Rémy Oudghiri a présenté les premiers résultats de l’édition 2014 d’IPSOS Trend Observer *. Le thème de l’année sera le « blurring », anglicisme pour désigner une zone floue produite par un monde hybride dans lequel les lignes ne cessent de bouger. Les « InnO’vents », friands de synthèses sociétales, étaient présents afin de rapporter aux lecteurs d’INfluencia les tendances détectées et quelques savoureux exemples identifiés par IPSOS. Mots-valises, acronymes et oxymores font apparaître le « blurring » autour de cinq axes.
Le brouillage des frontières du corps
On n’est plus obligé d’être un homme ou une femme. Au cœur des débats sur le mariage pour tous, on a bien vu l’hybridation des genres et des vies. L’Allemagne est devenue le premier pays européen à reconnaître officiellement un troisième genre, sexe indéterminé ou « transgenre ». Ainsi un homme transgenre, né femme, a défrayé la chronique en accouchant, en mars dernier, d’un petit garçon. Le premier en Europe.
Plus on vieillit, plus on rajeunit. Auparavant, l’âge de 50 ans sonnait le glas de la jeunesse pour les femmes. Aujourd’hui, les mêmes deviennent de dynamiques « quinquados », portées par des icônes telles que Sharon Stone ou Madonna. Il en est de même chez les hommes, surtout après un divorce. A la maturité, on connaît bien ses forces et ses faiblesses pour s’épanouir et (re)commencer une vie. Et c’est sans compter l’aide technologique qui pourrait faire de nous, un jour des trans-humains immortels.
Le renversement des modèles économiques et culturels
Le Sud inspire le Nord. Désormais, on voit apparaître de nouvelles marques exotiques telles que Tata, Huawei, Natura…. Elles feront, de plus en plus, partie de notre quotidien. Par ailleurs, dans le Nord en crise, on s’inspire, de plus en plus, des tactiques de pays émergents pour innover à moindre coût. Ainsi Navi Radjou enseigne l’innovation Jugaad (ou innovation frugale), dont INfluencia s’est fait l’écho, pour apprendre aux entreprises traditionnelles à faire plus avec moins, comme en Inde.
Le bas pousse le haut. L’innovation ne sera plus l’apanage de la R&D mais de tous, y compris les collaborateurs par voie ascendante, brouillant ainsi les codes de la hiérarchie et des métiers. Avec l’apparition de l’impression 3D, chacun pourra aussi, potentiellement, fabriquer chez soi ce qui était, jusqu’alors, réservé aux entreprises et leurs usines.
Les mariages de la fiction et de la réalité
On n’arrête pas de se mettre en scène. Le mot « selfie », qui désigne un auto-portrait pris avec son smartphone, vient d’être consacré mot de l’année par les dictionnaires d’Oxford. En 2013, 48% des Français utilisent leur smartphone pour se prendre eux-mêmes en photo. Ils n’étaient que 25% en 2012, estime IPSOS.
On acclame une star virtuelle en concert. Hatsune Miku remplit les salles, au Japon, alors qu’elle n’est qu’une « vocaloïde », qui est à la chanteuse ce que l’humanoïde est à l’être humain. Elle a acquis une notoriété telle que le nombre de visionnages de ses clips sur Internet dépasse celui de Lady Gaga.
La ville devient une réalité augmentée. C’est la « smart city » ou ville intelligente. On parle à la ville et la ville nous répond sur un mode interactif à la manière d’une timeline affinitaire Facebook. On s’attend à trouver immédiatement tout ce qui nous intéresse.
Apprendre et travailler demain
Au travail, on mélange vie professionnelle et vie personnelle. On n’hésite moins à s’occuper d’affaires personnelles urgentes pendant son travail, quitte à rattraper le temps, le soir ou le week-end. De plus en plus de collaborateurs travaillent depuis leur domicile ou en situation de mobilité, sans bureau fixe. 56% des moins de 30 ans seraient prêts à travailler depuis leur domicile, estime IPSOS. Quand on va au bureau, on y apporte aussi ses propres terminaux souvent plus à la pointe que ceux fournis par l’entreprise. Ce sont les BYOD (Bring Your Own Device).
On a plusieurs métiers dans une vie. On a parfaitement intégré que, désormais, on n’aura plus le même métier tout au long de sa vie. Les travailleurs comme les entreprises vont devoir s’adapter. Les « slashers » exercent déjà, quant à eux, plusieurs métiers en même temps. D’abord en réponse à la précarité de l’emploi et des revenus, cette posture de couteau suisse pourrait devenir un mode de vie idéal. On n’apprend plus seulement à l’école. Avec l’explosion des MOOC (Massive Open Online Courses), on peut se fabriquer sa propre éducation sans passer par une seule école en particulier. 70 universités et écoles à travers le monde, telles que Harvard, délivrent ainsi des diplômes.
Le « blurring » du quotidien
Le soir devient le matin. A Londres, Morning Glory ouvre le matin de 6h à 10h pour faire danser les travailleurs comme dans un « night club », et rompre la monotonie du « métro-boulot-dodo ». La formule connaît un succès tel que Morning Glory envisage de l’adapter directement dans les locaux des entreprises à partir de janvier.
Le fast food sera premium. On n’a pas de temps, il faut manger vite, pas cher et bon. C’est la « bistronomie » simple et de qualité. De nouveaux chefs cassent ainsi les codes. Idem pour la télé, n’importe où et n’importe quand. On se dirige vers une consommation plus personnalisée des programmes, avec notamment l’explosion du replay. 68% des téléspectateurs français l’auraient déjà expérimenté, selon IPSOS.
Au final, face à ce brouillage des pistes généralisé, deux postures sont possibles: résister ou s’adapter. Pour la première option, on remettra en place des frontières rassurantes: des territoires (exemple: le made in France) ou des communautés (exemple: le halal). On quittera les réseaux sociaux habituels pour en choisir d’autres plus limités, plus intimes (exemples: Path, Pair). Quand à la deuxième option, on y va franchement. Ce monde est fou, soyons fous avec lui ! C’est ce qui faisait dire à IPSOS que la situation actuelle est une opportunité pour sortir des sentiers battus et redessiner sa propre trajectoire. Tout est possible: c’est ce qu’on appelle innover, et ce, tant au niveau des individus que des entreprises.
Chantal Garnier, Les InnO’vents
*Chaque année depuis 1997, Trend Observer détecte, explique et hiérarchise les tendances qui vont se développer dans le futur. L’analyse repose sur plus d’une soixantaine d’interviews conduites dans six pays (France, Grande-Bretagne, Suède, Italie, Etats-Unis, Japon) auprès de trend setters et d’experts, ainsi que sur une veille annuelle réalisée dans chaque pays. La version finale 2014 sera disponible en mars, en souscription.