INfluencia : comment avez-vous travaillé sur ce sixième opus de l’étude Françaises, Français, etc. ?
Stéphane Delaporte : nous avons reconduit le principe d’une méthodologie hybride dans un exercice qui était déjà très solide dès l’origine et ne cesse de se renforcer en agrégeant progressivement de nouvelles briques. Pour ce sixième volume, les résultats ont été recueillis en quatre étapes. Un aspect de « planning stratégique » a été mené par BVA. Une phase de big data sémantique a été orchestrée par la plateforme de veille média Aday sur plus de 100 millions d’articles produits par la presse quotidienne régionale (PQR) depuis 2012 pour définir les signaux forts et faibles à partir des termes qui émergent d’un corpus de 30 milliards de mots. Cette année, l’étude a intégré une nouvelle étape d’ethnographie sociale réalisée par Uptowns pour aller chercher sur les réseaux sociaux des signaux faibles qui ne s’expriment pas ailleurs. Enfin, une enquête quanti a été menée par Kantar sur un panel de 3000 personnes.
Une nouvelle étape d’ethnographie sociale a permis d’aller chercher sur les réseaux sociaux des signaux faibles qui ne s’expriment pas ailleurs
IN : quels sont les principaux enseignements ?
S.D. : nous avons traversé ces dernières années une succession de crises – gilets jaunes, crises sanitaire, énergétique et climatique, guerre en Ukraine, réapparition de l’inflation… – qui a un impact majeur sur nos concitoyens. Même s’ils font preuve de résilience et d’adaptation*, on constate une inquiétude et une fatigue qui doit interpeller le politique et les annonceurs. Une partie de la population se coupe d’ailleurs de tous les supports d’information pour se déconnecter du bruit du monde ou par « fatigue du buzz ». D’autres décident de changer leurs habitudes de consommation… Plus que jamais, les marques doivent communiquer à hauteur d’homme avec des messages qui créent de la familiarité et accompagnent les gens au quotidien. Au moment où le monde est mis à distance, le local est une valeur réconfortante.
IN : y avait-il des signaux faibles intéressants qui n’ont pas fait l’objet d’une tendance à proprement parler mais restent à surveiller ?
S.D. : nous avons regardé une cinquantaine de signaux faibles qui illustrent la multiplicité des comportements face à une même situation. Parmi ceux-ci, on peut par exemple citer le refus d’acheter tout ce qui n’est pas Made in France, le jeûne numérique pour se reconnecter au monde et à la nature, la tendance du vélo cargo dans la mobilité, le développement des aliments fermentés dans le food, au croisement des préoccupation sur l’écologie et la santé, ou d’autres mouvements qui peuvent être plus sujets à caution comme le shaming. Ces tendances sont souvent intéressantes, mais chacune d’entre elles ne concerne pour le moment que peu de gens.
A chaque fois qu’un opus de Françaises, Français, etc. est sorti, on s’est rendu compte rétrospectivement que la nouvelle crise qui survenait était déjà en germe dans ce volume
IN : la précédente étude avait été rendue publique quelques jours avant le premier confinement en mars 2020 et la crise sanitaire avait confirmé les tendances mises en avant. Ce nouvel opus parait à nouveau dans une période très chahutée et incertaine. Comment la PQR la raconte-t-elle ?
S.D. : à chaque fois qu’un opus est sorti, nous nous sommes rétrospectivement rendu compte que la crise qui survenait était déjà en germe dans ce volume. Toutes les tendances qui s’exprimaient il y a dix ans n’ont fait que s’amplifier : les limites de la mondialisation, la remise en cause d’un certain modèle, l’envie d’autre chose… mais aussi des éléments positifs comme la résilience, la créativité, l’inventivité et les initiatives dont font preuve nos concitoyens*. Dans le marasme qui fatigue la population et le flot de mauvaises nouvelles qui viennent du monde, les médias de proximité sont une respiration et une voix plutôt positive. La PQR devient une sorte de havre de paix. Elle met en avant beaucoup d’initiatives de proximité, auxquelles on croit davantage ou que l’on peut vérifier soi-même, qui montrent que l’on peut aussi réaliser beaucoup d’actions concrètes pour le bien commun.
Cette étude est devenue un référent du marché en termes de corpus et de projection. C’est la contribution de 366 à la réflexion générale sur l’évolution du marché et des Français
IN : chaque publication de Françaises, Français, etc. fait l’objet d’un roadshow. Le niveau d’exigence ou la curiosité de vos interlocuteurs évolue-t-il au fil des ans ?
S.D. : le roadshow est un temps fort après la parution de chaque volume de cette étude qui est devenue un référent du marché en termes de corpus et de projection. Nos interlocuteurs ont compris que l’étude est solide, que 366 n’en fait même pas un argument commercial mais que c’est notre contribution à la réflexion générale sur l’évolution du marché et des Français. La notoriété et l’image de l’étude a fortement progressé. Entre le roadshow, les présentations en plénières et les rendez-vous particuliers, nous faisons une centaine de présentations. Cette année, nous sommes à une croisée des chemins avec la guerre en Ukraine, le retour de l’inflation, la situation politique issue de la présidentielle et des législatives… L’intérêt sera peut-être encore renforcé.
*INfluencia consacre sa revue N° 41 au thème de l’adaptation.
En savoir plus
Les 12 tendances dégagées par le sixième opus de Françaises, Français, etc. :
– Stratégies d’adaptation
– La marmite bout encore…
– Ensemble mais différents !
– Beautés fluides
– L’assiette militante
– La distance au travail
– Concentré de culture
– Fractures économiques
– Petite reine, grands enjeux
– La fatigue du buzz
– L’icône rurale
– Ce qui nous lie
Françaises, Français, etc. avait été désignée « Etude de l’année 2020 » lors des trophées Etudes et Innovation et remporté l’Or dans la catégorie « Hybridation ». Toujours en 2021, elle avait aussi reçu l’Or dans la catégorie « Data, Services et Technologie » du Grand Prix Syntec Conseil.