4 avril 2025

Temps de lecture : 7 min

Stéphane Guerry (Havas Play) : « Quand Waze bugge, c’est la panique totale pour moi »

Et les marmottes ? Elles ne mettent pas le chocolat dans le papier d’alu mais elles petit-déjeunent avec Stéphane Guerry. Le président de Havas Play et Havas Events répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’Hôtel Littéraire Le Swann* – Proust oblige. 

INfluencia : Votre coup de cœur ?

Stéphane Guerry : Je ne vous étonnerai pas si je vous dis que j’en ai plusieurs : mon premier date de décembre, c’est le teamLabBorderless , un musée d’art numérique que j’ai visité à Djeddah en Arabie Saoudite. TeamLab est un collectif d’art international fondé à Tokyo en 2001, qui s’est donné pour mission de dépasser les frontières dans le domaine de l’art partout dans le monde. J’avais déjà vu l’exposition permanente créée au Japon. Mais celle de Djeddah est encore plus grande – 10 000 m ² – et impressionnante. C’est un lieu unique immersif et prouesses techniques se mélangent. Les œuvres se déplacent librement au-delà des salles d’exposition, établissant des connexions avec les visiteurs, interagissant entre elles et se mêlant parfois. C’est magique et exceptionnel. Ça dure dix ans, donc vous avez encore le temps d’y aller…

Je suis angevin et j’aime beaucoup le vin

J’ai un autre coup de cœur, cette fois-là en littérature, qui va peut-être vous étonner car il s’agit d’un livre un peu technique : « Les êtres de la vigne », écrit par Jean Foyer, un chercheur anthropologue du CNRS, qui a enquêté pendant cinq ans auprès des vignerons biodynamistes en Anjou. Je suis angevin et j’aime beaucoup le vin. Je voulais comprendre pourquoi tous les vignerons passaient à la biodynamie, si c’était un mouvement sectaire comme le disent certains, pourquoi ils y restaient, pourquoi d’autres en sortaient. Ce livre est vraiment passionnant.

Je trouve que Trump incarne actuellement ce que décrivait Noémie Klein dans son livre La stratégie du choc

IN. : Et votre coup de colère ? 

S.G. : Mon coup de colère est d’ordre géopolitique. Il s’adresse à ce qui se passe dans le monde, mais aussi à nous-mêmes, car malgré les avertissements, nous restons passifs. Le livre de Naomi Klein, « La stratégie du choc », publié en 2007, était visionnaire. Elle y explique que tout commence par la désorientation, permettant ainsi de faire passer des réformes brutales assurant la prise de contrôle de la planète par les partisansd’un ultralibéralisme tout-puissant. Ce processus détruit les services publics, avec des conséquences désastreuses pour la population, et en particulier pour les plus pauvres.

Je trouve que Trump incarne actuellement ce que décrivait Noémie Klein. Chaque matin, il nous submerge d’annonces contradictoires, créant anxiété et angoisse, nous désorientant au point de nous empêcher de réagir. Nos repères sont complètement bouleversés. On nous dit des choses incroyables et inimaginables, et chaque jour apporte de nouvelles déclarations choquantes de la part de Trump ou de Musk. Je pense que cette désorientation constante nous empêche de nous mettre en colère et de nous révolter, car nous nous demandons où nous sommes, où nous vivons, et où va le monde dans lequel nous évoluons.

IN. : L’évènement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

S.G. : Comme beaucoup, c’est la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques car il n’y a pas tant d’occasions que cela de bomber le torse et d’être fier d’être Français. Je pense que je me souviendrai toute ma vie de ce moment, de cette parenthèse enchantée qui a duré trois heures et demie sur 7 kms, commençant avec la pluie et finissant avec la pluie (rires).

