15 novembre 2017

Temps de lecture : 5 min

« Tout le monde devrait apprendre le code créatif »

Un geek au musée ? C’est au MoMA que ça se passe, entre autres. Grande figure du creative coding, Jon McCormack est aussi prof d’informatique à Melbourne et directeur du Sensilab. Autant dire qu’il fait artistiquement corps avec la machine. L’informatique l’a séduit tout petit, elle est devenue son outil... et sa muse. On en sait plus.

Un geek au musée ? C’est au MoMA que ça se passe, entre autres. Grande figure du creative coding, Jon McCormack est aussi prof d’informatique à Melbourne et directeur du Sensilab. Autant dire qu’il fait artistiquement corps avec la machine. L’informatique l’a séduit tout petit, elle est devenue son outil… et sa muse. On en sait plus.

INfluencia : dans votre travail vous vous êtes souvent intéressé à des processus génératifs. Pourriez-vous décrire un exemple ?

JON McCORMACK : oui, «Fifty Sisters», une œuvre créée pour le musée Ars Electronica [Autriche], illustre parfaitement ce processus. Il s’agit d’une série de cinquante images évolutives créées à partir d’un modèle de la croissance des plantes. À la base, j’ai choisi d’utiliser des logos de compagnies pétrolières. J’ai repris des éléments géométriques de ces logos qui viennent nourrir le modèle de développement. Ensuite, j’utilise une grammaire, un ensemble de règles qui modélisent l’évolution d’une plante – à l’origine, cette grammaire permet de représenter la structure de plantes du Jurassique. J’utilise cette grammaire dans un processus itératif, qui alterne des étapes de calcul par l’ordinateur et des choix de ma part. D’abord, à partir des logos pétroliers, l’ordinateur calcule une première génération de plantes en appliquant la grammaire. Cela produit plusieurs plantes parmi lesquelles je choisis celles qui me semblent les plus étranges, ou intéressantes. Et l’on recommence. C’est donc bien l’humain qui conduit l’algorithme.

De cette façon, les plantes sont réellement constituées d’éléments graphiques des logos. Les images finales ont des structures très complexes, et elles sont calculées à très haute définition de façon à ce que l’on puisse zoomer dans les plantes et découvrir de nouveaux détails.

IN : c’est un sacré travail !

JMC : oui. En fait, la partie la plus dure a été de calculer le rendu. J’avais loué une ferme d’ordi- nateurs, mais au bout de 24 heures nous nous sommes fait jeter dehors parce que nous consommions trop de temps de calcul ! Alors, nous avons installé le programme qui calcule le rendu, petit morceau d’image par petit morceau d’image, sur tous les ordinateurs inutilisés du labo, ceux de tout le monde… C’est impressionnant, car la grammaire qui sert à faire les générations est très courte, elle fait dix lignes, et elle génère pourtant des objets extrêmement complexes.

IN ; comment avez-vous découvert l’informatique ?

JMC : j’ai toujours aimé les ordinateurs, depuis l’enfance. Dans mon école, il y avait un ordinateur, un seul, c’était un TRS-80 de Radio Shack. Personne ne voulait l’utiliser. Je l’ai trouvé fascinant parce qu’il faisait des calculs et qu’il permettait de générer des choses. Le TRS-80 avait des gra- phismes très crus, mais on pouvait faire des images avec, allumer des pixels, les éteindre… D’abord, je l’ai utilisé pour dessiner des fonctions, et puis j’ai commencé à écrire mes propres programmes : je voulais voir les fonctions en 3D. Aujourd’hui, la 3D est une technique couramment utilisée, mais ce n’était pas le cas alors ! Donc j’ai programmé une visualisation 3D. Elle n’était pas parfaite, mais elle me suffisait. C’est là que j’ai compris que l’ordina- teur permettait de faire des films, de l’animation, de l’interaction. Il faut dire que c’est fascinant de construire un espace et un temps qui reflètent la réalité, même si cette réflexion n’est pas parfaite.

IN : est-ce qu’il y a aujourd’hui de nouveaux langages artistiques basés sur les données numériques ou l’algorithmique ?

