2 mars 2021

Temps de lecture : 5 min

Thomas Gouritin: « chatbots? les vendeurs de solutions “magiques” disparaissent progressivement »

Quel avenir pour les chatbots ? Thomas Gouritin, expert et formateur en conception de chatbots, co-fondateur de la startup Asispo nous éclaire sur le sujet, alors que l’intelligence artificielle n’a pas encore tenu toutes ses promesses en la matière.

Quel avenir pour les chatbots ? Thomas Gouritin, expert et formateur en conception de chatbots, co-fondateur de la startup Asispo nous éclaire sur le sujet, alors que l’intelligence artificielle n’a pas encore tenu toutes ses promesses en la matière.

INfluencia : les chatbots ont suscité beaucoup d’enthousiasme lors de leur apparition. Aujourd’hui l’engouement semble être retombé. Comment l’expliquer ?

Thomas Gouritin : en effet, la vague de “hype” a été très importante pour les chatbots il y a quelques années. Ce n’était pas toujours pour de bonnes raisons, avec beaucoup de déceptions sur les projets mis en place. L’engouement n’est pas vraiment retombé, le marché s’est surtout structuré pour faire disparaître les acteurs qui vendaient des solutions “magiques” très visibles mais souvent peu performantes. Les projets d’aujourd’hui sont globalement plus matures, ils font un peu moins de bruit du côté de la communication et du marketing, mais ils rendent enfin de vrais services aux utilisateurs. Nous ne sommes plus sur des coups de communication pour être absolument le premier à mettre en place un chatbot dans un secteur donné, mais sur des projets plus pragmatiques qui se concentrent sur l’expérience plutôt que sur les briques d’intelligence artificielle à faire entrer à tout prix dans le budget.

IN. : il existe deux types de chatbots : en version texte et en version vocale. Lesquels vont s’imposer dans les usages ?

T.G. : le vocal est la continuité du chatbot textuel plus classique. Aujourd’hui le chatbot avec du texte et des boutons à cliquer est très répandu et les utilisateurs savent de mieux en mieux les utiliser. Quand on cherche une interaction vocale, cela rajoute plusieurs doses de complexité : dans la conception des parcours bien sûr, mais aussi dans la façon de faire parler notre robot, et surtout dans la compréhension des locuteurs (débit de parole, accents, bruit ambiant etc…). Il reste encore beaucoup de choses à maîtriser avec du texte écrit avant d’imaginer passer à des expériences vocales qui fonctionnent parfaitement, en toutes circonstances, et pour tous les utilisateurs. Le domaine ne cesse de se perfectionner, dans les technologies comme dans les approches métiers, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire. Commencer par concevoir et mettre en place une solution de conversation automatisée fonctionnelle avec du texte est une première étape indispensable qui n’est pas encore à la portée de tous. Dans tous les cas, il faut penser expérience et conception avant de penser technologie, c’est primordial.

IN. : dans le domaine des chatbots, l’IA ne tient pas (encore) toutes ses promesses. Les tiendra-t-elle un jour ? Qu’est-ce qu’il manque ?

T.G. : il faut d’abord définir ce que peuvent être ces promesses. Dans le monde académique comme dans beaucoup de laboratoires de recherche des GAFAMs, l’objectif est d’imaginer un chatbot capable de discuter “comme un humain” sur tous les sujets possibles et imaginables. C’est la course au test de Turing et au chatbot qui serait capable d’accompagner un être humain au plus proche de son quotidien, de ses besoins et de ses émotions, sur tous les sujets de conversations du monde. Soyons clairs, c’est de la Science-Fiction. Mais dans les applications concrètes sur le terrain, au contact de vrais utilisateurs, ce n’est pas du tout le sujet qui nous intéresse. Nous n’avons pas besoin de passer des centaines d’heures à entraîner un chatbot assistant bancaire pour qu’il nous récite ses meilleures blagues ou nous donne l’heure à New-York et la météo à Pékin. Les briques d’intelligence artificielle de reconnaissance du langage disponibles aujourd’hui nous permettent déjà de faire beaucoup de choses, pour peu que tout soit cadré et que l’on sache où on va, et quel(s) service(s) on veut rendre.

