TikTok peut-t-il nous transformer en influenceur « maison » avec son espace e-commerce ?
L’arrivée en grande pompe de TikTok Shop aux États-Unis, soit le service de commerce en ligne de la plateforme chinoise, annonçait une révolution quant à notre manière d’intéragir avec les marketplace et de concevoir l’e-commerce. Un an plus tard… le pari a-t-il été remporté ?
Après quelques années à tester leur bébé et à calibrer son algorithme, les têtes pensantes de TikTok lançaient – enfin – leur espace e-commerce aux États-Unis à la rentrée 2023. Plus communément appelé TikTok Shop, cette nouvelle fonctionnalité permet aux créateurs de contenu, même les plus modestes, de vendre des produits directement depuis leurs posts, sans avoir à quitter l’application donc. Ou comment favoriser un espace dynamique pour que les marques et les créateurs puissent interagir avec leur public de manière plus significative en combinant les interactions sociales inhérentes à la plateforme avec le commerce en ligne.
D’autant plus que ce positionnement fait directement écho à la manière qu’ont les utilisateurs de consommer TikTok – et les étasuniens ne sont pas en reste – qui aiment parcourir le réseau social pour dénicher de bonnes affaires et capter les trends du moment. Un exemple tout bête : à l’occasion du prime day de l’année dernière, un évènement commercial d’Amazon qui casse les prix des produits commercialisés en son sein, les vidéos estampillées du hashtag #primeday2023 ont été vues 400 millions de fois en moins de 48h sur TikTok, selon des chiffres donnés par le site Marketplace Pulse.
Bien sûr, tout ce trafic avait été canalisé vers Amazon… mais une telle viralité a peut-être eu l’effet de pousser TikTok à se lancer sur le e-commerce. Un marché potentiellement lucratif, surtout pour un réseau social qui compte déjà des millions d’adeptes à travers le monde… et qui a eu l’occasion d’éprouver son offre pendant plus d’un an sur les marchés asiatiques.
Un passage outre-Atlantique en second temps
En juin 2023, un an après le lancement réussi de TikTok Shop en Asie du Sud-Est, Shou Zi Chew, le PDG de la plateforme, annonçait même qu’il allait « investir des milliards de dollars en Indonésie et en Asie du Sud-Est au cours des prochaines années ». On peut le comprendre : rien qu’en Indonésie, l’application comptait autour de 127 millions d’utilisateurs en janvier de cette année – dont 2 millions de vendeurs sur son shop – pour un total de 325 millions en Asie du Sud-Est. Sa deuxième plus large audience après les quelque 150 millions d’utilisateurs étasuniens qui la composent, selon une étude de Statista. Si l’on vous dit tout ça, c’est pour que vous réalisiez l’état d’esprit probable du board de l’application au moment de se lancer à la conquête du e-commerce étasunien, à savoir plein d’espoir et d’optimisme…
… et parmi toutes ces belles promesses de croissance – et d’hégémonie culturelle ? – c’est bien la faculté disruptive de ce service sur le segment du marketing d’affiliation qui a immédiatement retenu l’attention des observateurs. Également appelé marketing de partenariat, le principe de cette technique est d’« engager » les affiliés ou partenaires – en l’occurrence pour TikTok, les utilisateurs eux-mêmes pour promouvoir les produits et services d’autres sociétés sur leur site web en échange d’une commission. Presque la promesse d’un avenir tout tracé en tant qu’influenceur… à condition que votre contenu trouve son audience, bien évidemment.
Prendre l’industrie à contre-pied
Au contraire de la majorité de ses concurrents – plus exigeants –, TikTok autorise les créateurs à devenir affiliés dès qu’ils ont franchi la barre des 1 000 followers. Ils pourront ensuite parcourir le Shop pour consulter les produits éligibles, demander des échantillons gratuits, réaliser leurs vidéos et toucher des commissions généralement comprises entre 10 et 30 % sur les ventes effectives provoquées par leurs vidéos. De son côté, TikTok se garde 8% du gâteau.
Comme l’expliquait cet été Juozas Kaziukėnas, fondateur de Marketplace Pulse, dont nous avons déjà parlé, aux journalistes de Restofworld : « Sur une plateforme comme Instagram, il est très peu probable qu’une personne ayant 1 000 followers se voie proposer un accord similaire, notamment parce que le suivi de leurs ventes pour une marque relèverait vite du cauchemar (…) TikTok élargit le nombre d’influenceurs potentiels à des millions d’utilisateurs, voire plus ». Preuve que la plateforme assume parfaitement son positionnement plus… démocratique, en quelque sorte, TikTok avait déclaré en début de l’année qu’elle allait tester un seuil de followers plus bas pour les créateurs affiliés dans le but d’offrir des opportunités de monétisation à un plus grand nombre de créateurs, selon une déclaration envoyée par courriel.
La micro-influence comme horizon
Comme l’explique Kyle Evanko, un ancien employé de ByteDance, la société mère de TikTok, qui dirige aujourd’hui le cabinet de conseil Evanko Consulting Group, grâce à l’algorithme de TikTok, lorsqu’un produit devient populaire, davantage de créateurs en parlent dans l’espoir de toucher une commission. Un processus qui crée « un magnifique effet boule de neige qui a conduit des dizaines, voire des centaines d’entreprises aux États-Unis à devenir virales sur TikTok Shop »… tout comme des milliers de créateurs indépendants.
