« Contre l’imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l’avenir, le remède se trouve dans la faculté de faire et de tenir des promesses ». Avec cette citation de Anna Arendt en introduction, le tout nouveau rapport de tendances de Peclers, FUTUR(s)15, Shaping Our Destiny, pose les bases d’une nouvelle relation entre les marques et le consommateur.
« Dans notre précédente édition FUTUR(s), nous invitions à avoir confiance en l’avenir face aux interrogations qu’il soulève, à prendre un peu de recul pour mesurer nos choix et leurs implications. Aujourd’hui, les crises humanitaires et sociales, l’urgence climatique et les scandales écologiques, les avancées de la technologie et les mutations socio-économiques, ainsi que les dramatiques confrontations internationales… tout nous intime l’ordre d’agir et de prendre en main notre destin », constate Emma Fric, Research & Future Insights Director chez Peclers. « Individus, réseaux sociaux, collectivités vivent déjà cet impératif à s’engager, à participer, à collaborer. Ils nous interrogent sur notre capacité à créer un avenir désiré et désirable, quitte à s’exposer plutôt que de subir! Rassembler, s’engager et agir pour construire l’avenir, ce mot d’ordre s’applique aussi aux marques, aux entreprises et aux institutions. Car elles s’adressent aujourd’hui autant à des consommateurs qu’à des communautés, qui risquent fort sinon de s’organiser sans elles. Elles doivent donc se mobiliser elles aussi pour la construction d’un nouveau modèle de société, fondé davantage sur le bien commun, la liberté d’expression, le vivre ensemble et un développement éthique qui protège la planète autant que l’humain. Cette démarche active, poursuit-elle, nous impose de construire, de façonner et d’inventer ensemble un futur véritablement durable pour tous… ».
Cette année, le rapport FUTUR(s)15 met en évidence
8 « macro dynamiques » qui transforment la société et modèlent les enjeux d’innovation pour les trois à cinq prochaines années, enjeux auxquels les marques devront répondre pour convaincre et séduire le consommateur.
1 – Codes identitaires et modèles sociétaux : célébrer sa singularité.
2 – Hédonisme et bien-être : s’adonner à l’indulgence.
3 – La révolution collaborative : réhumaniser la valeur.
4 – La mondialisation et ses implications : recréer le vivre-ensemble.
5 – Rapport à la nature : se mobiliser pour notre planète.
6 – Quête de sens et de transcendance : capturer l’attention.
7 – Relations au temps et à l’espace : réenchanter la matérialité.
8 – Nouvelles frontières des techno-sciences : vivre avec les machines.
INfluencia a choisi de faire un focus sur une thématique : s’abandonner à l’indulgence. Un effort permanent nous est demandé pour comprendre et nous adapter à la complexité d’un monde en perpétuelle mutation. Le thème Refuser l’Excès de Futur(s) 14 relevait déjà « que le fait de subir des pressions de toutes parts et d’être épuisés par nos propres besoins et désirs, fait émerger le lâcher-prise comme une alternative essentielle à cet effort permanent. Désormais, il ne s’agit plus de s’autoriser simplement un peu de souplesse ou de répit », commente Emma Fric. Ces principes n’ont plus le statut de moments d’exception, mais s’intègrent durablement à la vie de tous les jours. Ils la structurent même en profondeur. L’allègement du contrôle de soi et la quête d’une plus grande simplicité caractérisent cette philosophie de l’indulgence. Intellectuellement, esthétiquement, gustativement, l’évidence reprend aussi ses droits. Ne cherchez plus, comme le disait le peintre américain Frank Stella : « What you see is what you see ». Entre retour aux fondamentaux et éloge de la normalité, l’indulgence s’impose avec bienveillance et en douceur.
La « relâche attitude »
Et cette indulgence se manifeste de plusieurs façons : en lâchant prise et utilisant le premier degré. « La complexité d’un monde contemporain changeant et imprévisible alimente le désir d’un nouveau mode de vie basé sur le lâcher-prise. Une attitude d’indulgence envers soi-même est une réponse à l’effort permanent qui nous est demandé au quotidien pour composer avec le réel. Le lâcher-prise revêt les apparences d’une existence plus simple et spontanée. La normalité n’est plus un tabou : l’évidence et le premier degré sont à l’honneur dans la philosophie, l’esthétique, la mode, le design et même la gastronomie », ajoute Emma Fric.
Longtemps compris comme une entorse « aux règles » ou comme le résultat d’un moment d’épuisement, le lâcher-prise révèle au quotidien toutes ses qualités. Il invite à savourer l’instant présent et à profiter réellement des expériences. Qu’elle soit liée au plaisir des sens, au bien-être psychique ou à l’apprentissage intellectuel, cette attitude montre une ouverture à la richesse de la vie. Elle ne s’oppose pas aux règles que l’on se donne pour progresser : au contraire, elle s’y intègre et fait tomber les barrières qui empêchent de jouir de ce qui est en face de soi. Pour comprendre, inutile de s’obstiner à déchiffrer, il suffit de ressentir et d’en faire une règle de vie.
