Désormais il ne faut plus parler seulement des « natifs du numérique » pour les 15-25 ans ou des « migrants digitaux » pour les plus âgés mais d’un seul et même groupe baptisé la « Génération #Hashtag ».
Telle est la conclusion de la toute dernière étude annuelle menée par Bain & Company (*) en partenariat avec le Forum D’Avignon (*). Plusieurs raisons expliquent cette redistribution des cartes qui tend vers le tout numérique. Tout d’abord, pour 20% des jeunes Occidentaux de 15 à 18 ans (soit 3 fois plus que les 35 ans et +), le bon vieux média audiovisuel physique est tout sauf utile, au point de n’y avoir jamais recours pour regarder des vidéos. Mieux, plus des 2/3 des 15-25 ans (contre moins de la moitié des 35 ans et +) font davantage confiance aux médias sociaux et aux recommandations qu’ils y trouvent pour choisir leur contenu média : vidéos, musiques et livres. Ensuite leurs aînés ont adopté ces mêmes canaux avec enthousiasme et rapidité notamment pour consommer de la musique (78%) et de la vidéo (96%), comblant naturellement l’écart des générations. Enfin, la confirmation des formats numériques courts, participatifs et diffusés en streaming dont les champions sont Spotify, Twitch, Supercell ou King… se posent pour tous ces utilisateurs comme de vraies alternatives de consommation de contenus à des YouTube, iTunes et autres Facebook aux formats longs, premium et téléchargés à l’unité. Même l’édition s’affranchit des barrières entre texte, vidéo, musique et interactivité pour innover : Amazon expérimente ainsi des œuvres d’un genre nouveau avec ses Kindle Singles, livres électroniques de format court à mi chemin entre l’article et la nouvelle.
Capter le prochain milliard de spectateurs trop jeunes pour se souvenir du monde avant ou au début d’Internet
Résultat, la question de l’âge est bel et bien transcendée et ne peut plus constituer la bonne approche marketing et créative de ces publics. Or cette « nouvelle vague » d’audiences qui représente déjà en cumulé 55% de la population (53% en France) et qui relègue loin derrière elle les irréductibles de l’analogie (10%), doit requérir toutes les attentions. D’autant plus qu’en anticipant ses attentes et en la surprenant on la fidélise mieux. Si les 15-25 ans sont déjà 84% à posséder un smartphone dans les pays occidentaux, ils ne sont encore « que » 58% au Brésil et en Russie et 36% en Chine et en Inde… Un taux d’équipement qui a d’une part toutes les chances de croître en même temps que son lot d’habitudes et d’usages sans cesse renouvelés grâce aux progrès des nouvelles technologies. Et d’autre part qui devrait permettre aux pays émergents de sauter l’étape des modèles historiques de distribution et de monétisation, sources récurrentes et graves de piratage. Pour, par exemple, préférer des modèles économiques innovants ou dits « freemium » qui visent à vendre des options payantes aux clients d’un service gratuit.
L’Europe au cœur du processus
Ce public clé vital à capter est à la portée des entreprises et des marchés culturels européens pourvu qu’ils jouent de leurs atouts. Parmi ces derniers, l’Europe peut compter sur l’accès à de vastes marchés d’exportation grâce à ses liens culturels et linguistiques forts, sur des conglomérats puissants capables de s’étendre globalement depuis leur base européenne, ses poches de cultures innovantes et aguerries au numérique et sa diversité culturelle pouvant s’adresser à des audiences diverses à travers le monde. Toutefois, elle doit mener une stratégie industrielle pour encourager ses champions du contenu, favoriser l’investissement dans les industries créatives, préserver la diversité des œuvres et bâtir un écosystème culturel propice à l’innovation. Et pour ce faire, elle doit répondre à trois conditions.
Se révolutionner pour anticiper, surprendre et fidéliser
– Investir dans les formats natifs et animer plutôt que subir pour accéder aux modèles de création et de distribution en croissance et rassembler les données. Ce qui passe d’abord par des approches mixtes, incluant en permanence et en continu des éléments collaboratifs. Puis par l’obligation pour l’industrie des médias à réapprendre à équilibrer son portefeuille entre les franchises à forte puissance de frappe et une série de projets innovants de plus petite envergure, menés par les utilisateurs et des innovateurs du monde entier. Ainsi, l’acquisition par Disney de Maker Studio représente bien plus que l’opportunité de sécuriser une présence solide auprès de la Génération #hashtag avec une audience de 320 millions d’abonnés, c’est aussi l’occasion de s’essayer librement sans se mettre en danger et d’obtenir une expertise de premier choix sur les algorithmes indispensables à la génération d’audience et qui pourront servir ses autres marques.
Même démarche pour les organisations qui devront aussi s’adapter à ces nouveaux formats non seulement pour imiter les modèles à bas coûts des start-up, mais aussi pour proposer leurs propres innovations, combinant expertises internes et externes, talents établis ou en devenir, afin de créer des œuvres uniques et différentes.
– Repenser les modèles de monétisation, dépasser l’alternative traditionnelle entre contenus payants ou financés par la publicité pour développer une palette diversifiée de monétisation des contenus en mettant la donnée d’usage au centre du dispositif. Car l’exploitation de cette dernière à des fins publicitaires pourrait se révéler une vraie source de revenus, notamment dans les pays où les consommateurs ont peu de moyens à consacrer à leur budget culturel. Ce qui permettrait d’établir un équilibre entre le gratuit et le payant, pays par pays, segment par segment dans une logique de portefeuille de modèles appliqués à différentes situations économiques.
– Renforcer l’alliance entre métiers de contenus, industries technologiques et réseaux de communication. En définissant les équilibres économiques qui inciteront les éditeurs de contenus, les plates-formes numériques et les opérateurs télécoms à investir dans les nouvelles expériences culturelles numériques. Car de cette association dépend un streaming de bonne qualité des réseaux et des connexions haut-débit. Or ce dernier est le deuxième critère après celui du contenu qui décide les utilisateurs à adopter de nouvelles plates-formes numériques culturelles. Un échange de bons procédés parfaitement bien compris par Orange, en France, qui a investi dans le service de streaming musical Deezer et qui l’a déployé largement sur ses offres premium . Lui permettant ainsi de se différencier face à de multiples concurrents. Autre axe possible celui proposé par exemple par le CSA qui a suggéré que les plates-formes numériques devraient bénéficier d’un accès différencié à la bande passante des opérateurs en échange d’un engagement tangible d’investissement dans les œuvres culturelles. Et à juste titre, car l’étude révèle que 46% des répondants en Occident, sont ouverts à une certaine forme d’accès différencié (cad optimisé) au réseau tandis que 31% se disent prêts à payer davantage pour profiter d’une expérience supérieure. Mais l’affaire n’est pas gagnée car à l’inverse 23% accepteraient que celle-ci soit moins bonne si cela leur permet de payer moins cher. Décidément, tout reste à faire, mais il y a urgence car à la clé, il s’agit de capter le prochain milliard de spectateurs.
Florence Berthier
(*) Menée en juillet 2014, auprès de 7098 consommateurs de 15 ans et plus en Europe (3500), USA(1000) et dans les BRICS (2500).
Découvrez l’intégralité de l’étude ci-dessous
La Génération #Hashtag par Bain & Company pour le Forum d’Avignon publié par INfluencia