En temps de crise, les « sur-signes » en ce sens continuent : le Premier ministre représente sûrement un atout supplémentaire s’il a un accent régional marqué. Il incarne par là une meilleure capacité de prise en compte des souffrance locales signalées par les Gilets Jaunes à chaque rond-point de départementales.
Les premières traces du localisme sont apparues il y a pourtant maintenant un moment, notamment aux USA en 1980. Les excès de l’agriculture intensive à perte de vue ont suscité auprès de certains, à l’époque, une reconsidération des dimensions d’exploitation via l’agriculture biologique. Mais quarante ans plus tard, la prise de conscience reste d’actualité. En 1995, le sociologue anglais Roland Robertson essaye une autre approche en réactivant le terme peu élégant de « glocal ». Il ne s’agit toujours pas là de favoriser un dynamisme local, mais bien de maintenir un souffle mondial qui prend alors les codes locaux plus « solubles » dans la culture de chaque pays. On a tous en tête McDo qui d’adapte aux architectures ou aux recettes locales : le McWasabi à Singapour ou encore le McPoutine à Montréal. Mais personne n’est dupe.
À l’opposé d’une mondialisation « maquillée », on voit apparaître depuis maintenant quelques années des stratégies de marque qui veulent revendiquer haut et fort leurs injonctions protectionnistes ou écologiques, bref, locales. Mais la question reste à quel pourcentage de leur production et à quelle échéance… Et plus largement : est-ce la bonne voie ? N’y a-t-il pas un danger d’initier un régionalisme, un communautarisme exacerbé, un retour en arrière, un archaïsme de représentation sociétale ? Un « despotisme régional » doit-il nécessairement succéder à un « despotisme mondial » ? Va-t-on résoudre les souffrances industrielles à coup de tradition et de repli ?
Un « despotisme régional » doit-il nécessairement succéder à un « despotisme mondial » ?
Entre le mondial et le local : le possible
Après des siècles d’aristocratisme industriel, de verticalité, on parle beaucoup d’une évolution des hiérarchies, d’une horizontalité de gestion et de modèles (lire INfluencia #32 : «L’odyssée des territoires», ndlr). Certains ont déjà souligné les limites de cette horizontalité qui semble effectivement se heurter à la réalité systémique de groupe. Tout le monde n’est pas moteur.. Pourtant, une nouvelle verticalité se dessine : celle des initiatives locales. Une « verticalité (re-)montante » et non plus uniquement descendante. Une verticalité locale avec des initiatives, qui n’étouffent pas mais qui font éclore des possibles nouveaux. L’aristocratie industrielle peut maintenant laisser émerger le mérite local et personnel, individuel.. cette fois-ci soluble dans le général. Une sorte de Local (loc[al-glo]bal) vs l’ancien glocal… Bon, le terme n’est pas plus élégant !
Les exemples récents ne manquent pas liés à la Covid-19. Le plus emblématique est cette Start-up italienne qui crée la « Charlotte valve » en impression 3D pour rendre les masques de plongée Décathlon propices à l’assistance respiratoire et pallier ainsi la pénurie de matériel. La dynamique vient de la ville de Brescia, en Lombardie, et pas des services marketing de la marque française.
La force de Décathlon a été d’accompagner cette démarche «hors les murs» en offrant 30000 masques aux hôpitaux. D’autres initiatives remarquables, qui n’opposent pas local et général mais qui interagissent, montrent cette nouvelle dynamique. On peut citer Innocent et sa campagne « Les grands petits pas » qui valorise les initiatives de chacun. Keetiz, nouvel acteur de l’économie locale, met en relation territoires, magasins de proximité et consommateurs. La marque participe à un nouveau dynamisme de l’économie au coin de chaque rue par un principe de cashback local via son appli « Cash & Commerçant ».
Le néo-localisme du XXI° siècle s’épanouit-il dans une forme de «co-local»… et se nourrit de la notion d’échanges vertueux : des savoirs, des biens, du temps.
L’émergence de cette nouvelle tendance peut s’expliquer par un effet de double shutdown. D’abord le shutdown mental : trop de prêt-à-penser, prêt-à-consommer qui progressivement génère un rejet de la norme et du discours unilatéral pour s’ouvrir à des alternatives qui semblent plus proches et nous ressemblent davantage. Plusieurs marchés ont montré un nouveau possible depuis quelques années. C’est notamment le cas des indie brands en cosmétique, des crafts sur plusieurs marchés : la bière, les sardines, le lait… On voit aussi ce phénomène s’exprimer en influence à travers l’émergence de la micro-influence plus accessible, plus authentique et plurielle. Puis le shutdown sanitaire : le confinement remet en question les certitudes en termes de dépendance mondiale ignorée ou refoulée, et questionne l’autosuffisance territoriale comme jamais.
Ces nouvelles approches « néo-localistes » ont l’avantage d’être à l’opposé du repli local. Elles sont possibles à l’inverse par l’ouverture aux autres, par la connexion distancielle. Ainsi le néo-localisme du XXI° siècle s’épanouit-il dans une forme de «co-local»… et se nourrit de la notion d’échanges vertueux : des savoirs, des biens, du temps. Il s’inscrit dans une dynamique plus sociétale de partage, de gestion des biens et des ressources, et surtout des compétences en commun pour favoriser une consommation plus raisonnée. Le digital prend ici tout son sens et joue un rôle majeur de rapprochement d’un local à un autre. On n’oppose plus local et général, on les fusionne et les possibles s’additionnent.
Le néo-local reste à construire avec toutes les parties prenantes en rejet d’une autorité unique où les frontières sont plus ouvertes là où se trouvent les bonnes énergies; une forme de local humanisé et pas seulement géographique. Pour les marques, cela ouvre de nouvelle perspectives pour s’adapter à cette tendance. En partant de trois insights « anti shutdown », voici trois voies qui peuvent nourrir les messages d’intégration des dynamiques locales :
• I° insight : je subis. La marque peut valoriser les initiatives et les talents locaux,
•2° insight : je me sens isolé. La marque peut relier les consommateurs,
• 3e insight : je ne vois pas de solution. La marque peut mettre en scène les nouveaux possibles.
Article extrait de la Revue 35 d’INfluencia : INspiration 2021