12 avril 2024

Temps de lecture : 8 min

Stéphane Delaporte (366) : « Si c’était à refaire, je serais « Chasseur de Bounty » »

Amis de Stéphane Delaporte, préparez-vous. Qui sait, plus tard il ne vous parlera pas de presse quotidienne régionale mais il viendra peut-être mixer dans vos soirées… Le directeur général de 366  répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr –
questionnaire

INfluencia : Votre coup de cœur ?

Stéphane Delaporte : Mon signe zodiacal (balance) fait que je suis quelqu’un qui aime vivre des « coups de cœur », c’est d’ailleurs parfois compliqué lorsque ces derniers se suivent trop rapprochés ou trop réguliers. J’ai parfois du mal à y faire le tri. En ce moment c’est pour « Dune ». J’ai toujours été un passionné de SF, j’ai baigné dedans étant adolescent car je trouvais, et je trouve toujours, que la science-fiction est le meilleur moyen de voyager dans le temps, dans l’espace et de rêver. J’aime ces allégories de la condition humaine, celles qui montrent la constance de notre nature profonde quels qu’en soient l’époque, le monde ou le paradigme, ainsi que les grands choix de notre vie. Une autre qualité de la SF est que par définition, elle est souvent annonciatrice des évolutions, entre autres technologiques. De la même manière que l’adaptation du « Seigneur des Anneaux » était une très grande adaptation, celle de Denis Villeneuve (réalisateur de Dune, ndlr) est remarquable, par la réalisation, la façon de filmer, les bruits, la musique… Et on y retrouve tout ce qui fait la force du livre de Franck Herbert : ce qui anoblit l’homme est là, tout comme ce qui l’affaiblit, les plus grandes vertus y côtoient les plus pitoyables vices, le tout avec une notion du sacré très affirmée. Bref, c’est l’histoire de l’humanité, la poésie en plus.

Tout va dans l’excès ou l’anathème, ce qui provoque une impossibilité de faire « société » ou « démocratie »

IN. : Et votre coup de colère ?

S.D. : C’est le débat public qui aujourd’hui me désole, l’incapacité et la non-volonté de la recherche de consensus. Nous avons maintenant un Etat qui est exclusivement serviciel, il n’y a pas de grands projets, plus de visions globales qui pourraient emmener les populations et en particulier la jeunesse. Tout va dans l’excès ou l’anathème, ce qui provoque une impossibilité de faire « société » ou « démocratie ». On rajoute à cela les appels récurrents à la guerre et la dialectique qui va avec, toutes ces résurgences des années 30/40 me mettent très mal à l’aise et j’ai envie de dire au politique : « mais réveillez-vous quoi ! Arrêtez de vous comporter comme des ados attardés ! » Je rajouterais également la résultante de cette situation où les réseaux sociaux incontrôlés sont devenus les nouveaux tribunaux du net.

Il nous a fait étudier Beckett – « En attendant Godot » – pendant presque six mois

IN.: la personne ou l’événement qui vous a le plus marqué dans votre vie

S.D. : Malheureusement ma réponse va être banale, c’est un évènement : j’étais dans mon bureau (à cette époque j’avais une télé dans mon bureau) et je vois en direct un avion foncer dans une tour puis quelques minutes après un deuxième avion foncer dans la tour d’à côté. Nous nous sommes tous arrêtés de travailler, aimantés et collés à l’écran de voir l’incroyable. C’était le 11 septembre 2001 et je m’en souviens comme si c’était hier, je pense que chacun d’entre nous sait ce qu’il faisait à ce moment-là. Je me suis dit, comme beaucoup d’autres, que le monde ne serait plus jamais pareil… Pour ma génération, cela a été un immense choc.

Rien à voir, mais j’ai aussi été marqué par un professeur de français en première dont j’ai oublié le nom mais qui m’a révélé à la littérature, aux beaux textes et à la lecture en général. Il nous a fait étudier Beckett – « En attendant Godot » – pendant presque six mois ! Je ne sais toujours pas pourquoi cette pièce m’a donné l’envie de lire car dans mon souvenir elle était assez floue et plutôt imbuvable, mais c’est bien elle qui m’a ouvert la voie des textes. Par la suite, j’ai commencé à m’intéresser aux textes des chansons et là il n’est pas rare de trouver des pépites. Il ne faut pas uniquement écouter les chansons, il faut absolument les lire. Je dois beaucoup à cet enseignant car c’est lui qui m’a fait réaliser que pour se faire comprendre, il fallait maîtriser les mots et les textes.

