1 mars 2021

Temps de lecture : 5 min

Vers un encadrement généralisé des filtres de beauté sur les réseaux sociaux ?

En janvier 2020, on dénombrait 3,8 milliards d'utilisateurs de réseaux sociaux numériques pour 7,75 milliards de personnes dans le monde. Les réseaux sociaux sont par définition une application sociale, où l’utilisation de filtres s’est fortement standardisée. Aujourd’hui, n’importe quelle personne peut facilement « photoshoper » sa photo grâce à ces applications. L’utilisation de ces filtres est devenue normale, si ce n’est incontournable – bien que ces dernières années, on peut observer une tendance au « naturel » et à l’« authenticité ».

Le Royaume-Uni a très récemment interdit l’utilisation des filtres de beauté aux « influenceurs » s’inscrivant dans une démarche commerciale sur Instagram, Snapchat et TikTok, où la promotion des produits de beauté fait les affaires des influenceurs et des marques.

Capture d’écran de la story à la une pour le mouvement #filterdrop sur le compte Instagram de Sasha Louise Pallari. Instagram

Toutefois, avec cette mesure seuls les influenceurs sont impactés, les autres utilisateurs de ces réseaux n’étant pas concernés par cette directive. L’Advertising Standards Authority (ASA), l’organisme d’autorégulation de l’industrie de la publicité au Royaume-Uni, a en effet pris cette décision suite à une campagne lancée sur le réseau Instagram par Sasha Louise Pallari (maquilleuse professionnelle comp-tant plus de 28 000 abonnés sur les réseaux sociaux) avec le hashtag #filterdrop. Pour l’ASA, l’objectif est de promouvoir une publicité loyale envers les consommateurs par une beauté naturelle.

Les réseaux sociaux : des géants sur le net

En janvier 2020, on dénombre 4,54 milliards d’internautes pour 7,75 milliards de personnes dans le monde, soit un taux de pénétration de 54 % dont 3,8 milliards utilisent les réseaux sociaux numériques. Parmi ces réseaux, certains sont d’utilité professionnelle (comme LinkedIn ou Yammer), d’autres sont plus personnels (comme Facebook ou Snapchat). Il est également possible de souligner les réseaux sociaux à dominante textuelle (par exemple Twitter) ou visuelle, c’est-à-dire centrés sur le partage d’images, de photographies ou de vidéos. Instagram, Snap-chat ou encore TikTok font aujourd’hui partie des réseaux sociaux les plus utilisés, où le partage de vi-suels demeure l’aspect central. Instagram, qui a vu récemment son taux d’utilisation en forte croissance, fait partie du cercle très fermé des réseaux sociaux à plus d’un milliard d’utilisateurs actifs par mois. Les images digitales diffusées sur cette plate-forme se chiffrent à 50 milliards depuis son lancement en 2010, avec plus de 100 millions de photos et vidéos publiés au quotidien. Snapchat quant à lui est le réseau le plus utilisé dans le monde par les moins de 20 ans. Il compte pas moins de 249 millions d’utilisateurs actifs quotidiens. Enfin, TikTok avec ses 800 millions d’utilisateurs actifs par mois à l’échelle mondiale progresse à toute vitesse chez les 15-20 ans qui l’utilisent pour poster des vidéos de play-back et de chorégraphies.

Les influenceurs porte-parole des marques

Les marques ont depuis longtemps recours aux célébrités pour promouvoir leurs produits et services. Cette pratique est plus connue en marketing sous le terme « endossement des célébri-tés ». Avec le développement des possibilités offertes par les réseaux sociaux numériques, de nouveaux porte-parole pour les marques ont vu le jour : les influenceurs. Ces derniers sont des leaders d’opinion, reconnus pour leur expertise dans un domaine particulier. Le marketing d’influence est une stratégie marketing qui permet à une entreprise de promouvoir son offre via ces influenceurs, afin qu’ils créent et diffusent le contenu de la marque à leur communauté (souvent des personnes abon-nées à leur profil). Cette pratique s’est intensifiée avec le développement des réseaux sociaux numériques. Face à l’intensification des pratiques de  marketing d’influence, en France, l’Autorité de régulation profes-sionnelle de la publicité (ARPP) a formulé des règles pour « contribuer à créer un environnement numérique dans lequel les consommateurs pourront avoir pleinement confiance et apprécier les nouvelles possibilités offertes par les réseaux numériques ». Ces règles ont pour objectif d’encadrer la communication publicitaire mais à ce jour, aucune n’est men-tionnée quant à l’utilisation des filtres.

