Chief Executive Officer de Mediabrands France (IPG) et Vice Président Udecam, Thomas Jamet intervient ce matin lors des 14èmes Rencontres de l’Udecam. Il nous fait part de ses réflexions et actions sur l’évolution du métier. Et plus particulièrement sur « l’engagement des métiers de la communication pour la diversité, l’inclusion, la parité et la gestion des talents en général »*
INfluencia : comment la crise change t-elle votre modèle? Les agences média doivent-elles se réinventer pour séduire les annonceurs?
Thomas Jamet: on nous a toujours dit que nous devions nous réinventer, que les Gafam allaient nous tuer, que l’intermédiation causerait notre mort, etc. Cela fait 18 ans que je suis dans cet univers et 18 ans que j’entends la même rengaine, mais la résilience des agences média est extrêmement forte. Cette crise là est plus durable et plus étrange que les précédentes par sa nature compliquée à décrypter, mais nous en avons connu d’autres, nous sommes toujours là et nous en sommes toujours sortis grandis.
Les annonceurs comptent encore plus sur nous qu’avant, autrefois on nous demandait d’être d’abord des acheteurs d’espace, puis des stratèges média et des intégrateurs. Aujourd’hui on nous demande d’être des partenaires business. Avec cette crise du Covid, toutes les enquêtes que nous avons faites chez Mediabrands montrent que les annonceurs se sont trouvés encore plus proches de nous pendant et après le confinement qu’ils ne l’étaient avant. Nous avons gagné du terrain, nous avons su les rassurer, leur proposer des choses nouvelles. Les agences médias sont cette tour de vigie partenariale capable de se déployer sur l’ensemble des problématiques de l’annonceur : création, digital, stratégie média, stratégie de marque, e-commerce. Nous sommes de plus en plus centraux. C’est une force sur laquelle on doit capitaliser, en réalité nous sommes en réinvention permanente.
IN: n’êtes-vous pas inquiet pour le modèle des agences?
T.J. : Je m’inquiète bien sûr comme tout le monde pour le business à court terme, mais le modèle est bon. Certes nos métiers sont attaqués, mais cela a toujours été le cas. Par rapport à d’autres pays on a toujours l’impression qu’en France, il y a une loi pour empêcher de communiquer. La communication est une industrie complexe, protéiforme. Il est dangereux de stigmatiser tout un secteur et il faut surtout éviter de prendre les consommateurs pour des imbéciles. La critique semble de toutes façons quelque peu dépassée en ce qu’elle porte principalement sur la publicité accusée d’inoculer quasiment délibérément désinformation et manipulation à des fins commerciales. Un vieil argument rappelant parfois la vieille théorie de Serge Tchakhotine du « Viol des foules par la propagande politique » (1939). C’est facile d’attaquer la pub, c’est une façon démagogique de régler des problèmes, mais ce n’est pas nous qui d’un coup de baguette magique allons régler le réchauffement climatique. On ne s’attaque pas aux racines du mal mais au contraire à toute une industrie qui aide l’économie à repartir et les gens à consommer et à reprendre confiance
IN. : vous intervenez lors d’une table ronde sur les talents. Quelle est votre politique sur ce sujet ? Et qui sont aujourd’hui les nouveaux talents ?
T.J. : les talents ont toujours été au cœur des problématiques des agences médias. Au début des années 2000 c’était l’ère des stratèges, puis du content, ensuite du digital avec des talents qui venaient d’agences digitales grâce à des acquisitions structurantes comme chez Publicis ou chez WPP et ensuite cela a été le tour de la data. On a su faire venir, s’approprier et fructifier ces forces vives qui viennent de mondes différents. Les agences médias ont toujours eu ce coup d’avance de créer des ponts entre les différentes industries.
Aujourd’hui les nouveaux talents viennent du e-commerce et du green, je vais d’ailleurs annoncer des initiatives dans ce domaine très prochainement afin d’avoir la capacité à proposer aux annonceurs une adéquation entre leur communication RSE et leur communication e-commerce et les aider à tout mettre en conformité. Notre rôle est de les aider, face aux nouveaux comportements des consommateurs, à avoir une vision holistique intégrée. Et ces talents, on va les chercher dans les écoles ou dans des horizons différents qui sortent un peu du cadre habituel et qui vont nous permettre à la fois d’apporter l’excellence dans leur coeur de métier en même temps qu’un message un peu différent.
