29 janvier 2024

Temps de lecture : 4 min

Story weaving is the new storytelling…

Ce n’est pas la fin du storytelling, c’est le début d’autre chose, d’une nouvelle forme de narration plus en adéquation avec les enjeux contemporains, plus ambitieuse, plus complexe aussi à mettre en œuvre pour les Directions de la communication. Cette nouvelle narration, plus robuste, sophistiquée et pérenne, c’est le story weaving .
To weave : tisser ; entrelacer

Après avoir raconté leur histoire, des histoires où elles jouent tous les rôles ⎼ avec évidemment une prédilection pour le premier⎼ les entreprises doivent imaginer un récit plus collectif, plus divers, plus subtil. Bref, elles doivent davantage tisser pour moins monologuer. Qu’elles soient pionnières, premières, innovantes, gagnantes, responsables, qu’elles préparent la « révolution digitale » … En 50 mots, et 50 mots seulement, on pouvait écrire les « messages du Président » d’à peu près toutes les entreprises du CAC 40[1]. Tisser c’est se singulariser.

Aujourd’hui, leurs parties prenantes attendent d’elles qu’elles cessent de décliner leur histoire ou leurs engagements à l’infini pour créer un nouvel imaginaire en donnant la parole aux autres, en mélangeant leurs thématiques, les temporalités, les communautés.

Dans une société de défiance, face à des opinions de plus en plus polarisées voire radicales, pour être audibles et crédibles, les entreprises ont besoin de produire un récit moins univoque et moins monolithique. Tisser c’est rassembler.

Il est temps de ne plus simplement énoncer ses vérités, affirmer ses engagements, aboyer ses réussites

Il est temps de ne plus simplement énoncer ses vérités, affirmer ses engagements, aboyer ses réussites, mais enfin d’apprendre à tisser son discours. Une nouvelle subtilité dans cet exercice qui doit se transformer en nouvelles compétences, une plasticité de la parole autant que du cerveau à expérimenter, une nouvelle hygiène de travail et des processus de production et de validation à réinventer. Tisser c’est prendre son temps.

Prenez un fil pour chaque enjeu, prenez un fil pour chaque sujet, prenez le bon fil pour votre porte-parole, sans omettre quelques fils pour vos alliés, et pourquoi pas un pour votre opposant, un pour chaque canal et tissez. Tisser c’est une équation à plusieurs inconnues.

Et plus les fils sont nombreux, plus le tissage peut être serré ce qui confèrera à votre récit plus de tenue, exactement comme un tissu fin et résistant. En outre, ce récit ne se déformera ni se froissera facilement. Ce n’est pas un hasard si dans le jargon des couturiers, la façon dont les fils de chaîne et de trame s’entrecroisent forme l’armure. Tisser c’est renforcer.

Évidemment, vous n’oublierez pas quelques fils pour vos preuves : des faits, des data, des KPI. Et ces fils sont cruciaux pour adopter une démarche rationnelle qui s’hybride très bien avec des fils plus émotionnels. Démontrer plutôt qu’affirmer, dans un story weaving efficace, il y a aussi une part importante de data telling.

Enfin, vous n’oublierez surtout pas, quel que soit votre tissu, d’incorporer un fil très singulier : votre fil rouge. Celui qui donnera à votre récit sa cohérence et permettra à tous les autres fils de s’aligner en évitant les nœuds. Tisser c’est de la congruence.

Pour inventer cette nouvelle discipline, cette nouvelle narration, rien de mieux que de relire et d’appliquer le travail de Vladimir Propp.

Pour inventer cette nouvelle discipline, cette nouvelle narration, rien de mieux que de relire et d’appliquer le travail de Vladimir Propp. Propp n’est pas un expert de la communication ou de l’influence. Il n’est ni le Spin Doctor du Mage du Kremlin, ni un chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication de l’Université de Moscou. Non, Vladimir Propp est un folkloriste russe du début du XXème siècle qui a eu le génie d’analyser scientifiquement une centaine d’œuvres issues du folklore slave (contes, chants épiques, chansons, etc.). De son canevas tout terrain, les communicants peuvent s’inspirer pour diagnostiquer une marque mais aussi pour produire leur story weaving.

Morphologie du conte

Son analyse est tout entière contenue dans son livre à la lecture un peu ardue Morphologie du conte publié en 1928, traduit en français en 1958 seulement. Aujourd’hui en Russie, des amphis d’universités où l’on enseigne la communication, à Perm dans l’Oural par exemple, portent le nom de Vladimir Propp.

 

Professeur d’allemand et de russe, il examine les régularités qui apparaissent dans une centaine de contes russes et entreprend de dégager les éléments de contenu qui leur sont communs. Sa rigoureuse analyse arrive à la conclusion qu’il n’y a que 31 fonctions et pas plus dans le conte traditionnel russe et que celles-ci couvrent tout l’éventail des actions significatives … Et croyez-le, elles couvrent également tous les récits d’une entreprise !

Dit autrement, Monsieur Propp détricote les contes et nous donne à voir les fils nus pour nous permettre d’isoler chaque ingrédient. Qui est le héros ou l’héroïne ? Qui est l’auxiliaire du héros qui rendra la réussite possible : Jiminy Cricket, marraine la fée, Olaf, un anneau magique ? Mais plus intéressant, quelle est la quête ? Quelles sont les séquences incontournables de tous les contes ? Contre quel méchant ou quelles circonstances malheureuses se bat le héros ?

A chaque question, Vladimir Propp apporte un cadre, une grille d’analyse qui s’applique merveilleusement à l’entreprise contemporaine.

Il nous offre alors un métier à tisser des histoires universelles et intemporelles.

Or, pour que les nouvelles Directions de la communication deviennent des couturières hors pair, elles ne doivent plus penser de manière séquentielle et encore moins en silo mais bien pour chaque contenu, en termes de broderie fine.

Pour gagner la bataille de l’attention, dans un environnement qui déborde d’informations sous divers formats, il faut retrouver une logique du sur-mesure, prendre le temps d’un travail soigné.

Tout contenu mérite une belle finition, un piqué à la main. Tisser c’est du sur-mesure

Dans un contexte où l’humilité, la sincérité, l’authenticité ne sont pas uniquement utiles mais nécessaires aux stratégies de communication des entreprises, tisser c’est dialoguer, c’est obligatoirement écouter, entrelacer sa parole avec celles des autres. Tisser c’est intégrer l’altérité.

Avec tous ces fils, vous tisserez un lien solide entre vous et vos publics.

A la fin vous serez uniques, votre récit sera au choix brut comme du denim, brillant comme du damas, ajourée comme de la dentelle, opaque comme le taffetas, moiré comme de la soie ou rugueux comme le tartan. Tisser, broder c’est se singulariser.

Et à chaque mouvement de votre marque, transformation de votre organisation, vous ferez vibrer les fibres de votre récit.

 

Les communicants doivent se mettre derrière un métier à tisser ; et tisser, comme communiquer, c’est un métier.

[1] Etude Occurrence et Makheia en 2013

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