– La fabrique du plaisir : le chocolat, « petit plaisir » quotidien par excellence, est aujourd’hui célébré par l’art. La photographe Stéphanie Kiwitt le tourne en métaphore de nos pulsions viscérales par ses clichés ultra-réalistes (exposition Un-Scene III, Wiels, Bruxelles, mai 2015) et Paul McCarthy, par sa reconstitution d’une chocolaterie à la Monnaie de Paris (Oct. 2014 – Jan. 2015), met en scène sa fabrication, questionnant ainsi celle du plaisir dans ses aspects gustatifs, sexuels et plus « violemment sensoriels ».
– La réecriture des règles : à la croisée de l’art, de l’architecture et du design, l’exposition Hippie Modernism : The Struggle for Utopia (Walker Art Center de Minneapolis, Oct. 2015-Fev. 2016) explore la philosophie hippie. En ressort une critique sociale et esthétique du mouvement, dont l’influence se fait ressentir aujourd’hui. Yoga, légalisation du cannabis, spiritualité, solutions alternatives… un retour aux origines d’une libération qui n’est plus une contre-culture mais s’impose à nouveau comme un style de vie.
– La cannabis économie : en février 2015, Seattle a mis en service le premier distributeur automatique de cannabis. Cet appareil médical propose à ses clients d’acheter de l’herbe, des produits alimentaires à base de marijuana et autres accessoires. Alors que le débat autour de la légalisation de cette substance agite de nombreux pays, une économie, légale, organisée et rentable se diffuse autour d’un produit dont la désirabilité repose sur ses propriétés psychotropes.
– L’école complice : mère de jumeaux, l’actrice Tilda Swinton a souhaité pour ses enfants une éducation sans examens et sans bulletins de notes. Elle a donc créé la Drumduan Upper School (Ecosse) où les élèves, préservés du stress causé par le système éducatif classique, développent leurs capacités intellectuelles, sociales et artistiques dans un environnement qui place le plaisir et la spontanéité au centre de la pédagogie.
Alors, quels enjeux pour les marques demain ? « Se libérer du contrôle de soi et des normes sociales pour profiter pleinement du moment vécu. Et faire des logiques de l’indiscipline et de l’imperfection de réelles valeurs aspirationnelles », répond Emma Fric.
Le premier degré
« Au sein de la société globalisée, les individus sont confrontés à un nombre grandissant de modes de vie et de critères esthétiques qui leur paraissent étrangers, voire incompréhensibles. Dans les médias, le débat autour de cette complexité se fait aussi épuisant : un labyrinthe de contradictions qui a amené le philosophe slovène Slavoj Zizek à soutenir « le droit à l’ignorance de l’autre ». Lorsque la compréhension de ce qui nous entoure paraît impossible, le premier degré émerge comme un point de vue rafraîchissant. Loin de la paresse intellectuelle, il permet de renouer avec le bon sens, nos sensations primaires et ouvre même à une certaine forme de sagesse », souligne l’étude.
– La philosophie du réel : d’après le philosophe italien Maurizio Ferraris, la réalité nous rend simplement heureux ou malheureux et ne peut pas être réduite à la simple interprétation. Dans son livre Introduction to New Realism (Bloomsbury Academic, 2015) il questionne la philosophie selon laquelle la réalité relève d’une construction subjective, donc manipulable. L’auteur dénonce une pensée devenue fiction qui renonce à la vérité du réel. Le monde et ses faits existent en eux-mêmes, indépendamment de nous.
– La beauté vraie : à l’occasion de son exposition à la Galerie Perrotin à Paris (Avril 2015), l’artiste Lionel Estève se prononce à propos de sa recherche d’une beauté réelle et littérale. Sans céder à la spectacularisation, il remarque que la beauté est devenue une valeur presque « tabou » dans l’art contemporain, au profit de la provocation et du second degré. A Wander présente notamment d’immenses feuilles de végétaux recouvertes de feuilles d’or, magnifiant ainsi la nature par la beauté de la lumière.
– L’idéologie primaire : le projet Screamscape -Institut International de Recherche sur le Cri- a mis en scène à la Fri Art Kunsthalle de Fribourg (2015, Suisse) le cri comme proposition idéologique viscérale et inarticulée. Ne demandant aucune technique, gratuit et démocratique, le cri est magnifié en tant qu’instrument de libération. Artistes, musiciens, scientifiques, philosophes, designers et moines bouddhistes ont contribué à cette célébration publique de « l’esprit primaire ».
– Le cliché s’assume : véritable saga familiale explorant l’univers du show business, la série américaine Empire (Fox TV, 2015), assume des intrigues prémâchées. Sur le point de mourir, Luscious Lyon, riche producteur de disque américain, doit désigner son successeur parmi ses enfants, mais se heurte aux rivalités, vengeances et amours compliquées qui soulèvent sa famille. Abusant des personnages caricaturaux, la série devient jubilatoire. Elle a créé l’enthousiasme chez le public et a relancé le genre du soap-opéra.
Quels enjeux pour les marques demain ? Mettre en avant le ressenti, le pulsionnel et l’envie, sans recours à une médiation ou une explication rationnelle. Et faire appel à la spontanéité, à la sensibilité « viscérale » du consommateur. Un joli programme.