J’ai pu côtoyer les plus grands joueurs du monde, qui étaient tous là, à deux mètres de moi 

En dehors des Jeux olympiques, j’ai vécu une expérience incroyable la même année. Passionné de golf depuis mes années étudiantes, je n’ai malheureusement plus beaucoup de temps pour pratiquer régulièrement. En avril 2024, j’ai eu l’opportunité exceptionnelle d’assister au Masters d’Augusta aux États-Unis, l’événement ultime pour tout golfeur. Les meilleurs joueurs du monde s’y affrontent pour remporter ce prestigieux trophée. Habituellement, obtenir un billet relève de l’impossible, avec un tirage au sort où les demandes dépassent largement les places disponibles. Contre toute attente, j’ai réussi à y assister. Un rêve inaccessible devenu réalité pendant quatre jours inoubliables. J’ai pu côtoyer les plus grands golfeurs, à seulement deux mètres de moi, presque à portée de main. Pour un amateur de golf, pénétrer dans ce sanctuaire est une expérience mémorable. Ce que j’apprécie particulièrement dans ce sport, c’est la proximité avec les joueurs ; on n’est pas simplement assis dans un stade. Cette compétition semble hors du temps, baignée dans un calme absolu, sans téléphones portables autorisés, qu’il faut déposer à l’entrée. De plus, le cadre est époustouflant, sculpté au cœur de la nature.

Les reporters sont les derniers héros de notre temps

IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire

S.G. : J’aurais aimé être reporter. Avec le recul, je me dis que c’est un métier de plus en plus difficile et qu’on ne peut qu’admirer ceux qui l’exercent. Il faut vraiment avoir du courage aujourd’hui, que ce soit pour couvrir un terrain de guerre ou mener une enquête en entreprise. Les reporters sont confrontés à de nombreux défis : le modèle économique de la presse, la pression des lobbies, ou encore les menaces des criminels qu’ils dénoncent. Je trouve que ce sont les derniers héros de notre temps. On dit que l’IA les remplacera, mais je ne pense pas que ce sera le cas pour ceux qui font de la vraie investigation.

Est-ce que je regrette de ne pas avoir choisi cette voie ? Ce n’est pas certain. Je ne suis pas sûr que j’aurais eu le courage, la ténacité et la patience nécessaires pour être un grand reporter. Cela demande tellement de qualités que je ne sais pas si j’aurais pu le faire (rires).

Avoir réussi à trouver, avec les miens, notre petit coin de bonheur pour nous échapper et créer notre bulle

IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

S.G. : Cela peut sembler simple et matérialiste, mais dans les temps actuels, c’est d’avoir réussi à trouver, avec les miens, notre petit coin de bonheur pour nous échapper et créer notre bulle. Cela nous permet de nous recentrer dans un monde qui va trop vite et devient de plus en plus violent. Nous vivons dans un hameau de 50 personnes, les petites maisons sont entièrement en bois, il n’y a pas un bruit. Situé à 9 heures de Paris et à 2000 mètres d’altitude, l’endroit offre une vue panoramique à 180 degrés sur les cimes des Alpes. Le matin, lorsque nous nous levons, nous prenons notre petit-déjeuner en compagnie des marmottes. Habituellement, elles n’apprécient pas trop les humains et se cachent, mais elles se sont habituées à nous. C’est un moment exceptionnel.

Si j’avais pris des cours de golf plus tôt, au lieu d’avoir un handicap de 16, j’aurais pu être en dessous de 10

IN. : votre plus grand échec ? (idem)

S.G. : Je n’ai pas de grands échecs, soit parce que je suis dans le déni et j’ai oublié (rires), soit parce que je ne me suis pas mis la barre assez haute. Mais il y a quand même quelque chose que moi, qui suis passionné par le vin, je n’ai toujours pas réussi à faire : rendre visite à un vigneron très singulier. Il s’appelle Martial Angeli et ne m’a toujours pas autorisé à venir chez lui (à La Ferme de la Sansonnière dans la vallée de la Loire, ndlr). Il est débordé, je le sais, et il passe beaucoup de temps à aider d’autres vignerons. Rencontrer des particuliers n’est pas forcément son premier choix. Mais s’il nous lit…. (rires)