JMC : c’est une question difficile. Je ne crois pas que l’ordinateur soit accepté, en soi, dans le courant dominant de l’art contemporain (mainstream art). Il y a des résistances. Par moment, le monde de l’art accepte l’ordinateur, puis il le rejette. Je ne pense pas que l’on puisse dire que les ordinateurs soient devenus centraux dans la pratique artistique. Mais je crois que l’informatique a ouvert des possibilités artistiques, qu’elle apporte quelque chose de réellement nouveau. C’est un peu comme le bleu. Autrefois, on ne savait pas fabriquer la couleur bleue. Dans l’histoire de l’art, la découverte du bleu a été un événement important. C’était une question scientifique, un vrai problème technologique. Lorsque l’on a commencé à le fabriquer, le bleu était cher. Dans les peintures du début de la Renaissance, on ne l’utilisait que pour les personnes très importantes. Pour moi, l’ordinateur suit un chemin similaire à celui du bleu. C’est vrai dans l’art pictural, mais aussi dans la musique, le cinéma, l’architecture…

IN : pensez-vous que les artistes doivent apprendre l’informatique ?

JMC : je ne le formulerais pas de façon aussi stricte. Je ne dirais pas qu’ils en ont besoin, c’est un terme trop fort, mais qu’ils devraient. Au-delà des artistes d’ailleurs, tout le monde devrait apprendre au moins un peu d’informatique. C’est indispensable pour comprendre le monde, au même titre que les mathématiques ou les autres sciences. C’est important d’ajouter aux cursus de formation la pensée algorithmique et la programmation. Et cela ouvre de nouvelles possibilités pour tout le monde, comme aucun autre médium ne le fait.

IN : est-ce que le code créatif est une activité similaire à la programmation classique, ou différente ?

JMC : je crois que c’est juste un outil pour la créativité, car toutes les activités créatives ont été numérisées. C’est lié à ce que nous disions tout à l’heure : les gens qui travaillent dans le design, la musique ou l’architecture, utilisent l’ordinateur tout le temps, même si ce n’est que pour éditer des fichiers. Prenons l’exemple de Photoshop ; c’est un outil fabriqué par d’excellents développeurs, qui y ont ajouté d’excellentes fonctionnalités. Mais ce sont « leurs » fonctionnalités. Quand on l’utilise, on n’exprime pas ses idées, mais les leurs. Et tout le monde fait la même chose !

IN : dès lors, la question devient : voulez-vous exprimer votre créativité ou celle de quelqu’un d’autre ?

JMC  : ici, nous avons un projet en cours d’examen avec l’université de Sydney pour enseigner le code créatif aux biologistes. Ils ont de gros besoins en visualisation de données statistiques et ils utilisent en général des outils dédiés très classiques, comme Excel ou le langage R [logiciel libre de traitement des données et d’analyse statistiques de référence, ndlr]. Mais l’outil a une énorme influence sur ce que l’on fait et la façon dont on perçoit les choses. Nous voulons leur apprendre à fabriquer leurs propres outils. Tout le monde devrait apprendre le code créatif : les ingénieurs, les biologistes, les chimistes…!

IN : dans le futur, quelle technologie vous ferait vraiment rêver ?

JMC : pour certains projets, nous avons eu ici des interfaces avec le cerveau. Pendant longtemps, la conception des ordinateurs s’est faite sans consi- dérer le corps humain. On accordait peu d’importance au fait que nous sommes incarnés dans un corps. Regardez le clavier ! Maintenant, on a les écrans tactiles. La question est maintenant de concevoir des machines qui fonctionnent avec nos corps. Regardez les travaux de l’artiste australien Stelarc sur l’obsolescence du corps humain. Il s’agit de se réapproprier la technologie. Alors que l’on voyait l’ordinateur comme un outil externe, le corps devient un outil d’interaction. C’est le même principe que la canne pour les aveugles : au début, quand on a une canne, on la voit comme un objet externe. Mais on peut l’utiliser pour tester une surface par exemple, ou pour sentir un mur. Elle devient une extension du corps. Je pense que l’on peut voir la technologie comme une extension du corps humain.

Propos recueillis par Charlotte Truchet

Article publié dans la revue sur la Curiosité

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