27 mars 2023

Temps de lecture : 6 min

« Toutes les étoiles se sont alignées pour BlaBlaCar, en 2022 », Nicolas Brusson

Nicolas Brusson est le co-fondateur avec Frédéric Mazzella et Francis Nappez de BlaBlaCar. Le CEO de la licorne française, qui réalise 75% de son chiffre d’affaires à l’international, a le moral au beau fixe. Si le Covid a touché de plein fouet la plateforme de covoiturage et de bus longue distance, 2022 marque l’année du renouveau pour le groupe qui s’est donné pour mission de devenir le premier agrégateur au monde de tous les transports terrestres existants.

INfluencia : comment est né BlaBlaCar ?

Nicolas Brusson : BlaBlaCar, qui s’appelait à l’origine covoiturage.fr, a été lancé en plusieurs étapes. Frédéric (Mazzella) s’est aperçu dès 2003 qu’il n’y avait pas d’offre sur le net qui lui permettait de rentrer chez lui en Vendée à moindre frais et sur la route, il ne cessait de voir des voitures vides à l’exception du conducteur. Lors d’une des réunions de jeunes entrepreneurs qu’il organisation chez lui, il a rencontré Francis (Nappez). J’ai rejoint ce duo en 2006 quand j’ai fait la connaissance de Fred à l’Insead. Ensemble, nous avons élaboré un projet au sein de la classe « new business venture » qui détaillait les grandes lignes de ce qu’allait devenir BlaBlaCar

IN : votre succès a été immédiat ?

N. B. : loin de là. Nous sommes arrivés un peu trop tôt sur ce marché. Les premiers business angels que nous avons rencontré nous disaient que notre idée n’était rien d’autre qu’une offre d’autostop en ligne et que cela ne ressemblait en rien à un vrai business. A cette époque, les investisseurs pensaient tous qu’une offre sur le net devait d’abord être un succès aux Etats-Unis avant de pouvoir s’exporter dans un autre pays et comme le covoiturage en ligne n’existait nulle part, personne ne croyait en nous. La crise financière de 2008 ne nous a pas aidé non plus. Comme nous n’avions aucun revenu, nous travaillons à temps partiel sur ce projet. Après six ans dans des start-ups de la Silicon Valley et mon MBA à l’Insead, je bossais à Londres dans le capital-risque. Il nous a fallu attendre 2010 pour boucler notre première levée de fonds qui atteignait à peine 1,2 million d’euros mais pour moi, l’histoire commerciale de BlaBlaCar début réellement en 2012 lorsque la société américaine de capital-risque Accel Partners a accepté de nous donner 10 millions de dollars pour nous développer. A l’époque, aucun investisseur français ne voulait nous soutenir. Fin 2011 soit quatre ans après notre création, la société comptait à peine dix salariés. Les start-ups de nos jours ont autant de personnel au bout de six mois…

IN : vous n’avez jamais pensé jeter l’éponge durant ces années ?

N. B. : de très nombreuses fois. Si nous n’avions pas été trois pour nous soutenir les uns les autres, BlaBlaCar aurait disparu sans aucun doute.

IN : les premiers fonds que vous avez levé vous ont servi à quoi ?

N. B. : à nous développer à l’étranger. A l’époque, le start-ups du web étaient des « single country winners ». Nous, nous voulions tout de suite devenir mondial et Accel Partners, qui avait déjà investi dans Dropbox et Facebook, comprenait notre logique. Nous avons en conséquence exporter notre business model sur de nombreux marchés dont l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et l’Inde. Aujourd’hui, 75% de nos revenus sont générés hors de France. Par contre, 500 de nos 700 salariés sont basés dans l’hexagone car tous nos algorithmes et notre développement produits sont faits ici. Nous sommes, il faut le rappeler, une place de marché, pas une entreprise de transport.

IN : comment vous êtes-vous développés si rapidement à l’international ?

N. B. : notre modèle est un mix d’acquisitions de sociétés locales souvent très petites avec deux ou trois salariés et quand aucun service comparable au nôtre existe sur place, nous ouvrons une filiale en recrutant des collaborateurs sur place. Aujourd’hui, nous comptons plus de 120 millions de membres et nous sommes présents dans 22 pays. Nous sommes notamment très fort en France, en Espagne, en Allemagne, en Pologne, au Brésil, au Mexique, en Inde et en Turquie. A l’opposé, l’Italie et le Royaume-Uni ne rencontrent pas le succès attendu et nous ne nous sommes jamais lancés aux Etats-Unis.

IN : comment expliquez-vous ces contre-performances ?

