Introduire un peu de détente et de légèreté. Indispensable sur un sujet, l’intelligence, qui peut vite faire monter en pression alors même que sa pleine expression nécessite un minimum de relâchement, comme l’explique notamment James G.March, professeur à Stanford, dans A Primer On Decision Making. Au-delà de la provocation sympathique et sans doute un peu facile, existe-t-il une ou plusieurs vérités derrière l’idée que la bêtise n’est pas l’ennemi absolu de l’intelligence, que les frontières entre l’une et l’autre sont plus ténues qu’on peut le penser ? Quoiqu’il en soit, il ne s’agit évidemment pas de dire que « la bêtise c’est génial », mais qu’un peu de bêtise(s) ce n’est peut-être pas si mal.
Certaines situations ou moments semblent donner à la bêtise l’opportunité d’afficher quelques vertus. Si elle est temporaire, elle peut fonctionner comme une respiration de l’esprit et le repos nécessaire au cerveau, l’organe qui vraisemblablement consomme le plus d’énergie dans notre corps. Si elle est une étape et non un point d’arrivée, elle peut être un détour fructueux. Et lorsqu’on l’accepte, elle est sans doute le meilleur allié de l’intelligence puisqu’on lui associe alors l’humilité.
Entrons un peu plus dans le détail. Pas trop quand même pour ne pas perdre les bénéfices d’une vision simple des choses. « La vie c’est comme une boîte de chocolat », comme disait Forest Gump, le plus célèbre des simples d’esprit que la vie a emmené très loin.
Un peu de bêtise, condition de l’intelligence ?
Plus le temps avance et plus la liste des formes d’intelligence s’allonge : émotionnelle, spatiale, musicale, créative, corporelle, situationnelle, intrapersonnelle… Aucun être vivant ne peut rassembler toutes ces formes d’intelligence, sous leur forme la plus qualitative. Un oiseau est sans doute plus bête qu’un humain pour réparer un vélo, en revanche certainement plus malin dans son rapport à l’espace. Si l’intelligence est multiple et que personne ne peut en posséder toutes les dimensions, c’est qu’une forme de bêtise existe en chacun de nous. Même chez les plus intelligents. Tout comme l’oubli est la condition de la mémoire, un peu de bêtise pourrait être la condition de l’intelligence.
Dans un échange, l’intelligence peut rendre méfiant et, à l’inverse, la bêtise désarmer. Jouer l’idiot, c’est se mettre en état de poser des questions simples, d’écouter vraiment pour comprendre, pas seulement pour répondre. C’est éviter qu’une conversation soit un simple concours stérile d’intelligences. C’est aussi augmenter ses chances d’obtenir des réponses plus vraies et plus spontanées. Autrement dit, jouer l’idiot c’est la possibilité de devenir un peu plus intelligent. Lorsqu’elle n’est pas consciente de ses limites ou de son ignorance, l’intelligence peut vite se transformer en un aveuglement total ou partiel, qui s’apparenterait alors à des œillères, autre forme imagée pour tenter de définir la bêtise.
Accepter la bêtise pour agir et innover
Dans un tout autre cadre, celui de l’entreprise, James G.March explique qu’un peu de bêtise, d’abandon de la pure rationalité est même l’une des trois conditions fondamentales de l’innovation. Steve Jobs ne disait pas autre chose lorsqu’il exhortait ses troupes avec le mantra « Stay hungry, stay foolish ». Beaucoup d’innovations ont d’abord été jugées stupides avant de trouver le cadre de leur appréciation, beaucoup d’idées créatives ont semblé dénuées de toute rationalité avant de révéler leur pertinence et leur originalité. Autant de sauts dans l’inconnu qui peuvent paraître stupides, simplement parce que le cadre de référence n’est pas encore le bon. Des percées souvent nécessaires dans les métiers où la créativité doit s’exprimer, parce qu’elle est à même de provoquer la rupture, si souvent désirée, d’enclencher une démonstration… par l’absurde. Petites libertés qui souvent appellent un commentaire aussi simple qu’éloquent : « c’est con mais c’est bien ». Accepter la bêtise, c’est une possibilité de passer à l’action, parce que c’est accepter l’incertitude, l’erreur, l’échec, le ridicule et la possibilité d’avoir l’air bête, ne serait-ce qu’un instant.
Comme pour l’intelligence, les contours exacts de la bêtise posent toujours questions. Elle nous échappe toujours un peu. Elle est quasiment impossible à définir de manière objective, le plus souvent relative. Au fond, on est toujours le con d’un autre.
La bêtise n’est pas un bien absolu, évidemment, mais un peu de bêtise, ce n’est pas si mal. C’est la dose qui fait le poison. Alors un peu de bêtise mais pas trop bien-sûr, c’est sans doute ce qu’il y a de plus intelligent à faire.