Terry Lundgren est l’un des noms les plus connus dans l’univers du Retail americain. CEO de Macy’s pendant 15 ans, il a accompagné une periode clef de la transformation d’un groupe iconique, dans une industrie particulièrement devastée, mais qui s’efforce d’innover pour survivre: les grands magasins.
INfluencia : « The store is a media ». L’idée est de dire que les médias sont dorénavant des magasins alors que les boutiques (physiques) deviennent des médias. Partagez-vous cet avis ?
Terry Lundgren : en effet, alors que les médias permettent aujourd’hui des transactions, au-delà d’informer, la vocation des boutiques physiques n’est plus tant de vendre des produits mais plutôt de créer et de monétiser des expériences clients. La croissance et le développement du parcours d’achat omnicanal ont évolué au cours des deux dernières décennies, mais ont explosé a l’ère du Covid-19. Pendant de nombreuses années, les consommateurs, de mode notamment, se sont inspirés de ce qu’ils ont vu et lu dans leur choix de média. La presse écrite était une source importante d’informations pour eux. Elle était généralement suivie d’une visite dans un ou plusieurs magasins physiques pour effectuer le/les achat(s).
Avec le Covid-19, le consommateur s’est retrouvé dans l’incapacité de pouvoir visiter les magasins physiques, jugés non essentiels par les gouvernements, de sorte que le comportement d’achat a été forcé de changer. De plus en plus d’options digitales sont apparues, perturbant les routines et remplaçant les visites habituelles chez les détaillants de mode et autres commerçants. Les achats en ligne sont passés de 14,9% de toutes les ventes en 2019 à plus de 20% pendant le pic de la quarantaine. Et lorsque les magasins de détail non essentiels ont réouvert (ndlr : aux USA), les achats en ligne sont restés largement au-dessus des dépenses de l’ère d’avant Covid, augmentant à un rythme plus rapide que les 10 % de taux de croissance combiné observé au cours des dernières années.
Alors que les consommateurs commencent à se sentir à nouveau en sécurité et à l’aise dans les magasins physiques, le magasin lui-même doit changer pour s’adapter aux nouvelles habitudes d’achat. La réduction du nombre de magasins physiques était bien engagée avant 2020, mais le rythme des fermetures et de faillites s’est accéléré de façon exponentielle cette année. Pour survivre, les magasins / entreprises ont besoin d’un produit et / ou d’un service recherché par les consommateurs qui se différencie de leurs concurrents. Ils ont besoin d’une équipe talentueuse et d’un bilan solide permettant de prendre de bonnes décisions d’investissement pour l’avenir.
IN. : si un jour prochain, l’expérience vécue dans les espaces physiques est considérée comme la forme la plus puissante de médias que les marques peuvent exploiter, quelles seraient vos recommandations pour créer des espaces enchanteurs qui inspirent les clients et les transforment en ambassadeurs pour les marques ?
T.L. : le magasin du futur sera souvent plus petit, les détaillants modifieront plus régulièrement leurs sélections de produits présentés sur place et s’adresseront plus souvent au consommateur «local» et ils seront organisés pour livrer rapidement tout ce qui ne sera pas physiquement « in store ». Pour les clients qui souhaiteront avoir accès à des services supplémentaires, les retailers leur proposeront sur leurs mobiles des produits similaires à ceux disponibles dans les magasins. Un hologramme de Jennifer Lopez pourra ainsi apparaître pour parler des pièces préférées de sa garde-robe, qui sera présentée virtuellement devant vous. Peut-être qu’Elsa du film Frozen accueillera vos enfants au moment opportun. Le « magasin comme divertissement » existera sous différents formats et vous encouragera à y passer du temps.
Comme mentionné précédemment, les achats en ligne ont le potentiel de croître considérablement en pourcentage des dépenses totales, d’autant plus que de nombreux magasins physiques disparaissent. Les médias numériques et sociaux deviendront plus ciblés et s’adapteront selon chacun de vos mouvements pour tenter de se rapprocher sans cesse de ce qui vous parle et vous accroche. Mais le magasin physique sera toujours là pour permettre au consommateur d’apprendre, explorer et se divertir. L’avenir du commerce de détail c’est de permettre au consommateur de choisir la manière dont il préfère faire ses achats : en ligne, dans les boutiques physiques et via son canal média préféré.
IN. : chaque jour, dans des millions de magasins physiques, des quantités massives de « data » sont générées. Comment exploiter la valeur de ces données ?
T.L. : Il existe de nombreuses façons pour les distributeurs d’en savoir plus sur les consommateurs. De nombreux magasins utilisent des balises pour suivre leurs comportements dans les magasins physiques. Ces données sont anonymes, de sorte qu’aucun problème de confidentialité ne se pose lors de la collecte de modèles de comportement, comme l’endroit où les clients passent le plus de temps, quels produits, couleurs, etc. sont touchés ou ignorés. La prochaine grande opportunité d’en savoir plus sur les clients, selon moi, tout en respectant leur vie privée, consiste à collecter leurs transactions de manière exhaustive, depuis leurs différentes plateformes de shopping, en utilisant une IA efficace pour renseigner leurs profils de consommateurs individuels, puis en utilisant les données récoltées pour personnaliser la communication vis-à-vis de chacun.
IN. : quelles sont les formes de publicité auxquelles vous croyez pour l’avenir ?
T.L. : les consommateurs sont inondés de publicités pop-up génériques et de messages imprimés et télévisés destinés à une large consommation générale. Ils attendent dorénavant des messages plus personnalisés grâce au marketing digital. Les plateformes sociales travaillent à fournir des messages aussi pertinents que possible aux consommateurs individuels. La prochaine étape d’amélioration selon moi reposera sur des activations marketing moins nombreuses, plus opportunes et plus ciblées. Les marques veulent être en mesure de suivre l’efficacité et la rigueur de leurs dépenses marketing. La communication numérique et sociale offre une bien meilleure réponse à cette exigence que les médias traditionnels, comme la presse écrite et la télévision. Tout comme pour le commerce de détail, la consolidation des médias traditionnels est en cours et seuls les plus forts survivront.