IN. : vous travaillez également sur la notion de responsabilité media ?
T.J. : IPG Mediabrands a en effet publié dans tous les pays 10 principes de responsabilité média (MRP pour « Media Responsibility Principles ») qui s’intègrent dans un programme visant à établir un meilleur équilibre entre «Brand Safety» et «Brand Responsibility». Ces principes entendent inciter les entreprises à adopter globalement les normes les plus strictes en la matière, et pas seulement dans les médias. On met sur place un nouveau KPI pour nos clients. L’idée est de permettre au secteur de progresser dans la bonne direction en faisant de la Brand Safety et de la Brand Responsiblity un socle commun s’appliquant à tous les médias. Ces 10 Principes de Responsabilité Média sont: la promotion du respect ; la protection des personnes ; la diversité et la représentativité ; la collecte et utilisation des données ; le bien-être et la sécurité des enfants ; la modération des discours de haine ; la lutte contre la mésinformation et désinformation ; le respect de la politique d’utilisation des plateformes ; la transparence de la publicité ; et le principe de responsabilité. Un Chief Safety Officer, Joshua Lowcock, – et c’est une première mondiale- a été nommé aux États Unis et la même organisation va être mise au point en France. Nous venons de sortir le premier classement qui montre que Youtube est en tête du classement, suivie par Twittter et Linkedin.
IN. :. comment les agences média – et la vôtre notamment – s’engagent-elles pour la jeunesse, la diversité, l’inclusion, la parité ?
T.J.: nous avons pris un certain nombre de mesures internes sur la diversité, l’inclusion et la jeunesse. Cette dernière cause me tient particulièrement à cœur avec notre programme OPEN. Au-delà des engagements auprès de nos propres collaborateurs, nous nous engageons aussi dans la durée avec des associations : Moteur!, qui est un projet sociétal pour l’égalité des chances, et vise à « déclencher chez les jeunes de 14 à 22 ans l’envie de progresser et grandir en favorisant leur rencontre avec des modèles inspirants », et la Fondation Le Refuge qui aide à se reconstruire les jeunes LGBT chassés de chez eux par leurs parents.
IN. : comment le brand content, qui est plus dans le domaine du « quali », cohabite t-il avec la data qui est plus dans la reproduction de tendances du passé avec sa logique de « quanti » / profilage ?
T.J. : les deux sont complètement conciliables. Je martèle depuis longtemps que le motto des agences doit être « Math and Magic ». On ne peut aujourd’hui avoir une stratégie créative de qualité si on n’a pas une connaissance fine des audiences et des gens. On est passé de stratégies « audience first » à des stratégies « people first ». Nous avons lancé dans le monde Matterkind, qui est une entité non plus spécialisée en programmatique mais qui travaille sur la publicité adressable. Il s’agit de la métamorphose de nos solutions existantes en une solution adressable, basée sur la compréhension des audiences à forte valeur ajoutée. Matterkind réimagine fondamentalement le modèle de notre service client traditionnel et brise les cloisonnements entre la planification, l’activation et l’optimisation des canaux numériques. Là aussi en termes de talents il y a des métiers qui n’existaient pas avant et qui sont en train d’être inventés, surtout ces métiers de l’adressable. Le contenu et la data sont donc en effet conciliables dans la mesure où chaque individu a son propre écosystème et son propre intégrateur, il va falloir créer des contenus différents pour créer de la préférence de marque, de la considération, de l’émotion et de l’achat.
* thème de la session du jeudi avec Constance Benqué, Directrice Générale de Lagardère News ; Antoine Frérot, PDG de Véolia Environnement ; Nicolas de Tavernost, PDG du Groupe M6 ; Thomas Jamet, CEO de IPG Mediabrands ; Natacha Valla, Doyenne de l’Ecole du management et de l’innovation Sciences Po ; Francesca Sacchi, DRH de Dentsu Aegis Network ; Safia Caré, projet « Marqueurs » ; Cyril Zimmermann, Fondateur – La Plateforme..