INfluencia : pourquoi, alors que l’on parle chaque fois plus d’inclusivité, la communication ou son ressenti, semble encore poussiéreuse ?
Sandra Michalska : les visuels sont présents partout autour de nous, pas uniquement dans les pubs à la télévision, les panneaux publicitaires ou bien sur les réseaux sociaux, mais également sur les sites internet, les dispositifs de communications internes et externes. A travers la plateforme d’insights VisualGPS (de Getty Images et iStock), nous analysons quels types de langages visuels, les marques utilisent afin de voir s’ils correspondent aux attentes des consommateurs (à la fois à l’échelle mondiale et régionale). Dans notre recherche, nous avons remarqué que les consommateurs français, particulièrement les femmes, trouvent qu’il y a encore une marge d’amélioration vers une représentation authentique.
IN. : pouvez-vous nous en dire plus sur la méthode utilisée pour décrypter ces tendances ?
S.M. : nous avons lancé VisualGPS il y a plus de trois ans et nous le voyons réellement comme une extension de notre expertise de longue date. VisualGPS rassemble 2,8 milliards de recherches de plus de 830 000 consommateurs à travers le monde, combinés à des tests d’images et à des études de marché personnalisées que nous menons en permanence avec Marketcast, nous permettant de mieux comprendre le sentiment des consommateurs. Ce que nous constatons dans notre recherche, c’est que seulement 6% des femmes françaises estiment que les communications des entreprises avec lesquelles elles interagissent montrent une grande diversité, ce qui est constant à travers toutes les générations.
IN. : cela signifie-t-il que l’inclusivité est un vœu pieux dans la représentation que l’on se fait dans la société ?
S.M. : non, la diversité, l’équité et l’inclusion dans la narration visuelle évoluent continuellement, et notre recherche montre que les consommateurs français de tous âges se soucient d’une représentation authentique dans le marketing et la publicité. Nous avons également vu de plus en plus de marques françaises rechercher une plus grande représentation des groupes sous-représentés sur le lieu de travail. Par exemple, les recherches de « travailleur handicapé » par les clients français ont augmenté de 229 % au cours de la dernière année. De petites étapes, telles que la remise en question des préjugés inconscients lors de la sélection ou de la création de contenu, peuvent entraîner de grands changements.
IN. : donc, vous diriez qu’il y a du progrès…
S.M. : nous avons passé plus d’une décennie à promouvoir et à défendre la représentation authentique de toutes les personnes quelque soit leur genre, leur âge, leur corpulence, ou leur origine…Depuis 2018, nous travaillons avec la NDLA (National Disability Leadership Alliance) et Verizon Media pour créer la Disability Collection, une banque d’images qui représente mieux les personnes handicapées. Ce partenariat, combiné à nos recherches VisualGPS, nous a permis de mieux comprendre comment les handicaps doivent être représentés dans la narration visuelle.
75 % des consommateurs mondiaux préfèrent voir des images et des vidéos qui semblent « décontractées et abordables » plutôt que « luxe et glamour »
IN. : revenons sur la femme française. N’y a-t-il pas confusion entre France et Paris ?
S.M. : la représentation traditionnelle de la France à travers le monde est très centrée sur Paris, et Paris reste de loin la destination française la plus recherchée par les clients d’iStock à l’échelle mondiale. L’«effet Netflix», provoqué par le succès mondial d’Emily in Paris, n’a fait qu’alimenter ce regain d’intérêt, et la version idéalisée, romanesque et hautement élitiste du style de vie parisien, reste un concept visuel populaire dans le marketing et la publicité.
Les Jo de 2024 donnent aux marketeurs l’opportunité de travailler sur une représentation plus large et plus inclusive de la France, et non plus seulement dans une seule ville
IN. : les JO de paris 2024 devraient déclencher de nouvelles imageries…
S.M. : à l’approche des Jeux, l’attention se concentrera sur la France et, par conséquent, entraînera un afflux massif de touristes. Cela donnera aux marketeurs l’opportunité de travailler sur une représentation plus large et plus inclusive de la France, et non plus seulement dans une seule ville. Les représentations authentiques des destinations de voyage sont plus importantes pour les consommateurs que des images ou vues idéalisées, et cela se reflète dans nos dernières recherches. Un facteur essentiel qui influence la prise de décision des voyageurs est de voir des personnes qui leur ressemblent dans le marketing des voyages et du tourisme, puisque 75 % des consommateurs mondiaux préfèrent voir des images et des vidéos qui semblent « décontractées et abordables » plutôt que « de luxe et glamour ».Pour entretenir cet intérêt constant pour la France, il est important que les marques reflètent la diversité de leurs clients dans leurs supports marketing. La présentation d’individus de divers horizons, cultures et régions insufflera un sentiment d’inclusivité et de représentation. De plus, les photos et vidéos capturées sur le moment peuvent évoquer de véritables émotions et favoriser une connexion plus forte avec les voyageurs potentiels.