N. B. : plusieurs facteurs peuvent les expliquer. Aux Etats-Unis, le prix du carburant est beaucoup moins élevé qu’en Europe et le pouvoir d’achat est un peu plus supérieur. Le covoiturage ne fonctionne pas non plus dans des pays qui n’ont pas de bons transports en commun car généralement, vous avez besoin du bus ou du métro pour vous rendre à l’endroit où le conducteur va vous prendre dans sa voiture et pour rejoindre votre destination finale après que le chauffeur vous a laissé à un carrefour ou près d’une gare. Dans d’autres pays, les bus sont si bon marché que le covoiturage n’est pas réellement compétitif. Pour séduire à la fois les conducteur et les passagers, nous devons aussi atteindre une certaine taille critique sur chacun des marchés où nous sommes présents et ce point d’équilibre n’est pas facile à trouver partout. La morale de notre histoire est qu’il est important de se lancer dans un maximum de marché, d’insister quand la sauce prend et de repartir quand ce n’est pas le cas.

IN : pourquoi vous êtes-vous lancé dans les bus longue distance ?

N. B. : en 2017-18, nous avons traversé notre crise de puberté. Nous avons besoin de faire le ménage dans notre maison et de faire un certain triage. Au-delà de l’international, nous devions trouver le prochain poumon de notre croissance et quand notre objectif est de devenir une plateforme multimodale de transport terrestre, le bus nous est apparu comme une évidence.

IN : quel est votre business model sur ce marché ?

N. B. : nous agrégeons les offres d’opérateurs existants. En France où les bus, que nous ne possédons pas, sont à nos couleurs, nous payons aux transports un tarif fixe pour chaque trajet et nous partageons les revenus des tickets vendus. Dans tous les autres pays, nous percevons entre 10% et 15% des tarifs payés par les passagers qui utilisent notre plateforme pour réserver leurs billets. Le bus représente aujourd’hui un quart de nos revenus que nous ne dévoilons mais ce secteur est celui qui se développe le plus rapidement chez nous.

IN : quel impact le Covid a-t-il eu sur vos activités ?

N. B. : le Covid a fait chuter de 30% notre activité en 2020 et 2021. Ce recul est un coup très dur pour une start-up mais il reste raisonnable comparé à celui enregistré par les autres acteurs de notre secteur. En 2022, toutes les étoiles se sont alignées pour nous. La hausse brutale du prix du carburant, la baisse du pouvoir d’achat, la fin des restrictions et la volonté de protéger l’environnement plaident tous en la faveur du covoiturage. Le chiffre d’affaires record que nous avons enregistré l’an dernier est deux fois supérieur à celui de 2021.

IN : vous avez été une des toutes premières licornes en France. Ce statut vous a-t-il apporté quelque chose ?

N. B. : le statut de licorne est un concept marketing qui ne veut pas dire grand chose dans la réalité. Parmi toutes les licornes qui sont apparues ces deux dernières années, combien aujourd’hui pourraient encore prétendre à ce statut depuis la chute de la bourse ?

IN : quelle a été l’impact sur vos activités de la guerre entre l’Ukraine et la Russie où vous êtes présent ?

N. B. : nous avons racheté il y a plusieurs années de cela une société locale qui était présente à la fois en Ukraine et en Russie. Suite à la guerre, nous avons isolé en avril dernier toutes nos activités en Russie qui fonctionnent aujourd’hui de manière totalement autonome. Nos activités en Ukraine, qui emploient 70 personnes dont 45 sont toujours sur place, sont, elles, totalement intégrées à celles du groupe. Cette filiale continue de fonctionner d’une façon assez admirable. Elle a permis au début de la guerre aux Ukrainiens de se déplace quand les bus et les trains ne fonctionnaient plus.

IN : à quoi ressemblera BlaBlaCar dans deux ou trois ans ?

N. B. : nous nous apprêtons à connecter des milliers d’opérateurs de bus en Inde pour offrir un service comparable à celui proposé en France qui reste notre laboratoire de nouveaux produits. Nous devrions proposer des trajets en train dans l’hexagone dès l’année prochaine. Le plus gros de notre travail consiste toutefois à convaincre les particuliers à tester le covoiturage. En Europe, 80% des trajets compris entre 100 et 600 kilomètres se font toujours en voiture. C’est un marché potentiel énorme pour nous et le plan en faveur du covoiturage annoncé par le gouvernement français va nous aider. A terme, nous allons devenir, comme je vous l’ai dit, un agrégateur de tous les transports terrestres existants. Sur nos marchés, les fondamentaux actuels sont très, très bons…

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