IN. : de plus en plus d’outils sont disponibles pour créer facilement des chatbots: quels conseils donneriez-vous pour commencer à développer un chatbot en 2021 ?

T.G. : il existe aujourd’hui beaucoup d’outils sur le marché, et non, il ne faut pas mettre des milliers d’euros dans une solution “à base d’IA” pour développer un chatbot qui remplit sa fonction. Les solutions “low code” ou “no code” permettent d’imaginer des preuves de concept en développant quelques parcours simples pour les mettre entre les mains d’utilisateurs finaux afin de valider un premier niveau d’efficacité. Elles peuvent aussi être suffisantes pour une mise en production à plus grande échelle sur des cas d’usage simples pour peu qu’ils soient bien conçus en amont. Pour la compréhension des messages sur la saisie libre de l’utilisateur, ces solutions fonctionnent en reconnaissant des mots clés, ce qui peut être vite limité si on veut réellement laisser la parole à l’utilisateur sans lui faire utiliser des boutons de réponse. Si vous voulez vous lancer vite et bien, citons par exemple le français Botnation qui propose une solution no-code facile à prendre en main.

IN. : et si on veut aller plus loin ?

T.G. : afin d’aller plus loin dans la conversation et ouvrir un peu plus la parole de l’utilisateur, il faut aller vers des outils qui permettent la reconnaissance d’intentions. On ne reconnaît pas un mot clé, mais une phrase, pour la faire correspondre à quelque chose que la machine connaît. Pour entraîner la machine à identifier ces phrases et délivrer la bonne réponse, il faut des données d’exemple que l’on peut, par exemple, aller chercher dans des historiques de conversation avec ses clients côté support et SAV. L’implémentation de ces exemples se fait aujourd’hui dans des solutions avec des interfaces visuelles plus simples à utiliser que des suites de tableaux Excel. Pour ce type d’outils, citons les lyonnais de Like A Bot, ou les canadiens de Botpress. Bien sûr, si les cas d’usage sont plus complexes, on peut tout à fait imaginer partir sur du développement spécifique de tout ou partie de la solution technique. Cela implique des logiques de mise en place projet très différentes.

IN. : pouvez-vous nous citer quelques exemples d’expériences chatbot convaincantes ?

T.G. : En Français, le meilleur exemple est toujours celui de la SNCF avec Ouibot. Les équipes ont mis en place une solution maison (disponible en open source depuis quelques mois) très efficace sur la détection des intentions clés du voyage. Il est capable de très bien comprendre les deux villes (origine et destination) d’un trajet avec de nombreuses formulations différentes, il gère aussi très bien les dates et les durées (on peut lui demander un trajet le 10 mars, le 10/03 ou mercredi prochain), une vraie référence. Il y a également de plus en plus d’expérimentations intéressantes en e-santé. Je travaille par exemple depuis plusieurs mois sur le projet Asispo, un assistant de santé intelligent qui accompagne les patients opérés en ambulatoire pour les aider dans leur rémission.

IN. : en quoi consiste ce projet ?

T.G. : aujourd’hui 44% des patients qui sont opérés en ambulatoire (qui entrent et sortent de la clinique ou de l’hôpital la même journée, sans nuit passée sur place), ne sont jamais recontactés une fois rentrés chez eux. Le Dr Jean-David Wolfeler, chirurgien stomatologue, a identifié ce problème de suivi et nous avons imaginé ensemble une solution personnalisée et sécurisée pour effectuer une télésurveillance au-delà du lendemain de l’intervention. Les conversations sont différentes pour chaque patient, selon son opération, son âge, son avancée dans le parcours post-opératoire etc…

Il y a dans ce projet tout ce qui est indispensable à la conception d’un chatbot efficace : une remontée de vrais besoins du terrain, une identification claire de la parole utilisateur, une co-conception entre experts techniques et métiers, et la juste dose de technologie. Les premiers patients sont très positifs sur l’écoute et la qualité du suivi proposé par Asispo, qui vient en soutien de l’équipe médicale (qui reste toujours disponible, bien entendu).

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