7 mars 2016

Temps de lecture : 4 min

« La vérité du moment filmé »

Cofondateur et CEO de Periscope – appli mobile de retransmission vidéo en direct, Kayvon Beykpour a appuyé sur pause pour discuter du succès et de l’avenir d’un nouveau marché très prisé : le live streaming.

Cofondateur et CEO de Periscope – appli mobile de retransmission vidéo en direct, Kayvon Beykpour a appuyé sur pause pour discuter du succès et de l’avenir d’un nouveau marché très prisé : le live streaming.

INfluencia : pourquoi Periscope séduit-elle autant ? L’application a-t-elle ouvert la boîte de Pandore ?

Kayvon Beykpour : en moins d’un an, l’application de la start-up éponyme de San Francisco a séduit plus de dix millions d’utilisateurs et engrangé plus de cent millions de retransmissions en direct. Le succès est phénoménal et répond à l’engouement créé autour du direct sur les réseaux sociaux. Rachetée par Twitter, la pionnière du live streaming est devenue le porte-drapeau des plateformes de captation et ouvre la voie à de nouveaux modes d’expression et de narration.

IN : vous avez déclaré en août 2015 dans le magazine d’affaires américain Fast Company que l’idée de Periscope vous est venue quand vous étiez à Istanbul pendant les manifestations de la place Taksim. Entre cette genèse et ce qu’est devenue Periscope, quelle a été l’évolution ?

KB : d’un point de vue philosophique, l’idée reste la même. On veut toujours que tout le monde puisse voir le monde en temps réel et interagir avec lui. Ce qui a changé n’est donc pas le concept, mais le fait que maintenant les gens utilisent vraiment cet outil, alors qu’il y a un an, c’était juste une niche d’utilisateurs qui essayaient de faire fonctionner l’appli dans leur coin. Aujourd’hui, vous pouvez ouvrir Periscope et avoir accès à des milliers de retransmissions en direct partout dans le monde, à toute heure de la journée. Ce qui a vraiment changé, c’est ça, et c’est très enthousiasmant.

IN : l’appli a été assez critiquée à son lancement. Êtes-vous surpris de la rapidité avec laquelle elle a convaincu les sceptiques, devenus très rares ?

KB : je pense que tous les nouveaux produits passent par ce cycle de critiques, éloges, doutes… sur l’efficacité du produit. Parfois, tu es le héros, parfois, tu es le vilain. Ça ressemble aux montagnes russes… C’est inévitable quand son produit est destiné au grand public. Je ne sais pas si on a chassé le pessimisme des débuts rapidement ou lentement, je n’ai pas assez d’expérience dans le lancement d’applications en général pour en juger. Mais ce que je sais, c’est ce qu’on a fait pour s’en débarrasser : n’y prêter aucune attention. On avait une mission et c’est tout ce qui nous importait. Les gens pouvaient dire ce qu’ils voulaient, ça nous passait au-dessus.

IN : et ce succès aussi rapide, vous l’aviez anticipé ou pas du tout ?

KB : nous n’avions aucune idée de l’ampleur que ça allait prendre, et encore moins à quelle vitesse ! On l’espérait… mais nous n’étions pas du tout sûrs, même encore quelques minutes avant de lancer l’application. Je me souviens, c’était un peu avant minuit un soir de mars 2015. On a appuyé sur le bouton et vingt minutes plus tard, on avait nos premiers téléchargements depuis l’Europe. Les gens venaient de se réveiller. Je me rappelle de la toute première retransmission : une femme à Berlin qui s’apprêtait pour aller courir. Et puis il y en a eu dix, vingt, cinquante autres qui ont suivi ! On se disait que les gens découvraient notre application et s’y intéressaient. À partir de là, tout s’est emballé, car nous sommes arrivés au bon endroit, au bon moment. Nous n’aurions pas pu le faire il y a dix ans.

IN : contrairement aux grands réseaux sociaux, que ce soit Facebook, Instagram ou Snapchat, Periscope ne permet pas de filtrer le contenu produit par l’utilisateur. Est-ce cette authenticité qui explique aussi sa popularité ?

KB : oui, tout à fait. Il n’y a pas de filtre, pas de montage possible, c’est simplement la vérité du moment filmé. L’utilisateur sait que ce qu’il voit a lieu à ce moment précis, que cela n’a pas été monté, ni bidouillé. Les gens veulent du vrai et de l’empathie depuis très longtemps, et ils ne le trouvent pas seulement chez nous. Mais montrer une certaine illusion sur les réseaux sociaux, c’est aussi quelque chose dont les individus ont besoin. Il ne faut pas avoir une vision manichéenne, ce n’est pas noir ou blanc. Clairement, Periscope est arrivée en plein sursaut culturel contre les fausses représentations de notre vie virtuelle. Et puis sa magie, c’est son interactivité. Les utilisateurs peuvent influencer l’expérience, ils ne sont plus passifs comment devant une télévision.

IN : l’application est désormais compatible avec les caméras GoPro. Les drones sont-ils la prochaine intégration sur la liste ?

KB : je ne peux pas encore vous dire ce qui est sur la liste. On explore différentes options, mais notre priorité reste de construire une plateforme que les gens aiment. En tout cas, nous avons d’énormes possibilités d’évolution pour améliorer l’expérience de nos utilisateurs. GoPro est la première étape naturelle de cette évolution. Nous observons constamment ce qui se passe avec les nouvelles technologies, parfois il y a des concepts très intéressants, mais la technologie ne suit pas et ne nous permet pas d’en faire quelque chose de bien. Il faut qu’on trouve le bon équilibre entre idées et technologie. On a seulement gratté la surface de Periscope, il y a encore tellement de possibilités devant nous.

IN : pourrait-elle développer le journalisme citoyen façonné par Twitter ?

KB : Twitter a toujours été le meilleur outil pour le journalisme citoyen : c’est un micro accessible à tout un chacun pour s’exprimer avec le monde qui l’entoure. Periscope apporte la même chose dans un format différent. Il n’y a pas de format vidéo plus pur et plus immédiat que les nôtres, on l’a encore vu lors des attentats de Paris en novembre. L’une des premières images que les gens ont pu voir était sur Periscope, juste en dehors de la salle du Bataclan. Quelque 200 000 personnes étaient connectées et même NBC News l’a diffusée à la télé. Il n’y avait ni caméra ni équipe de télé, juste des gens qui étaient sur place et partageaient. C’est un des outils les plus puissants pour le journalisme citoyen, car tout le monde possède sa propre chaîne de diffusion.

IN : pensez-vous que les chaînes traditionnelles pourraient bientôt commencer à utiliser Periscope au lieu d’envoyer des équipes sur place ?

KB : je pense que la façon dont les chaînes couvrent l’information a déjà changé. Cela fait moins d’un an qu’on existe et les plus grands reporters sur les plus grandes chaînes nous utilisent déjà, cela reflète ce changement. Chaque soir, pendant Sports Center sur ESPN, l’émission phare de sport aux États-Unis, le présentateur utilise Periscope pendant la pause pub pour s’adresser aux téléspectateurs…

Article tiré de la revue N° 16, « Vivre connecté »
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