24 mai 2024

Temps de lecture : 6 min

Stéphane Bodier (ACPM) : « Je suis toujours un peu jaloux du prestige de ces types qui ont l’uniforme rouge de l’École française de ski »

On le connaît comme expert des médias, mais ce dingue de lecture est aussi… hôtelier. Le directeur général de l’ACPM, Stéphane Bodier répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr –

INfluencia : votre coup de cœur ?

Stéphane Bodier : il est littéraire. En fait j’en ai trois, pour des livres qui ne sont certes pas des nouveautés mais que je relis, recommande et offre. Le premier pour tous les amoureux de la presse et d’ailleurs aussi pour ceux qui ne l’aiment pas :  c’est le « Dictionnaire amoureux du journalisme »* de Serge July. Il y décline en 26 lettres sa passion pour « le plus beau métier du monde ».

Le deuxième livre pour ceux qui aiment l’histoire, vivre d’autres vies et s’évader, est un très gros roman historique de l’auteur britannique Tim Willocks : « La religion »**. C’est une véritable épopée qui met en scène les chevaliers de Malte qui, claustrés sur leur petit archipel au sud de la Sicile, s’apprêtent à recevoir les furieux assauts de l’armée ottomane en 1565.

Et le troisième est également un très gros pavé à la fois polar et roman historique. Il s’agit de « Pukhtu » de l’écrivain français DOA. Ça se passe en Afghanistan, au début de l’année 2008, en pleine guerre. C’est l’histoire d’un chef de clan pachtoune en quête de vengeance après la mort de ses enfants dans une attaque de drone, d’une société de sécurité privée aux relations troubles, d’un ancien militaire français manipulé par la CIA pour infiltrer un réseau de mercenaires et d’un conseiller occulte de la République française aux étranges amitiés. Passionnant.

 

La lecture devrait être plus qu’une cause nationale, elle devrait être une cause sociétale

 

IN.: et votre coup de colère ?

S.B. : mon coup de colère ou plutôt mon énorme souhait, c’est le fait que la lecture devrait être plus qu’une cause nationale, elle devrait être une cause sociétale. Je ne parle pas de la lutte contre l’illettrisme mais de l’énorme risque que nos petits-enfants ne lisent plus, qu’ils ne fassent que consommer de la vidéo. Je n’ai rien contre la vidéo, mais c’est en lisant qu’on devient intelligent, qu’on développe son argumentation, ses sujets de discussion. Et j’ai très peur que, petit à petit, la lecture disparaisse au profit de nouvelles technologies. Encore une fois, je ne dis pas qu’il faut interdire ces technologies, mais il est capital vraiment que toutes les associations, tous les médias, bref tout le monde, se mobilisent pour défendre la lecture et qu’on trouve enfin les bons moyens pour faire en sorte que les Français continuent à lire.

 

J’ai même vécu pendant une semaine sans un seul sou car on m’avait pris mon portefeuille

 

IN.: l’évènement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

S.B. : c’est un événement qui s’est produit dans ma jeunesse mais qui a changé ma vie. Je suis parti quatre mois en Inde en 1981, entre le bac et Sciences Po, faire ce qu’on appelait à l’époque « la route ». Donc je suis parti de Goa, je suis remonté par le Rajasthan, le Penjab, le Cachemire, où j’ai même donné des cours de ski pendant une semaine dans la station de Gulmarg. Pour l’anecdote, il n’y avait pas de dameuse, et tous les matins, une quarantaine d’Indiens qui ne savaient pas skier chaussaient des skis et damaient la piste en escalier. C’est la seule fois de ma vie que j’ai vu un tel spectacle ! Ensuite, je suis entré au Pakistan par la Khyber Pass (ndlr : c’est l’un des passages les plus importants entre l’Afghanistan et le Pakistan, à environ 1 070 m d’altitude, entre les villes de Peshawar, Jalalabad et Kaboul). Cela a été quatre mois d’aventures incroyables. J’ai même vécu pendant une semaine sans un seul sou car on m’avait pris mon portefeuille. Et à l’époque il n’y avait pas de portable ! J’ai rencontré des personnages incroyables, j’ai eu très peur, j’ai éprouvé beaucoup de bonheur. J’ai découvert plein de choses. Et je pense sincèrement que je ne serais pas celui que je suis sans cette expérience. Je suis rentré changé. J’étais sûrement un sale petit con avant, je suis peut-être resté un peu con après (rires), mais je suis beaucoup plus ouvert aux autres depuis.

Ensuite, je suis revenu en France et je suis rentré dans le système, et j’en suis très heureux. J’ai fait Sciences Po. Mais je pense que les bases de mon bonheur – c’est-à-dire les rencontres, l’écoute, les découvertes, les échanges avec autrui – datent de ce voyage. D’ailleurs, j’ai lu énormément, à l’époque Internet n’existait pas et je n’avais pas les moyens d’aller dans les hôtels qui avaient une télévision. Donc j’achetais dans la rue pour quelques centimes des dizaines et des dizaines de romans anglais.

