3 juillet 2022

Temps de lecture : 6 min

« Front Populaire s’adresse à une audience qui n’était pas servie » : Stéphane Simon

INfluencia poursuit sa mini-série sur la presse d’opinion avec Front Populaire, la revue de tous les souverainistes lancée en juin 2020 par le philosophe Michel Onfray et Stéphane Simon, son directeur de la publication. Retour sur expérience avec le producteur de télévision à l’origine de nombreux succès avec Thierry Ardisson et Jean-François Zygel, qui crée aujourd’hui des médias numériques, mais pas que…

Dans un monde où la ligne de fracture n’est plus tellement la gauche et la droite, mais plutôt entre citoyen mondialisé ou enraciné, il manquait un média pour refléter cette approche.

INfluencia : Front Populaire a connu un grand succès dès son lancement en juin 2020. A quelle attente répond cette revue des « souverainistes de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part » ? 

Stéphane Simon : le démarrage avait été extrêmement fort avec un premier numéro sur ce thème du souverainisme vendu à un peu plus de 100 000 exemplaires après des réimpressions et des problèmes de réassort dans un contexte de sortie de confinement, puis un deuxième numéro sur l’Etat profond qui est monté à 150 000 exemplaires. Front Populaire s’inscrit dans une tradition française de la revue intellectuelle et de débats, mais elles avaient rarement atteint des niveaux comme celui-ci. Cette manière de penser le monde autour du souverainisme citoyen prôné par Michel Onfray, qui estime que l’on est Français quand on est Français de cœur, permet d’aborder l’actualité sous un prisme qui était inédit en France et s’adresse à une audience qui n’était pas servie. Certains souverainistes de droite étaient peut-être lecteurs du Figaro ou de Valeurs Actuelles, certains souverainistes de gauche lisaient peut-être Marianne… Dans un monde où la ligne de fracture n’est plus tellement la gauche et la droite, mais plutôt entre citoyen mondialisé ou enraciné, il manquait un média pour refléter cette approche.

IN : le logo est entouré de deux mentions : « La revue de Michel Onfray » et une citation de La Boétie. Dans quelle mesure la personnalité de Michel Onfray contribue-t-elle au succès ?

S.S. : Michel Onfray joue un rôle très important car c’est un penseur qui plait beaucoup et qui a un public très large. C’est aussi un personnage totalement indépendant, qui ne fait pas de marketing et n’épouse pas l’opinion dominante. Il dit ce qu’il pense avec une forme d’énergie et, parfois, une brutalité qui crée des crispations car le lectorat ne suit pas. On a par exemple payé au prix fort son indépendance d’esprit par rapport au vaccin. Il était pro-vaccin quand beaucoup de gens y voyaient une forme de totalitarisme sanitaire insupportable. Ce n’est pas grave ! C’est cette indépendance d’esprit, qui n’est pas dictée par le succès, que j’aime accompagner et qui nous rend inclassables.

Michel Onfray dit ce qu’il pense avec une forme d’énergie et, parfois, une brutalité qui crée des crispations car le lectorat ne suit pas. C’est cette indépendance d’esprit que j’aime accompagner et qui nous rend inclassables

IN : deux ans après le lancement, où en est Front Populaire et quel modèle économique a-t-il trouvé ?

S.S. : nous avions 30 000 abonnés au démarrage et nous en avons aujourd’hui 50 000, 10 000 en numérique et 40 000 papier et digital. Front Populaire est devenu le premier mook en France et se vend à peu près autant en kiosque et en librairie. On serait très profitables si on ne faisait que la revue, mais on dépense beaucoup d’argent sur le site. A l’origine, on n’avait pas vocation à créer un site sur les informations de l’univers souverainiste, mais on a été un peu dépassés par le succès et il fallait être capable d’accompagner les lecteurs au-delà de la revue trimestrielle. La petite équipe produit 7 à 10 contenus frais par jour, 5 à 6 vidéos par semaine… Le site compte environ un tiers de gratuit et deux tiers réservés aux abonnés. Il est important que les gens puissent venir découvrir un article, en lire un autre si cela les intéresse… A un moment, si ça leur plait, on espère qu’ils vont s’abonner.

IN : les thématiques abordées par la revue ont souvent une connotation polémique, inquiétante ou dramatique : Etat profond, immigrations, propagande, mort de la démocratie… Certaines font-elles davantage recette que d’autres ?

S.S. : on constate une variation de plus ou moins 20 000 exemplaires en fonction des thèmes. L’Etat profond a été un vrai carton, l’écologie a moins marché que le numéro sur la propagande, mais cela ne nous empêche pas de traiter de ce sujet important. On est pour une écologie scientifique, plus rationnelle et pas punitive. Il était important de prendre la plume pour expliquer tout cela et tant pis si ce numéro fait 10 000 exemplaires de moins.

IN : vous ne vouliez pas créer un média de plus mais un média « différent ». En quoi se différencie-t-il particulièrement ?