Devenir moine m’a effleuré à une époque.

IN.: Si c’était à refaire

S.D. : Je serais « Chasseur de Bounty », en référence au monde fantasmé de la pub Bounty des années 80’s. Bref, à l’opposé de ce que j’ai fait (rires). Plus sérieusement je rechercherais l’insouciance éternelle, la simplicité, l’harmonie avec la nature, la déconnexion et le moins de contraintes possible. Je mesure ce que cela peut avoir de scandaleux et j’assume cette irrationalité, j’y aspire même, car elle permet la pondération avec le quotidien et elle pousse à la recherche de ce qui est véritablement important. Également le recul avec les choses et le temps, c’est pour cette raison que devenir moine m’a effleuré à une époque. J’ai toujours été attiré vers les destinées et les vies en rupture. D’une certaine manière les expériences de vies racontées dans les livres de Bernard Moitessier, Sylvain Tesson et Henry de Monfreid ou la synthèse poétique qu’en fait Baudelaire dans « L’examen de Minuit » et le détachement que cela suppose, ont été pour moi des quêtes inaccessibles qui ont bercé mes rêves.

J’ai fait le Marathon de New York sans quasiment aucun entrainement et en détestant la course à pied

IN.: votre plus grande réussite (en dehors de la famille et du boulot)

S.D. : Il y a une chose que je considère comme une réussite, c’est d’avoir compris assez tôt que l’on pouvait quasiment tout faire avec la volonté. J’en suis d’autant plus heureux que contrairement au système éducatif anglo-saxon, c’est à peu près l’opposé qui nous était enseigné dans le système français de mon époque (je sais que j’exagère). Ce que je veux dire c’est qu’en Grande Bretagne, aux USA, ou tout simplement en Belgique, on apprend en priorité à un enfant de 5, 6 ou 7 ans à avoir confiance en lui et à croire en sa volonté de « faire ». C’est une force extraordinaire que chacun d’entre nous possède, encore faut-il la faire éclore et la travailler. J’ai par exemple utilisé cette conviction pour faire le marathon de New York en 1989 sans quasiment aucun entrainement et en détestant la course à pied ! Evidemment, je ne parlerai pas du temps réalisé, la pudeur m’interdit de le dire. (Rires) Mais j’ai terminé et je suis donc détenteur de la médaille qui va avec et j’en suis très fier. La volonté c’est ce que dit Guillaumet à Saint Exupéry : « ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait fait ».

Pour cette mauvaise raison de manque de temps, j’ai renoncé à une traversée de l’Atlantique à la voile

IN.: Votre plus grand échec

S.D. : Concernant l’échec ou les échecs, pour ma part j’ai très mal géré mon temps. C’est l’arbitrage du temps qui ne m’a pas permis de me consacrer plus à des activités qui me passionnent : écrire, lire, découvrir des musiques, naviguer, être capable de tenir une nuit en mixant en symbiose avec une foule que vous devez accompagner. Les grands DJ’s sont de véritable psy, pour faire vibrer une salle sur le temps, c’est-à-dire plus de quatre heures sans rompre le rythme. Il faut la sentir et la respirer, vibrer et la comprendre. Ce genre de passion, sans en faire un métier, nécessite du temps et je ne l’ai pas assez pris. J’ai assisté à une dizaine de cours de mixage de deux heures à chaque fois, dans un hangar à St Ouen, moyenne d’âge 16-25 ans, avec des rappeurs de cité, tous des professionnels ou qui voulaient en faire leur métier et qui ne comprenaient pas très bien pourquoi j’étais là (rires). Je n’étais pas un génie mais cela m’a éclaté de faire cela. Et plus tard, c’est sûr et certain, je referai un cycle de cours quand j’aurai plus de temps et j’en ferai profiter mes amis.

Toujours pour cette mauvaise raison de manque de temps, j’ai dû renoncer à une traversée de l’Atlantique à la voile avec deux amis. Il est vrai que l’arbitrage entre le professionnel et le personnel a évolué avec le temps, sur les générations plus jeunes et je trouve cela très bien.