 

IN.: votre rêve d’enfant

S.B. : c’était d’être moniteur de ski, à la fois pour passer la journée sur des pistes et pour pouvoir partager ma passion et enseigner. Je suis d’ailleurs toujours un peu jaloux du prestige de ces types qui ont l’uniforme rouge de l’École française de ski (rires).

 

J’aime beaucoup mon métier, mais il est très rare qu’un client nous dise merci. Dans l’hôtellerie, on donne du bonheur aux gens et les clients nous en sont reconnaissants

 

IN.: votre plus grande réussite (en dehors de la famille et du boulot)

S.B. : c’est un projet que nous avions depuis plus de 10 ans avec ma femme Béatrice et c’est une réussite de couple. Nous avons ouvert un petit hôtel qui s’appelle Vila Béa  dans le nord du Maroc, sur la plage entre Tanger et Rabat et qui a beaucoup de succès. Nous avons voulu y réunir nos passions du Maroc, du design, du style, de l’amitié, du plaisir de recevoir et de la mer. Ce n’est pas un Riad, nous avons créé un style un peu « pop marocain » et notre clientèle est la bourgeoisie de Rabat ou de Casablanca qui vient chez nous comme un Parisien irait à Deauville ou dans la baie de Somme.

C’est non seulement une très belle réussite à tous les points de vue mais j’ai pu découvrir dans ce secteur un métier qui est très gratifiant parce que les clients nous remercient. J’aime beaucoup mon métier actuel, la pub et les médias, mais il est très rare qu’un client nous dise merci. On a déjà de la chance s’il continue à travailler avec nous l’année suivante !  Dans l’hôtellerie, on donne du bonheur aux gens et les clients nous en sont reconnaissants. Ils nous laissent des mots adorables sur le livre d’or, écrivent des poèmes, peignent, nous avons même reçu trois aquarelles, les enfants nous font des dessins…

 

 Je suis un très mais alors très très mauvais utilisateur d’Excel et j’en ai honte

 

IN.: et votre plus grand échec dans la vie (idem)

S.B. : ce n’est pas vraiment un échec, mais c’est plutôt une petite honte et c’est aujourd’hui la première fois que je l’avoue : alors que je travaille principalement beaucoup dans les chiffres depuis 40 ans, je suis un très mais alors très très (rires) mauvais utilisateur d’Excel. Je manie très bien la règle de trois et les pourcentages mais quand je regarde plein de copains qui font des développements incroyables avec Excel, j’ai honte de ne pas y arriver. J’ai suivi des formations mais elles n’ont pas eu beaucoup de succès…

 

J’ai quand même un peu trop d’hypersensibilité

 

IN.: votre principal point fort et votre principal point faible

 S.B. : mon point fort :  j’ai naturellement une assez incroyable énergie positive dans tout ce que je fais. Mon point faible ou mon défaut – et seuls ceux qui travaillent avec moi ou qui me connaissent bien, le connaissent – je pense que j’ai quand même un peu trop d’hypersensibilité. C’est quelque chose que j’essaie de traiter encore aujourd’hui. Mais parfois je n’y arrive pas.

 

IN.: la chose dont vous êtes le plus fier

 

S.B. :  puisque je n’ai pas le droit de vous dire que c’est le colloque « Démocratie, Information et Publicité », alors je vous répondrais : skier encore aujourd’hui en hors-piste un peu partout dans le monde et continuer malgré quelques grosses gamelles… C’est ce que je viens de faire il y a quelques mois au Japon à Hokkaidō.

 

IN.: qu’emporteriez-vous sur une île déserte ?

S.B. : j’hésite entre l’Encyclopédie de Diderot et un dictionnaire. Mais en fait, l’Encyclopédie, qui était extraordinaire à l’époque, est trop datée. Donc je prendrais un gros dictionnaire en plusieurs volumes. Vous pouvez être certaine que je ne m’ennuierais pas ! De plus je pense que dans un dictionnaire, il y a aussi aussi une description des objets qui peuvent être utiles pour aider à sortir de l’île déserte ou à faire son petit feu de camp comme les Castors Juniors…

 

 

 

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu »

** Plon, 2015

 

*** Editions Sonatine, 2009

**** Editions Gallimard, 2015

 

 

En résumé

L’actualité de Stéphane Bodier

L’Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias (ACPM) vient d’organiser, à la Sorbonne, avec l’Udecam et les éditeurs un colloque sous le thème « Démocratie, Information et Publicité », en partenariat avec INfluencia. Les grands éditeurs de la presse d’information se sont réunis afin de créer une prise de conscience du marché et organiser, entre agences et éditeurs, un front uni de solutions prochaines. « J’ai été extrêmement fier de participer à organiser cet évènement. C’est la première fois que dans un pays les agences médias se mobilisent pour donner la parole à la presse d’information. C’est unique au monde. Je pense que ce colloque va aider à la prise de conscience que le choix du media n’est pas que technique et que derrière il y a des marques qui sont en relation avec tous les Français », se félicite le directeur général de l’ACPM

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