8 juillet 2015

Temps de lecture : 5 min

L’« ubérisation » ? Une mode ? Non, au contraire une lame de fond

Le spectaculaire succès d’Uber en France ne reflète pas seulement l’efficacité d’un modèle économique. Il traduit également les tendances qui traversent la société française. L’Observatoire des Français de Sociovision* a identifié cinq de ces tendances

Le spectaculaire succès d’Uber en France ne reflète pas seulement l’efficacité d’un modèle économique. Il traduit également – et peut-être avant tout – les tendances qui traversent la société française. L’Observatoire des Français de Sociovision* a identifié cinq de ces tendances.

1. Les Français sont de plus en plus impatients

On s’en doutait: les témoignages des usagers, interrogés par Sociovision sont unanimes : le succès d’Uber repose avant tout sur la simplicité de son application. Rapide à installer, rapide à comprendre, rapide à utiliser. « Or, nos compatriotes ont aujourd’hui une obsession : ne pas perdre leur temps », constate Rémy Oudghiri, directeur général adjoint de Sociovision. Ah le temps, ce luxe suprême…

54% d’entre eux reconnaissent être « sans cesse à la recherche de nouveaux moyens de gagner du temps ». C’est la raison pour laquelle, malgré leur attachement au contact humain, ils ont par exemple fini par adopter les caisses automatiques. 55% les ont déjà utilisées, et parmi ceux qui ne l’ont pas encore fait, la marge de progression est importante. De fait, les Français veulent qu’on leur simplifie le quotidien. 70% déclarent ouvertement rechercher « tous les moyens » de se faciliter la vie.

Fait révélateur : leur impatience ne se limite pas seulement aux choses pratiques. Depuis la fin des années 1990, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à admettre qu’il peut leur arriver de décider très rapidement de changements importants dans leur vie : logement, travail, couple… Un Français sur deux le reconnaît aujourd’hui contre 40% en 2000. Sauter le pas sans se poser de question, décider sur un coup de tête, recommencer à zéro : ces attitudes se sont fortement développées au cours des dernières décennies.

2. Les Français sont de plus en plus francs-tireurs

Le succès d’Uber marque aussi la diffusion d’un état d’esprit où le contournement des règles est érigé en valeur positive. De fait, si les Français ont la réputation à l’étranger d’être individualistes et indisciplinés, force est de constater que ce penchant s’est accentué ces dernières années -pour le meilleur ou pour le pire-. Défiants à l’égard des autorités, convaincus de l’impuissance du système économique, ils sont de plus en plus nombreux à penser que, pour réussir, il faut savoir « trouver des combines ». (42% en 1997, 61% aujourd’hui !) Et la crise économique a accéléré la tendance. Uber, dans ce contexte, comble des usagers décomplexés et persuadés qu’il faudra moins respecter les règles à l’avenir.

D’une manière générale, il y a de plus en plus de Français qui valorisent une attitude franche et directe. En 2005, ils n’étaient que 18% à admettre aimer « mettre les pieds dans le plat, ne pas respecter les règles sociales ». Ils sont 34% aujourd’hui. Ce chiffre grimpe même à 43% chez les moins de 25 ans. Le fait qu’Uber contourne sciemment et ouvertement les règles est à replacer dans le contexte d’une sensibilité de franc-tireur qui s’amplifie et d’un environnement médiatique dans lequel le ton irrévérencieux se développe.

3. Les Français exigent de plus en plus respect et transparence

En insistant sur le service et le confort (propreté des véhicules, recharge de téléphone…), les responsables d’Uber répondent aux attentes de certains usagers de taxis traditionnels qui avaient le sentiment qu’on leur manquait d’égards. De fait, le besoin de respect est particulièrement fort dans la France d’aujourd’hui. Ainsi, quand on leur soumet une liste de mots qui leur tiennent à cœur, 62% de nos compatriotes placent en premier le mot « respect », devant celui de « liberté » » (46%) ou celui de « confiance » (43%). L’attachement à ce mot est révélateur d’un énorme besoin d’être considéré, écouté ou estimé dans la vie quotidienne.