Les résultats de l’étude ont révélé que les stéréotypes et les préjugés répandus, tels que l’association entre la communauté asiatique et la technologie, demeurent. Ils sont ainsi 10 fois plus susceptibles d’être vus avec un ordinateur ou un smartphone qu’un membre de la famille ou un ami.
IN. : comment expliquez-vous dans ce cas, qu’il y ait une aussi grande différence entre la perception qu’en ont les gens, et la réalité ?
S.M. : il est important que les marques se demandent ce que signifie l’inclusion dans la représentation visuelle. Il s’agit de prendre du recul par rapport au processus de prise de décision et de poser des questions difficiles, telles que qui est représenté -et plus important encore -comment il est représenté. Les consommateurs ont des attentes élevées vis-à-vis des marques et peuvent voir quand les efforts d’inclusion ne sont pas sincères. Par exemple, nous avons constaté une baisse constante du nombre de consommateurs français qui ont l’impression de voir plus des gens comme eux sur les réseaux sociaux que dans les médias traditionnels, et c’est encore plus frappant pour la génération Z. Bien que 60 % se sentent toujours représentés sur les plateformes de réseaux sociaux , nous avons constaté une baisse de 14 % de ce sentiment depuis 2022. L’année dernière, nous avons étudié la représentation de la communauté asiatique dans les contenus visuels utilisés par les marketeurs en France. Les résultats ont révélé que les stéréotypes et les préjugés répandus, tels que l’association entre cette communauté et la technologie, demeurent. Les Asiatiques sont 10 fois plus susceptibles d’être vus avec un ordinateur ou un smartphone qu’un membre de la famille ou un ami. En ralentissant et en remettant en question nos choix visuels, nous pouvons éviter de tomber dans ce genre de pièges qui renforcent les stéréotypes courants.
les femmes dans la vingtaine sont représentées huit fois plus que les femmes de plus de 60 ans
IN.: par la force des choses, ceux qui regardent la télévision, lisent toujours les « medias magazines » sont comme vous le dites enfermés dans cette vision, les jeunes, qui vont sur les réseaux, sur Internet, moins.
S.M. : le type de contenu que nous voyons sur les réseaux sociaux est très différent de ce qui est diffusé à la télévision, à la radio ou sur un site web. Notre outil VisualGPS montre que les personnes de différentes générations consomment des informations de différentes manières et via différents supports. Par exemple, 68 % des consommateurs français de la génération Z considèrent les médias sociaux comme un bon moyen de s’exposer à différentes pensées et perspectives. Les générations plus âgées, comme les baby-boomers, ont grandi avec la télévision et la radio et sont plus susceptibles d’utiliser les médias sociaux pour se connecter avec les autres qu’autre chose.
IN. : dans les années 2000, la publicité présentait des images totalement irréalistes mais qui nous faisaient rêver… Aujourd’hui on lutte contre cette envie de faire rêver, et pourtant l’idéalisation poursuit son chemin…
S.M. : traditionnellement, les campagnes de marketing et de publicité promouvaient des stéréotypes irréalistes de la beauté, qui avaient un impact sur les femmes surtout, de leurs niveaux de confiance à leurs carrières. Aujourd’hui encore, le mythe de La Parisienne perpétue le stéréotype de la jeune française mince. Lorsque l’on regarde les visuels iStock les plus téléchargés en France, les femmes dans la vingtaine sont représentées huit fois plus que les femmes de plus de 60 ans, les femmes plus jeunes étant deux fois plus susceptibles d’apparaître dans les images et les vidéos en milieu professionnel. Getty Images et iStock suivent l’évolution de la représentation des femmes dans l’imagerie et la vidéo populaires depuis de nombreuses années. Nos recherches montrent que la première préférence des consommateurs (toutes les générations confondues) est de voir des personnes qui leur ressemblent davantage dans leur vie quotidienne dans les visuels publicitaires. Mais les femmes n’ont toujours pas le sentiment d’être représentées de manière authentique. Nous estimons qu’il est important d’apporter des changements positifs à la façon dont les femmes sont perçues dans les médias et la publicité. C’est pourquoi nous nous sommes associés à Dove en 2018 pour lancer la collectioon #ShowUs, une bibliothèque croissante de plus de 18000 visuels créés par des femmes et des personnes non binaires pour montrer les femmes telles qu’elles sont, et non telles que d’autres pensent qu’elles devraient être. En créant plus de ces images, et en les rendant plus faciles à trouver, nous encourageons les spécialistes du marketing à utiliser des images plus tournées vers l’avenir dans leurs projets. Nous essayons d’élever le niveau de représentation des femmes dans la culture visuelle en général.
9 Français sur 10 aimeraient que les entreprises se soucient d’eux en tant qu’êtres humains et pas seulement en tant que client -notamment dans les difficultés qu’ils traversent. Cette évolution visuelle a commencé pendant la pandémie.
IN. : n’est-ce pas normal à une époque où tout est anxiogène d’ « idéaliser » ce que l’on peut idéaliser ?