IN: quel livre vous a le plus marqué?

S.D. : J’aime lire et j’aime lire en écoutant de la musique. Selon la musique que vous écoutez à ce moment , les mots, les phrases et le sens du livre  ne sont plus les mêmes, j’adore cela. La « Comédie Humaine » est pour moi essentielle, Balzac a compris, avant la psychanalyse, comment sonder le fond de l’âme, et lire Eugénie Grandet ou le Curé de Tours en écoutant Fauve, c’est assez marrant.

Dans les livres relativement récents, je suis tombé sous le charme de « Monsieur » d’Emma Becker. Dès que j’avais un dîner, j’offrais cet ouvrage à mes amis. Cette auteure, vingt ans quand elle écrit « Monsieur », possède un talent rare – que seule la jeunesse peut donner car elle ne calcule pas – pour écrire l’amour comme sentiment, avec un érotisme sophistiqué et cru pour le décrire. Emma Becker a réinventé la littérature érotique en se plaçant du côté des femmes avec les mots de son époque et une écriture brillante, jamais vulgaire. C’est de la même force que Radiguet ! Pour vous donner envie de lire ce livre : « Parfois on extrait une écharde. Parfois on s’extrait d’une écharde. Le reste importe peu. Le reste n’est que ce long processus de désamour qui ramène toutes les petites filles à des rivages où elles désapprennent la douleur, la compromission, l’abnégation, le tourment – où les chagrins sont moins poignants et le plaisir moins dense ». Il faut voir absolument la première interview d’Emma Becker par Elkabbach dans Bibliothèque Médicis, sur Public Sénat : un régal.

 

      Du code Napoléon découlent toutes les grandes réformes sociétales et les applications juridiques

IN:  la réforme ou l’évolution historique que vous admirez le plus?

S.D. : Sur les plus de deux mille ans d’histoire qui font de notre pays ce qu’il est, si je me cantonne aux deux cents dernières années, je pense que la création de nos lois civiles, du système qui les entoure et le fondement juridique de notre démocratie, c’est incontestablement le code dit Napoléon en 1804 car il régit les liens entre les citoyens, leurs droits et leurs devoirs. C’est la plus grande contribution en matière d’organisation d’une société et la vitesse à laquelle tout a été réalisé (environ trois ans) est absolument incroyable. Je ne suis pas sûr qu’un tel travail soit possible aujourd’hui, et il me semble indispensable d’enseigner au collège d’une manière beaucoup plus complète l’histoire de cette création et de ses implications (sans occulter néanmoins qu’il a institué l’incapacité juridique de la femme mariée !). Du code Napoléon découlent toutes les grandes réformes sociétales et les applications juridiques qui ont été adaptées depuis, non seulement en France, mais aussi en Belgique, en Italie, en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas. C’est le socle qui a permis cela.

IN. : quel homme politique emmèneriez-vous sur une ile déserte ?

S.D. : Cesar. C’est un grand bâtisseur, organisateur d’empire et de sociétés, pas un guerrier. J‘emmènerais l’homme et ses mémoires, puisque nous avons la chance de les avoir. Mais il faudrait que ce compagnon soit aussi un créatif comme Churchill, homme politique, également peintre et écrivain, qui a reçu le prix Nobel de littérature en 1953 . J’imagine les discussions passionnantes et sans fin entre les deux personnages. De quoi occuper les jours et les longues soirées.

 

 

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu »

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L’actualité de Stéphane Delaporte

 

366 va continuer à se développer sur trois axes : la monétisation, la production de contenus avec Diverto et la plateformisation. « Nous allons fortement plateformiser 366 pour avoir à terme un système qui permettra d’acheter directement la totalité de l’inventaire. Un très gros chantier que nous dévoilerons à partir de juin/juillet »

366 va continuer à « massifier l’entreprise qui pèse aujourd’hui 120 millions pour aller à terme vers 250/300 millions, avec soit des rapprochements soit des acquisitions »

-Lancement à l’automne de l’opus 7 de l’étude « Français/Françaises » réalisé avec l’institut Georges fondé par Dominique Lévy

 

 

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