25 janvier 2023

Temps de lecture : 3 min

« Nous allons devenir le Netflix de la biotech » : Thomas Clozel (Owkin)

La startup franco-américaine est devenue en mai 2021 la 22ème licorne française après que Sanofi  annonce son intention d’investir 180 millions de dollars dans cette société qui propose des solutions d'intelligence artificielle pour la recherche pharmaceutique. Son cofondateur, Thomas Clozel, nous explique les raisons de son succès et son inquiétude face à la détérioration du système de santé en France.

INfluencia : Comment est né Owkin ?

Thomas Clozel : je suis cancérologue de formation et j’ai été chef de clinique en oncologie à l’hôpital Mondor à Créteil. Je me suis toujours beaucoup intéressé à la médecine de précision et sur la façon de soigner différemment les malades en fonction notamment de leur génome. Étant toujours un peu geek dans l’âme, j’étais persuadé que l’intelligence artificielle pourrait nous aider à trouver les meilleurs marqueurs afin de transformer ces données biologiques en data. Il y a sept ans par l’intermédiaire des anciens de Polytechnique, j’ai rencontré Gilles Wainrib. Il était alors maître de conférences spécialisé dans l’IA à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm et il s’intéressait beaucoup à la médecine. Ensemble, nous avons décidé de créer notre entreprise et nous avons immédiatement décidé de nous spécialiser dans la pharma.

IN : Pourquoi ?

T. C. : les grands groupes de ce secteur passent généralement entre sept et huit ans pour lancer un médicament et dépensent des centaines de millions d’euros pour le développer, mais leur taux d’échec est important. En créant une plateforme de données en provenance des plus grands laboratoires de recherche dans le monde, nous étions convaincus que nous serions capables d’accélérer les processus de recherche pour découvrir de nouveaux traitements.

IN : comment vous procurez-vous ces données qui représentent l’or des laboratoires de recherche ? Devez-vous les payer une petite fortune ?

T. C. : nous les obtenons gratuitement et nous travaillons avec les tous meilleurs partenaires académiques et hospitaliers dans le monde ! Nous sommes parvenus à créer une relation de confiance avec eux car notre modèle protège totalement leurs données qui ne quittent jamais leurs propres plateformes. Notre modèle d’apprentissage fédérateur et les données que nous sommes capables de générer grâce à leurs datas leur permettent d’écrire plus rapidement des publications. Nous sommes fiers d’avoir mis cela en place. Les seules structures qui nous payent sont les groupes pharmaceutiques qui peuvent optimiser leur développement de médicaments et leurs essais cliniques avec notre intelligence artificielle.

il y a six ans, la France était gouvernée par François Hollande et pas par Emmanuel Macron. La ministre de la santé, Marisol Touraine, n’était pas très accommodante avec les entreprises privées de notre secteur.

IN : votre société a-t-elle déjà permis de lancer de nouveaux médicaments ?

T. C. : notre objectif est de permettre le lancement de cinq à sept nouveaux médicaments sept à huit ans après la création de notre entreprise. Il nous reste encore dix-huit mois pour y parvenir mais nous sommes confiants sur l’objectif à atteindre. Deux à trois études cliniques de phase 1 ont été lancées à la fin de l’année 2022. Nous comptons parallèlement développer nos propres médicaments.

IN : les groupes pharmaceutiques ont-ils eu du mal à vous faire confiance ?

T. C. :  la pharmacie est un milieu relativement incestueux avec des temps de vente assez longs. Nous travaillons aujourd’hui avec dix des quinze plus grands groupes pharmaceutiques au monde. Nos partenariats avec Bristol Myers Squibb (BMS) se chiffrent en dizaines de millions d’euros et courent sur de nombreuses années. Notre but aujourd’hui est de trouver un juste équilibre entre nos clients externes et ce que nous faisons en interne car nous ne pouvons pas tout faire. Nous employons aujourd’hui à peine 250 collaborateurs.

dans cinq ans, nous serons la plus grande plateforme au monde d’accès à la data médicale.

IN : vous avez choisi très tôt de baser votre entreprise juridiquement aux Etats-Unis alors que vous et votre associé êtes français. Pourquoi ?

T. C. : il y a six ans, la France était gouvernée par François Hollande et pas par Emmanuel Macron. La ministre de la santé, Marisol Touraine, n’était pas très accommodante avec les entreprises privées de notre secteur. Beaucoup de fonds étrangers refusaient à l’époque de travailler avec des sociétés françaises. Google avec lequel nous avons collaboré très tôt a notamment exigé qu’Okwin soit basé aux Etats-Unis avant de nouer un partenariat avec nous. Aujourd’hui, je ne sais pas si nous le referions mais il y a six ans, nous n’avions pas choix.

IN : la France fait elle figure de modèle dans le monde de la santé ?

T. C. : loin de là. La France n’est plus du tout à la pointe dans la santé. Nous avons accumulé un gros retard. Notre pays a franchi un cap inquiétant. Les conditions de travail et les bas salaires n’incitent pas les médecins et les chercheurs à rester dans le pays. Les investissements sont également bien trop faibles dans ce secteur.

IN : Cela fait quoi d’être devenue une licorne ?

T. C. : cela booste un peu votre ego et vous aide à recruter plus facilement. Ce statut est surtout une vitrine pour le gouvernement Macron. C’est son KPI mais nous sommes très fiers, malgré tout, d’être une licorne.

IN : où vous voyez-vous dans cinq ans ?

T. C. : dans cinq ans, nous serons la plus grande plateforme au monde d’accès à la data médicale. Nous allons devenir le Netflix de la biotech. Nous aurons aussi développé en interne plusieurs médicaments. Tout simplement… A l’américaine, quoi…

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