Dans la symbolique de toutes les civilisations, les cheveux ont une importance et une forte charge mythologique. Au temps des pharaons, les perruques constituées d’un mélange de cheveux naturels, de laine et de feuillage connaissaient un grand succès et le degré de sophistication des perruques était proportionnel au rang social (ce qui était aussi le cas plus tard dans l’Europe du 17ème et 18ème siècles). Chez les Gaulois, la chevelure incarnait puissance et virilité. Plus tard, elle devînt attribut royal.
En perdant ses cheveux, le roi de France perdait aussi son pouvoir suprême. Auparavant, au Moyen-Âge, les cheveux étaient l’un des rares sujets à propos duquel Juifs, Musulmans et Chrétiens étaient d’accord : ils y voyaient tous le plus terrible des vecteurs de séduction… donc de péché. Le Concile de Constantinople en 692 menaçait même d’excommunication ceux qui teindraient leurs cheveux ou même les boucleraient. Mille ans plus tard, le Concile de Tours préconise encore des mesures semblables…*
Pour les femmes, les cheveux et leurs couleurs ont autant plus d’importance dans la mythologie occidentale : traditionnellement la femme blonde est l’image de la mère, de l’épouse, voire de la Sainte, notamment dans l’iconographie religieuse. La Vierge Marie, drapée de vertu, est par exemple plutôt représentée comme une femme blonde, une mère aimante tandis que le côté solaire de ses cheveux rappelle celui de la puissance de la reine. Les légendes Arthuriennes sont très parlantes à cet égard et reflètent parfaitement les mythes de la culture occidentale : la fée Viviane (la Dame du Lac), personnage éthéré, d’une grande vertu et d’une grande fidélité envers Arthur, est plutôt représentée par les différentes incarnations de fictions comme un personnage blond.
Par ailleurs, Guenièvre, femme adultère et amante de Lancelot est brune, intrigante et passionnée. Quant à Morgane la magicienne, sa chevelure est rousse. Une trilogie qui respecte les légendes : la femme brune représentant en effet plus souvent la maîtresse et l’aventurière, la blonde l’épouse ou la sainte, et la femme rousse l’étrangeté et la sorcellerie… (NB : une thématique dont nous avons parlé dans ces colonnes en 2010 avec la figure de la « brune blonde » Marion Cotillard).
Pour les hommes aussi, la charge symbolique est importante. On pense évidemment au personnage biblique Samson, dont la puissance lui vient de sa chevelure. Séduit par Dalila, il finit par avouer qu’il tire son pouvoir de sa longue crinière : « Si on me rasait le crâne, alors ma force se retirerait de moi, je perdrais ma vigueur et je deviendrais comme tous les hommes ». Privé de sa force, Samson est ensuite sorti du cachot mais parvient à provoquer une catastrophe avec la destruction du temple sur des milliers de Philistins.
Les cheveux ont donc une immense force. De nos jours, le cheveu est devenu un vecteur, un marqueur de transgression, voire un mode d’expression : on peut penser évidemment aux punks, aux plus récents Seapunks et aux cheveux bleus et roses mais aussi à Lady Gaga qui a récemment été inspirée par la thématique au point d’écrire un titre « Hair », dont les paroles « I Am My Hair / Je Suis Mes Cheveux », en disent long.
Toutes ces réflexions résonnent avec une passionnante exposition au Musée du Quai Branly, intitulée « Cheveux Chéris ». Cette dernière a ouvert ses portes le 18 septembre dernier et remet la question du cheveu au cœur de notre civilisation.
Représentante des âges, la chevelure est plus que jamais d’actualité. Elle nous permet un réel questionnement sur l’irrationnel, sur notre capacité de séduction, mais aussi sur notre propre mortalité. Presque plus vivante que nous-mêmes car elle peut nous survivre, elle est un « autre nous-mêmes », nous représentent. Et en dit plus long sur nous que notre propre visage ou que notre expression. Un des rares vecteurs de mythes à n’avoir jamais disparu et à avoir traversé les civilisations.
Thomas Jamet – Moxie – Président (Groupe ZenithOptimedia – Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever
Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.
* Les cheveux et la mythologie