S.M. : malgré les inquiétudes économiques telles que l’inflation qui affecte la vie quotidienne des consommateurs français, ils recherchent toujours des marques qui leur sont accessibles. Nos résultats montrent que 9 Français sur 10 aimeraient que les entreprises se soucient d’eux en tant qu’êtres humains et pas seulement en tant que client -notamment dans les difficultés qu’ils traversent. Malgré cela, les images et vidéos les plus populaires téléchargées par les marques françaises sur Getty Images et iStock ne sont peut-être pas suffisamment représentatives de toutes les générations. On voit déjà de nombreuses marques en France créer des campagnes qui montrent qu’elles sont à l’écoute et qu’elles sont là pour accompagner les clients de tous âges, notamment dans la grande distribution. Cette évolution visuelle a commencé pendant la pandémie. Les visuels qui fonctionnaient le mieux avec les consommateurs étaient plus doux et montraient des scénarios quotidiens, ce qui les rassurait dans une période d’incertitude. La simplicité et l’identification sont essentiels aux messages et aux supports utilisés sur les canaux sociaux, où la #softlife est une tendance croissante.
près de 6 consommateurs mondiaux sur 10 sont excités de voir à quoi ressemblera l’avenir à mesure que la technologie évolue, mais près de la moitié s’ inquiète de son importance à venir.
IN. : n’est-il pas en fait important que l’imaginaire ait une soupape de sécurité ? On évoque beaucoup dans la communication « le changement des imaginaires et du storytelling », mais jusqu’à quel point les individus peuvent-ils supporter tous ces changements à la fois (climat, économie, révolution numérique, sociétale…) sans une part de rêve ?
S.M. : nous voyons des marques plonger dans l’évasion lorsqu’elles examinent l’esthétique visuelle émergente. Cependant, nos données montrent que les gens ont des opinions mitigées sur les changements tels que les technologies émergentes. Alors que près de 6 consommateurs mondiaux sur 10 sont excités de voir à quoi ressemblera l’avenir à mesure que la technologie évolue, près de la moitié s’inquiète de l’importance de la technologie à l’avenir. Les marques commencent déjà à utiliser de nouvelles esthétiques pour répondre aux préoccupations croissantes liées aux technologies émergentes.
Lorsqu’ils imaginent des concepts futuristes, ou même nos vies de plus en plus connectées, les spécialistes du marketing devraient envisager de sélectionner des visuels plus colorés, personnalisés et créatifs.
Par exemple, Cartier et Mercedes Benz intègrent le surréalisme technologique et des palettes de couleurs plus chaudes dans leurs campagnes, au lieu des tons bleus et gris traditionnellement associés aux visuels technologiques. Lorsqu’ils imaginent des concepts futuristes, ou même nos vies de plus en plus connectées, les spécialistes du marketing devraient envisager de sélectionner des visuels plus colorés, personnalisés et créatifs. Cependant, cela ne signifie pas que les spécialistes du marketing ne doivent pas également visualiser l’imagination ou l’humour lorsqu’ils communiquent sur des sujets de société. Les gens recherchent un contenu empathique, léger et humoristique, en particulier sur les réseaux sociaux. VisualGPS montre que 91% des consommateurs français pensent qu’il est rafraîchissant de voir du contenu humoristique sur les réseaux sociaux. Il faut avoir des « représentations, des rôles modèles ».
les athlètes féminines mènent des conversations sur la santé mentale, l’égalité salariale, la parentalité, l’appropriation du corps, l’inclusion LGBTQ + et de nombreux autres problèmes sociaux –pourtant, le manque de visibilité persiste.
IN. : comment pensez-vous qu’évolueront ces figures qui nous font aimer notre vie ?
S.M. : les rôles modèles continueront d’évoluer et de refléter les changements sociétaux au fil du temps, et nous voyons déjà cela se produire dans le sport. Aujourd’hui, les athlètes féminines mènent des conversations sur la santé mentale, l’égalité salariale, la parentalité, l’appropriation du corps, l’inclusion LGBTQ + et de nombreux autres problèmes sociaux –pourtant, le manque de visibilité persiste. Grâce à nos recherches sur la représentation des femmes et des filles dans le sport, nous avons entendu directement des athlètes féminines dire qu’elles ressentent une pression pour limiter leurs émotions afin d’obtenir et/ou de conserver des partenariats de marque. Le cliché d’un athlète fort et mentalement invincible évolue, car de plus en plus d’athlètes montrent un côté plus humain et plus proche du sport. Plus de la moitié (56 %) des consommateurs français aimeraient que davantage d’athlètes et de ligues sportives parlent davantage de leur santé mentale, et des stars du sport féminines telles que Naomi Osaka ont commencé à mener des conversations culturelles autour de la santé mentale. Mettre en lumière l’expérience sportive féminine complète à travers une optique inclusive est essentiel pour combler l’écart entre les sexes dans le sport. Le retour le plus constant que nous recevons des marques est qu’elles veulent représenter les femmes et les filles d’une manière plus réfléchie et authentique. La principale préférence visuelle des consommateurs est les femmes et les filles de tous les groupes d’âge, de toutes les morphologies et de toutes les capacités qui pratiquent un sport, et nous nous attendons à voir davantage de modèles évoluer pendant les Jeux Olympiques de Paris en 2024.