Mon deuxième échec, ou plutôt regret concerne le golf. J’ai commencé au lycée. C’était obligatoire car mes professeurs d’éducation physique étaient passionnés. Mais je n’ai jamais pris de cours. Après le bac j’ai continué à jouer, mais tout seul. Je ne me suis mis à prendre des cours qu’à 50 ans. Si je l’avais fait plus tôt, je ne serais pas certes devenu un pro mais au lieu d’avoir un handicap de 16, j’aurais pu être en dessous de 10 et éprouvé une sensation différente quand je joue. C’est comme dans tout, il faut accepter d’apprendre

IN. : Votre digital addiction

S.G. : Appli, réseaux sociaux, et… J’en ai plein, mais si je réfléchis à celle où je passe le plus de temps, c’est Waze. Et quand elle bugge, c’est la panique totale pour moi. Parfois je suis dans un endroit que je connais, par exemple à Paris et je suis obligé de faire un effort surhumain : je suis où ? Je fais quoi ? Je vais à droite ou à gauche ? Je suis obligé de reconsidérer les différentes options possibles. Je ne sais pas si c’est une addiction, en tout cas, pour le moins c’est une dépendance.

Evgeny Morozov, chercheur spécialiste des implications politiques et sociales du progrès technique et du numérique, m’a ouvert les yeux

IN : Une pensée qui vous inspire

S.G. : J’ai commencé à travailler le siècle dernier dans le le digital, qui était plutôt le web à l’époque. On pensait qu’on révolutionnait le monde, qu’Internet allait révolutionner le monde, ouvrir la connaissance et favoriser la démocratie. Et celui qui m’a un peu ouvert les yeux est un chercheur américain, spécialiste des implications politiques et sociales du progrès technique et du numérique, qui s’appelle Evgeny Morozov. Il fait référence dans le monde et a écrit notamment deux livres passionnants. Le premier s’appelle « Net Delusion : The Dark Side of Internet Freedom » (« La désillusion liée à Internet »), où il dénonce les systèmes de surveillance masse et explique notamment comment le web influe sur la stabilité des régimes autoritaires, totalitaires et des pays « en transition ». Dans le deuxième, « To save everything click here. Technology, Solutionism, and the Urge to Fix Problems that Don’t Exist ». (« Pour tout résoudre cliquez ici »), il développe la notion de « solutionnisme technologique » pour expliquer comment chaque problème humain (politique, social, sociétal) est systématiquement transformé en question technique, puis discuté par les acteurs du numérique privés ou publics, qui proposent enfin des solutions numériques trop simplistes dont le but est de traiter les effets des problèmes sans jamais s’intéresser à leurs causes. Je suis tout à fait d’accord avec lui. Dans le meilleur des cas ces solutions ne sont pas efficaces, dans le pire des cas elles sont dangereuses.
Il a vraiment été une révélation pour moi. Ses théories peuvent sembler évidentes aujourd’hui. Mais quand on voit la façon par exemple dont certaines plateformes ont été rachetées par des magnats et la façon dont ils s’en servent, ce qu’il a écrit, il y a plus d’une dizaine d’années était très novateur.

IN. : Quel acteur de cinéma aimeriez-vous emmener sur une île déserte ?

S.G. : Sean Penn. C’est quelqu’un de courageux,d’engagé politiquement et dans de nombreuses causes humanitaires. C’est un acteur remarquable, une véritable icône, qui peut également diriger et réaliser. 

* L’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

En savoir plus

Lactivité

Stéphane Guerry est en train de développer une solution commune dans l‘activation et l’expérience pour les entreprises avec les deux agences Havas Play et Havas Events.

Havas Events développe ses activités en Arabie Saoudite.

Fabrice Plazolles, qui était directeur de création d’HavasPlay en devient directeur général. Allan Huon rejoint l’agence comme directeur de création et Charles Bal, est nommé directeur des stratégies.

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