S.S. : on essaie d’abord de proposer un travail de décryptage, qui s’inscrit à contre-pied des médias de l’instantanéité que sont la télévision, la radio, les réseaux sociaux ou la presse quotidienne, qui sur-réagissent à l’actualité. Il y a une information absolument prolifique et prolixe sur l’hyper-réactivité et, en revanche, de moins en moins de formats, d’explications et d’entretiens longs. Front Populaire fait exactement le contraire de ce que l’on apprend en école de journalisme pour gagner des lecteurs : privilégier les papiers courts et une bonne illustration. Chaque numéro apporte les expertises de contributeurs qui ne sont pas journalistes, qui expliquent, éclairent et recontextualisent ce qui compose l’actualité. Nos papiers de 8 à 10 pages, très peu illustrés, se doivent d’être lus patiemment, en n’hésitant pas à y revenir. C’est pour cela que l’on offre un objet qui peut être gardé comme un livre plus que comme une revue.

Nos papiers de 8 à 10 pages, très peu illustrés, se doivent d’être lus patiemment, en n’hésitant pas à y revenir. C’est pour cela que l’on offre un objet qui peut être gardé comme un livre plus que comme une revue

IN : le site est ouvert aux contributions et aux commentaires. Comment s’organise leur publication et leur modération ?

S.S. : les contributions sont relues avant d’être publiées mais il est rare qu’on réécrive les textes. Soit ils sont publiables, soit ils ne le sont pas. On privilégie les contenus informés et de décryptage, plutôt que de l’humeur. Sur le site, le décryptage est sacré mais le commentaire est libre. C’est parfois énervant car beaucoup de gens se critiquent alors que nous sommes une initiative de rassemblement des souverainistes. On se retrouve parfois avec des commentaires mal emmanchés, pas toujours très obligeants nous concernant… Peu importe, on l’assume. On fait confiance à l’intelligence individuelle et collective, on ne censure pas.

IN : quels seraient les développements à venir, sur le plan éditorial ou dans l’événementiel, qui était envisagé dès les débuts ?

S.S. : la rencontre prévue à Marseille à l’automne 2020 entre Michel Onfray et le Professeur Raoult ne s’est pas faite car on a été reconfinés. Avec le temps, l’envie de Michel s’est estompée… Nous avons organisé d’autres rencontres avec Eric Zemmour quand il n’était pas encore candidat à présidentielle, ce qui a permis de poser de vraies lignes de clivage entre eux deux, puis avec Georges Kuzmanovic, [président du parti République souveraine, ndlr] qui était lui candidat mais n’a pas réussi à recueillir ses 500 signatures… On va continuer dans l’événementiel, par exemple avec l’Université d’été de Front Populaire, qui se tiendra à Uzès du 2 au 4 septembre prochain, avec des conférences, des ateliers, des rencontres avec le public, et où on annoncera beaucoup de nouveautés. On voudrait aussi spécialiser nos hors-séries. On travaille sur un hors-série plus régulier autour des grands enjeux de civilisation.

IN : Quels sont aujourd’hui les liens entre la revue et le mouvement politique France souveraine, ex-Front Populaire et Compagnie ?

S.S. : France Souveraine est une association qui s’est créée pour les plus motivés des abonnés de Front Populaire, qui avaient envie d’être plus présents sur le terrain politique. Le mouvement se réclame des valeurs de la revue mais s’en est émancipé. Il est aujourd’hui dirigé par Guillaume Bigot, éditorialiste sur CNews et directeur général de l’IPAG Business School, et essaie de valoriser le modèle de démocratie décentralisé et girondin. Un peu comme cela se pratique en Suisse, un modèle dont les Français auraient beaucoup à apprendre.

La télévision ne me boude pas mais elle est en crise de créativité. Aujourd’hui je préfère inventer des médias et je déborde de boulot !

IN : votre engagement dans le souverainisme et le succès de Front Populaire ont-ils nui à votre activité de producteur télé ?

S.S. : la télévision ne me boude pas mais elle est en crise de créativité. Elle est aussi un peu idéologisée et pas toujours sur les mêmes lignes, mais ce n’est pas très grave. Je continue à en faire un peu mais, après 20 ans de production télé, j’en ai aussi un peu fait le tour. Aujourd’hui je préfère inventer des médias et je déborde de boulot ! J’ai une dizaine de web TV [développées à travers une entité Le Magasin Numérique, ndlr]. On a lancé avec Bernard de la Villardière la plateforme sociale neo, qui a complètement explosé son business plan, fait environ 60 millions de vues par mois en ce moment et va bientôt avoir une petite soeur. En un an, c’est devenu le 2e media sur les réseaux sociaux, assez loin derrière Brut mais devant Konbini, Loopsider, AJ+ et france.tv/slash. J’ai deux lancements à préparer pour l’automne prochain… Aujourd’hui, grâce au numérique, on peut lancer des médias plus facilement qu’avant où il fallait être très fortuné pour lancer un journal. Et ça, c’est extraordinaire !

En savoir plus

Front Populaire, la revue de Michel Onfray est éditée par Les Editions du Plénitre.

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