes et habitudes alimentaires se règlent de plus en plus sur l’urgence climatique, les végétariens, vegans, pescatariens et plus encore flexitariens sortent de l’étrangeté pour s’installer peu à peu comme une nouvelle norme.
La consommation de viande est pointée du doigt, la fréquence et la qualité de nos habitudes carnées sont remises en question. L’élevage intensif, qui par ses besoins énergétiques et ses conséquences environnementales, apparaît comme une aberration climatique. L’instinct carnivore n’est plus à la mode, la signature sonore de Charal ne résonne plus de la même façon à nos oreilles.
Face à cette prise de distance, de nouvelles alternatives s’installent telles que la viande de synthèse élaborée en laboratoire à partir de protéines végétales ou in vitro à partir de cellules souches. Des initiatives qui étonnent, ravissent ou inquiètent mais qui en tout cas font bouger les lignes du monde de la « vraie » viande. Après les tendances nordiques du flygskam et du köpskam, respectivement la honte de prendre l’avion et la honte d’acheter, va-t-on assister à une honte de consommer de la viande ?
En tout cas, à force de diminuer notre consommation, la viande se raréfie et le mot d’ordre devient le « moins mais mieux ». La viande est en train de changer de valeur. Le fossé s’est déjà creusé entre viande de supermarché et viande de bouchers et d’éleveurs à cheval sur le sourcing et la qualité. Si les produits carnés de luxe ne datent pas d’hier, il semble que c’est l’ensemble de la catégorie qui va sortir de la banalisation pour revenir à son statut d’exception qu’on lui attribuait, il y a déjà longtemps, dans l’histoire de nos assiettes.
Nouvelle sémantique et esthétique de la viande
Les premières marques de luxification de la viande se retrouvent d’abord dans nos façons de la percevoir et de la dire. On oublie les steaks hachés sous vide ! La viande devient objet esthétique, quasi muséal. La charcuterie s’étale sur Instagram (comme sur celui de la Maison Verot), les trésors d’éleveurs sont magnifiés en photographie comme chez Culinaries et la viande maturée s’expose en salle d’affinage comme autant de grands crus en cave.
Si l’esthétique se raffine, le vocabulaire dédié à la viande s’enrichit. On ne se contente plus d’un général « bœuf » mais on fait voyager la langue en désignant l’origine géographique ou la race : Aubrac, Salers, Galice, Simmental, Angus, Highland, Morucha, Wagyu… La viande est « maturée », « persillée », nous laissant approcher là le lexique fromager. Ces mots, autrefois ceux des experts, se retrouvent dans la bouche des connaisseurs puis assez rapidement de tout le monde.
Les nouveaux lieux de la viande
On observera la luxification de la viande dans les lieux qu’on lui dédie : les restaurants de viande se multiplient ces dernières années et participent de cette luxification. Côté design, les codes de la viande se réinventent : on range le rouge et le noir esprit « La Boucherie », auxquels on préfère le bronze ou le bois naturel. Le style y est souvent élégant, plus ou moins exubérant quand les codes de la viande se mêlent à ceux du luxe : carreaux de boucherie, cuirs, marbre et dorures.
Comment le design dit le premium ou quelles sont les voies du packaging permettant de faire émerger la viande comme un produit de luxe ?
Déjà à l’œuvre dans l’épicerie fine, les codes du premium vont-ils débarquer au rayon steak haché ? Pour répondre à ces questions, voici un coup d’œil non exhaustif des moyens graphiques d’hier qui pourraient, demain, pousser la barbaque vers le haut du panier :
1-L’homme derrière la bête : car le problème de la viande est souvent que l’on ignore sa provenance. On fera davantage confiance au visage amical de l’éleveur, à la personne qualifiée et experte derrière le produit, à l’artisan devenant artiste et caution.
2-L’épure du luxe : du noir et or, du blanc, si peu de choses pour mettre en valeur le produit.
3-Les animaux starifiés : Parce qu’une bonne viande est une viande qui respecte et aime l’animal, on lui rend hommage en le magnifiant, en le dessinant ou le photographiant romantiquement.
4-Motif persillé : Avec une expertise grandissante en ce qui concerne la matière et la texture des viandes, le packaging se saisit de cette opportunité pour mettre en valeur un produit hyper zoomé.
5-Quand le beau fait cadeau : Enfin quand le pack dépasse les codes classiques de la viande et affiche un esthétisme toujours plus poussé, il permet de voir la viande comme un produit à offrir. Symbole ultime de sa luxification, la viande comme cadeau nous permet de prendre de la distance et de nous interroger sur sa valeur réelle dans une consommation parfois banalisée.