Une preuve de respect consiste ainsi dans la transparence de la relation ou de la transaction. Les responsables d’Uber insistent beaucoup sur le fait qu’avec leur application, l’usager ne paie que sa consommation. Avec la crise, les Français sont en effet de plus en plus nombreux à ne plus vouloir « acheter plein pot ». Surtout, ils veulent avoir la possibilité d’ajuster leur propre consommation à ce dont ils ont vraiment besoin et ne pas payer d’extras qu’ils jugent inutiles. 65% l’affirment aujourd’hui, un chiffre qui a augmenté depuis le début de la crise en 2008 (ils étaient 59% en 2007 selon les données de l’Observatoire Sociovision).

4. Les Français sont de plus en plus favorables aux circuits courts

«Nous sommes ainsi entrés dans la société du court-circuit», affirme Sociovision. Se passer d’intermédiaire est de plus en plus prisé. Pour payer moins cher, mais aussi pour des raisons de confiance. Plus l’achat est direct, plus on supprime le flou entretenu par les intermédiaires et plus on augmente le sentiment de transparence de la transaction. De ce point de vue, Uber participe de la tendance à la « désintermédiation » de l’économie en mettant directement en contact des chauffeurs et les clients.

Cette tendance se voit de plus en plus dans le domaine des courses alimentaires. De plus en plus de Français prennent l’habitude d’acheter leurs produits auprès des producteurs (46% l’ont fait au cours des six derniers mois en 2014 et 54% comptent le faire dans les années à venir). Ils évitent ainsi les distributeurs traditionnels soupçonnés de dissimuler leurs marges.

Le succès d’Uber confirme aussi, ajoute le directeur général adjoint de Sociovision, que « la culture du réseau est désormais bien ancrée dans les habitudes des Français ». Ils sont de plus en plus nombreux à penser que se mettre en réseau avec d’autres particuliers est une manière de trouver des solutions concrètes à leurs problèmes. Les pratiques collaboratives se développent précisément sur cette base.

5. « Ubérisation » = « Free-lancisation »

Last but not least, le succès d’Uber est révélateur d’une évolution des mentalités concernant l’image des entrepreneurs. 71% des Français pensent aujourd’hui qu’il est souhaitable que de plus en plus de gens se mettent à leur compte ou créent leur entreprise. C’est une évolution frappante dans un pays où la libre entreprise n’a pas toujours eu bonne presse. De fait, le nombre de Français qui se verraient « créer leur propre affaire » est en augmentation depuis les années 1990. Ils sont aujourd’hui 50% à le reconnaître. Et ce chiffre s’élève à 56% chez les moins de 35 ans. Une réaction que nos politiques devraient bien méditer!

De fait, si le modèle du « free lance » qui s’assume tout seul continue à inquiéter, il progresse dans les esprits. Signe des temps : la retraite n’est plus vraiment envisagée comme une vraie retraite, puisque 77% des Français pensent qu’on devrait pouvoir continuer à travailler si on le souhaite. Ils n’étaient que 45% dans les années 1980… Les mentalités ont évolué. Disposer d’une source de revenus supplémentaires pour ceux qui le souhaitent est perçu comme normal.

« Les tendances à l’origine de la réussite d’Uber ne sont pas près de s’arrêter Même si Uber disparaît un jour, celles-ci poursuivront leur dynamique », conclut Rémy Oudghiri. « Dans les années à venir, on assistera à une demande de plus en plus forte pour plus de transparence dans les relations avec les entreprises, les institutions, les politiques ; plus de considération en tant que client, citoyen, consommateur ; plus d’immédiateté dans les services et l’accès à l’information ; plus de souplesse dans les relations en général. Le tout porté par l’irrésistible croissance du monde digital ».

*Ces analyses reposent sur les données collectées à travers l’Observatoire des Français de Sociovision. Depuis 1975, celui-ci interroge chaque année un échantillon représentatif de 2000 Français âgés de 15 à 74 ans sur de très nombreuses dimensions : valeurs, opinions, état d’esprit, travail, loisirs, modes de consommation, etc.

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