20 février 2017

Temps de lecture : 6 min

« Une triple exigence pour le consommateur : transparence, santé et environnement »

Dans le rapport intime entre le consommateur et son alimentation, la raison s'efface souvent devant l'émotion. Entre la "bouffe" et nous, c'est une histoire affective avant tout. Explications avec Nicolas Trentesaux, directeur de SIAL Group.

Dans le rapport intime entre le consommateur et son alimentation, la raison s’efface souvent devant l’émotion. Entre la « bouffe » et nous, c’est une histoire affective avant tout. Explications avec Nicolas Trentesaux, directeur de SIAL Group.

Le Consommateur c’est comme le Français en politique, tout le monde parle à sa place en fonction de ce qui l’arrange. D’un « C » majuscule il en devient un nom propre qu’on ressort comme caution à chaque argumentaire, un titre honorifique déshonoré par ceux qui sont censés le servir, une place publique de lieux rendus trop communs. Mais quand nos dirigeants politiques nous prennent pour alibi sans autre fondement que leur seule interprétation subjective électoraliste -et c’est le jeu d’une démocratie transformée en foire de com- les marques et la pub se justifient par les études. Pour savoir ce qu’il veut vraiment mettre dans son estomac, son deuxième cerveau, les marques jouent peut-être plus que jamais sur l’émotion. On en parle avec Nicolas Trentesaux, directeur de SIAL Group.

IN : déceler les comportements alimentaires liés aux émotions est la première étape sur le chemin du mieux-être. Le développement de l’industrie agro-alimentaire passe-t-il par une meilleure captation des émotions du consommateur ?

Nicolas Trentesaux : le lien entre l’alimentation et l’émotion est très intime. L’alimentation a une dimension naturellement très affective impulsée dès l’enfance dans le rapport à la nourriture. Elle ne se contente plus d’être seulement le fuel dans le moteur, elle calme, rassure et encourage. Peu importe le temps et l’endroit dans le monde où nous sommes, l’alimentation reste le lien social qui réunit toute la famille. C’est en cela une valeur universelle au-delà de sa dimension physiologique, qu’on soit dans un pays très pauvre à partager un bol de riz sans saveur ou qu’on soit dans la surabondance des pays riches. Ici ou ailleurs, la fonctionnalité de l’alimentation reste finalement de réunir les gens et de partager.

C’est intéressant parce qu’au-delà de toutes les différences qu’on peut avoir entre êtres humains, la « bouffe » reste une valeur pour se retrouver. L’émotion est dans le rapport individuel du consommateur avec son alimentation. Par rapport aux marques il est de plus en plus imprévisible, incohérent voire lunatique. Il bascule en permanence entre du rationnel et de l’émotionnel. Les marques vont avoir de plus en plus de mal à se différencier par le produit lui-même. Elles vont donc avoir intérêt à capter l’attention du consommateur par la dimension ou la relation affective qu’elles vont réussir à établir avec le consommateur. L’orientation du marketing est donc d’établir ce lien en un-contre-un entre la marque, le produit et le consommateur. Le marketing a évolué pour passer d’un marketing de masse vers un marketing de la relation.

IN : la nourriture ne se contente plus de nous nourrir, même quand elle est épicurienne. Elle est désormais cause et/ou conséquence d’hygiène de vie. Quel impact a ce changement pour le Food ?

N.T. : comme l’a montré le Sial cette année, le consommateur est toujours dans une recherche de plaisir. C’est sa première attente, elle est par nature émotionnelle. Mais sur cette attente de plaisir le consommateur ajoute une mesure d’une triple exigence qui est la transparence, la santé et l’environnement. La transparence c’est le consommateur qui veut être sûr de sa consommation, qui exige une compréhension de ce qu’il mange et donc réclame de plus en plus d’informations. Cela oblige les marques à être de plus en plus transparentes. La deuxième exigence, c’est la santé puisqu’on va vivre de plus en plus longtemps et qu’on veut vieillir en bonne santé.

On prend de plus en plus conscience en Europe qu’il y a un lien entre bonne alimentation et bonne santé. Cette aspiration à la « naturalité » passe par le fantasme d’un retour au produit originel, brut, non transformé. Cette aspiration peut même emmener jusqu’à l’auto-production. La troisième exigence c’est l’environnement, induite par la problématique de devoir nourrir bientôt 9 à 10 milliards d’êtres humains. Cette aspiration est une responsabilité que projette le consommateur sur l’industriel mais dans les faits, il ne la traduit pas encore dans ses actes de consommation. Le respect de l’environnement vient derrière le plaisir, la praticité ou le prix dans ses critères d’achat.

IN : quel est aujourd’hui le poids réel de l’émotion sur les choix produits et marketing du food en France ?

NT : le consommateur balance entre le rationnel dominant et l’émotion moins raisonnée. La pression économique fait qu’on est tous dans une recherche du prix, donc dans un contrôle permanent qui domine l’expérience d’achat. On est d’abord là pour faire attention. En même temps le consommateur recherche à travers l’alimentation des occasions de craquer parce qu’au moins dans ce domaine là, il peut se permettre de le faire. Il est formaté pour être en contrôle en permanence et pourtant il cherche la moindre excuse pour basculer dans ce comportement émotionnel qui devient moins rationnel.