Sublimer son image en quelques clics

Le succès des réseaux sociaux numériques visuels a provoqué chez les consommateurs des modifica-tions majeures de comportements, ouvrant la voie à une nouvelle nécessité : celle d’avoir une vie en ligne, obtenir un capital social online et être « instagrammable » (phénomène encore plus marqué chez les influenceurs). Ainsi, sur Instagram, Snapchat ou TikTok, une palette de filtres visuels est disponible afin de permettre aux utilisateurs de modifier l’aspect de leurs photos ou vidéos au même titre que certains logiciels de re-touche du type Photoshop, Gimp ou PhotoScape. Selon les filtres utilisés, il est ainsi possible de faire ressortir les couleurs, d’améliorer la luminosité et les contrastes dans une logique d’embellissement des photos. Jusque-là, rien de bien grave vous nous direz ! Ces filtres sont également applicables aux selfies (autoportraits photographiques réalisés le plus sou-vent à l’aide de son smartphone). Avec une logique purement décorative, les filtres d’animaux, les masques et orne-ments floraux ne présentent pas vraiment de risque.

Il existe un filtre sur Snapchat permettant de prendre l’apparence du sexe opposé, dans un but récréatif. Shutterstock

En revanche, les filtres que l’on peut qualifier d’esthétiques permettent de retoucher (parfois à l’extrême) l’apparence physique : teint lissé et sublimé, cils allongés, visage affiné, forme des yeux retouchée, bouche plus pulpeuse, dents blanchies… Lorsqu’ils ne sont plus utilisés dans un but ludique, ces filtres esthétiques qui présentent une image faussée peuvent avoir des conséquences négatives tant pour les instagrammeurs que leurs abonnés (leur audience).

Des conséquences sur le rapport à soi

Les tensions entre le désir de présenter un soi authentique (true self) et la tentation d’exagérer des traits avantageux (ideal self) pour « faire impression » ne sont pas sans consé-quence sur le plan identitaire et relationnel, sur le rapport à soi (disembodiment), sur l’altérité (condition de l’autre au regard de soi) et l’extimité (désir d’exhiber tout ou partie de son intimité), provoquant un formatage des représentations visuelles. La littérature académique montre notamment que l’utilisation des réseaux sociaux numériques visuels peut déclencher ou renforcer des troubles de l’image de soi et exacerber un mal-être (on peut également parler de dysmorphophobie), participer au phénomène de comparai-son sociale, attisé par une compétition intrasexuelle, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Parfois, les conséquences sont encore plus graves. En février 2018, le journal britannique The Indepen-dent publie un article dans lequel un chirurgien esthétique indique que de plus en plus de femmes demandent à ressembler à leur version numérique, c’est-à-dire obtenir le même visage que celui créé par les filtres des réseaux sociaux. On parle alors de chirurgie numérique ou de chirurgie Snapchat. Certains pourront ainsi critiquer, au nom de la liberté, la décision prise par le Royaume-Uni d’interdire aux influenceurs l’utilisation de filtres esthétiques dans leurs publications sur les réseaux sociaux, tandis que d’autres y verront une mesure préventive visant à limiter les troubles de l’apparence physique dans un monde où l’on accorde parfois plus d’importance à la forme qu’au fond. En France, depuis mai 2017, toute photo (par exemple par voie d’affichage, dans les publications de presse ou encore les imprimés publicitaires) à usage commercial de mannequins (professionnels ou non) dont la silhouette du corps est affinée ou épaissie, doit être accompagnée de la mention « photographie retouchée » (certes écrit en caractères très petits mais néanmoins obligatoire). La France emboîtera-t-elle le pas au Royaume-Uni en interdisant ces filtres ou bien imposera-t-elle une mention obligatoire sur les publications d’influenceurs à usage commercial ? Une affaire à suivre de près…

 

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