Pour mener à bien leur article, cité précédemment, les journalistes de RestofWorld ont rencontré quelques-uns de ces entrepreneurs qui n’auraient jamais rencontré le succès sans la politique de TikTok. Des entrepreneurs tels que Brandy Leigh, par exemple. Après avoir passé la plupart de sa vie à élever ses six enfants dans l’Indiana, cette femme au foyer de 50 ans a commencé à produire des vidéos d’elle-même en train de tester différents produits pour son audience de 1000 followers en mai dernier. À peine six mois plus tard, elle en compte désormais 30 000 et a réussi à générer 95 000 dollars de commission sur la même période.
Tout à fait consciente de ce qui se joue, la Tiktokeuse a déclaré : « Les personnes comme moi, qui font leur métier depuis leur domicile, semblons plus légitimes et dignes de confiance pour les utilisateurs. Non seulement les entreprises n’ont pas besoin de nous payer autant que les grandes célébrités mais en plus elles profitent de cette capacité qu’ont leurs clients à s’identifier à nous ».
Brandy Leigh, a 50-year-old mother of six in Indiana, was looking for a career that would allow her to work from home. She found it on TikTok Shop https://t.co/ypAjwtHJnvpic.twitter.com/0f976uIYx4
Les premiers mois de TikTok shop aux États-Unis ont donc naturellement été couronnés de succès, la plateforme atteignant rapidement un volume brut de marchandises de plus de 33 millions de dollars en une seule journée pendant les ventes du Black Friday. Une réussite éclair qui semblait annoncer une nouvelle ère pour le commerce social. Mais malgré ces débuts prometteurs, TikTok Shop fait désormais la grise mine. En effet, selon l’agence Bloomberg, la plateforme chinoise visait un volume d’affaires de 17,5 milliards de dollars cette année aux États-Unis mais Juozas Kaziukėnas, toujours lui, estime qu’elle ne dépassera pas la barre des dix milliards. Sans vouloir tirer sur l’ambulance, nous n’en sommes pas encore là, c’est « à la fois un échec et un succès », selon l’analyste.
Résultat, c’est le taux de croissance du chiffre d’affaires global de TikTok qui en pâtit et ses marges bénéficiaires qui ont rétréci pour la première fois depuis 2022 – au cours des trois premiers trimestres de l’année –. Selon Joe Zhang, un analyste spécialisé dans le commerce en ligne, plusieurs raisons sont à pointer du doigt : « L’un des problèmes majeurs est la variété limitée des catégories les plus vendues. Si les marques de niche ont réussi à tirer parti d’un contenu créatif et de collaborations avec des influenceurs, les grandes enseignes n’ont pas rencontré le même succès significatif. Les marques qui réussissent le mieux sur la plateforme sont souvent celles qui ont élaboré des stratégies uniques spécialement pour TikTok ou celles qui ont acquis une popularité précoce auprès des utilisateurs de la plateforme ».
Il poursuit : « En outre, la rentabilité des vendeurs a été réduite en raison de l’intensification de la concurrence et de la guerre des prix. La levée des restrictions sur les GMV – volume total des ventes – des magasins Amazon a permis à un plus grand nombre de vendeurs chinois de rejoindre la plateforme, ce qui a intensifié la concurrence et entraîné une baisse significative des bénéfices, qui sont estimés à deux tiers par rapport à l’année dernière ».
Le souci de l’image
Mais surtout, c’est peut-être des utilisateurs eux-mêmes, que TikTok a tant essayé d’attirer dans ses filets, et d’un manque d’intérêt grandissant de leur part pour le Shop que viennent ces mauvais résultats. « Selon plusieurs utilisateurs », dans des propos relatés par France Inter le 19 janvier dernier, « l’algorithme de TikTok, dont l’efficacité est la clé de son immense succès, met beaucoup trop en avant les contenus commerciaux. Au point d’en arriver à cette anecdote relatée par le site l’ADN : un journaliste du New York Magazine qui a voulu mettre l’algorithme à l’épreuve en faisant un direct vidéo pour vendre un stylo à bille trouvé au bureau… il s’est retrouvé avec 1000 personnes qui suivaient ce qu’il disait. Le peu d’intérêt de ces vidéos combiné à leur mise en avant excessive conduit à cette grogne ».
En bref, pour réellement bousculer l’industrie et tous nous pousser à plaquer conjoint.e et métier pour une carrière dans le marketing d’influence… il faudrait déjà pour TikTok soigner l’image de sa plateforme qui tend parfois à ressembler à un ersatz de Temu, une autre marketplace chinoise bien connue des occidentaux pour ses contrefaçons douteuses. Dans la vie comme dans le (e-)commerce, on a que ce qu’on mérite. Pour rappel, le service n’est toujours pas proposé en France mais pourrait débarquer très prochainement dans nos contrées selon plusieurs sources proches du dossier.
Pour briller en société - mais surtout auprès des jeunes publics - les marques se doivent d'investir les plateformes sociales pour mieux…
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