Dans ce cas raconter une histoire aide la marque et le marketing peut l’y aider. La cuisine reste un geste d’amour et il ne faut pas mélanger l’acte d’achat en magasin et la préparation à la maison. C’est universel, quel que soit le pays dans le monde, le lien à la préparation du repas reste un geste d’amour à partager. L’acte de cuisine est toujours un acte émotionnel. La signature de la marque Marie, il y a environ 17 ans, c’était « l’amour ça se cuisine tous les jours ». Aujourd’hui c’est « cuisiner, c’est aimer ». On reste dans le même message.

IN : la montée en flèche du bio reflète une tendance globale chez le consommateur. Ce label déclenche une émotion rassurante de ravissement qui est nouvelle pour les marques. Ont-elles toutes cerné les enjeux derrière cette appétence ?

N.T. : le bio a beaucoup évolué parce qu’il est sorti de son côté militant un peu terreux pour aller vers un bio très accessible, pas forcément en prix mais dans sa présentation et dans son caractère à cuisiner. Il a réussi à s’imposer comme étant une des réponses qui arrivent à lier plaisir et santé pour le consommateur. C’est un secteur qui double un peu partout et qui est en train de se développer au niveau mondial en termes de filières de production, parce qu’a priori, la demande est supérieure à l’offre. On a aussi toute une organisation qui est en train de se mettre en place. La manière de choisir évolue en fonction des tendances.

Aujourd’hui, comme nous sommes en Europe et notamment en France dans une société de surconsommation dans laquelle l’obésité monte, on essaye de corriger cela en s’intéressant à des produits qui sont autant santé que plaisir. Le bio est une manière de répondre à cette attente. Puisqu’on veut le meilleur possible pour soi-même et sa famille au-delà du geste d’amour que représente la cuisine, le label bio apporte une caution de qualité qui rassure Maintenant le bio a une limite, c’est son prix. Le consommateur au-delà de son intention a du mal à payer le premium sur ce type de produit.

IN : avez-vous en tête des exemples de campagnes « bio » récentes qui répondent à cette problématique ?

N.T. : c’est d’abord une stratégie de CRM destinée à mieux connaître un consommateur qu’on a longtemps mis dans des cages et qui aujourd’hui a un comportement plutôt fluctuant. Le marketing a évolué pour passer d’un marketing de masse vers un marketing de la relation. C’est une évolution qui s’étale sur 20 ans et non pas un changement radical qui date d’aujourd’hui.

IN : l’expansion des mouvements alimentaires radicaux (vegan, végétarien, paleo…) souligne une politisation alimentaire du citoyen. Comment l’industrie s’adapte-elle et est-ce la première étape vers un consommateur conscientisé émotif qui applique ses préceptes de vie dans son assiette ?

N.T. : la tendance dont vous parlez ne concerne qu’une minorité. Aujourd’hui toutes ces vagues de vegans, végétariens et paléos restent un effet de mode plutôt qu’un effet profond. On verra dans la durée si ça reste en l’état. Mais on est là dans le symbole des aspirations d’une génération en quête de sens, les génération X et Y. On peut utiliser l’alimentation pour affirmer sa personnalité et ses combats mais est-ce que ça durera ? Nous n’en savons rien. C’est un phénomène qui a été accentué aussi ces dernières années par les scandales alimentaires qu’on a pu connaître, que ce soit la viande de cheval ou les vidéos de L 214 et d’autres associations qui poussent à être de plus en plus militants dans nos comportements alimentaires. La réalité des statistiques aujourd’hui c’est une moyenne qui oscille entre 2 et 8%, peut être 10% maximum selon les pays. On s’oriente aussi vers moins de viande, une viande de meilleure qualité et plus de végétaux. C’est la réalité d’une recherche d’alimentation plus équilibrée.

IN : la collecte et l’analyse de la data n’ont jamais été aussi cruciales pour les marques d’agro-alimentaire, mais où sont précisément les enjeux ?

N.T. : la connaissance, le CRM et les outils de collecte de l’information sur le comportement du consommateur sont évidemment de plus en plus déterminants pour arriver à établir cette relation en « one to one ». Ils le sont moins pour le marketing de masse, c’est une évidence. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont des systèmes qui permettent au consommateur d’être demandeur de cette interaction. Les marques ont l’opportunité d’ouvrir beaucoup plus leurs portes pour casser le fantasme qu’il peut y avoir derrière les industriels montrés du doigt.

La data va permettre à la marque de pouvoir établir cette relation affective directe avec le consommateur. Cette dimension est forte et durable, beaucoup plus que la dimension rationnelle. Dans ce cadre là, l’IoT va devenir incontournable pour les marques. On n’est pas très en avance en France dans ce domaine. Paradoxalement des pays asiatiques, qui sont rentrés dans la consommation beaucoup plus tard, sont déjà allés dans un lien beaucoup plus fort avec le consommateur.

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