8 mars 2024

Temps de lecture : 7 min

Sonia Sieff : « dans Rendez-vous !, je mets les hommes à nu, un acte poétique et politique »

Aller sur le terrain des hommes quand la nudité est principalement une question de regard masculin sur les femmes n'est pas un acte anodin, ni facile mais une entreprise politique, audacieuse, courageuse, celle d'une pionnière qui demande une mise à nu de l'artiste qui s'y dédie et de ses modèles qui lui font confiance. Sonia Sieff signe ainsi sans doute ce premier ouvrage de référence avec "Rendez-vous ! ". Politique drôle et poétique à la fois.

Aller sur le terrain des hommes quand la nudité est principalement une question de regard masculin sur les femmes n’est pas un acte anodin, ni facile mais une entreprise politique, audacieuse, courageuse, celle d’une pionnière qui demande une mise à nu de l’artiste qui s’y dédie et des modèles qui lui font confiance. Politique, sensible et poétique à la fois.

 Il n’y a pas d’ouvrages de référence que je pouvais consulter, aucun regard de femme sur l’homme nu. Rien, en dehors de la photographie gay et du travail de Robert Mapplethorpe.

INfluencia: une question forcément, sur la thématique… comment vous est venue à l’esprit l’idée de photographier des hommes nus?

Sonia Sieff: depuis que j’ai 20 ans, j’explore ce sujet. Il n’y a pas d’ouvrages de référence que je pouvais consulter, aucun regard de femme sur l’homme nu. Rien, en dehors de la photographie gay et du travail de Robert Mapplethorpe. Et c’est comme cela qu’en 2004, -je devais avoir 25 ans-,  j’ai organisé un casting au sein du lycée Carnot, composé d’amis de mon frère notamment, et que grâce à une boîte à lumière géante, un lit, un parquet, nous nous sommes donnés une semaine pour travailler sur les corps nus, les sexes, les peaux. Je me souviens d’avoir accessoirisé les corps avec des feuilles d’or. Parfois, il y avait des stylistes. Parfois, des maquilleurs. C’était très expérimental et spontané, un travail artistique dont il doit rester quelque part un portefolio…

IN. : cela signifie quoi d’aller dans l’intime d’un homme. Cela a-t-il un rapport avec l’intime et l’univers de la femme ou est-ce une expérience différente ?

S.S. : dans mon précédent ouvrage, –Les Françaises– je photographiais mes amies, c’était un livre léger. Je pense que celui que je consacre aujourd’hui aux hommes est vraiment plus personnel, plus intime. Je m’y mets autant à nu que les hommes que je photographie. Je suis allée chercher chez moi des choses beaucoup plus enfouies, des émotions, des sentiments différents…

les hommes n’ont pas l’habitude qu’on les prenne en photo de manière artistique, douce, sans défense.

IN. : vous dites avoir été en contact avec un psy pour réaliser cette série de 115 photographies, de cinquante hommes…

S.S. : oui j’ai éprouvé ce besoin de raconter ce que j’éprouvais, besoin de faire des séances importantes en permanence parce que ce travail, ce chemin, étaient éreintant. Ces hommes pour la plupart,  je ne les connaissais pas. Il fallait les convaincre de poser, -à 99% ils ne l’avaient jamais fait,- car ils n’ont pas l’habitude qu’on les prenne en photo de manière artistique, douce, sans défense. Ils ne savent tout simplement pas. Et surtout c’est un acte fou de se mettre à nu devant une femme que tu ne connais pas. Génétiquement, nous les femmes, l’avons tellement fait, tellement vu… Dans les musées, dans les cours de dessin, les défilés, les Beaux Arts…

Comme il n’y avait pas dans l’histoire, d’ouvrage photographique référent, pas de « camembert marketing », donc pas d’idée des ventes, les éditeurs photos sont partis du principe qu’un beau livre de ce type ne se vendrait pas, ou alors seulement à des esthètes homosexuels…

IN. : comment s’organise un tel projet dans la vie d’une femme…

S.S. : j’ai dû me démultiplier, gérer les enfants, gérer les hommes et leurs peurs, me gérer moi, et puis j’ai dû mettre une énergie infinie dans ce projet qui faisait peur à tout le monde. Nous sommes en plein post Metoo, et en fait j’ai dû passer un temps fou à convaincre un éditeur de me suivre. Je ne savais pas que j’aurais à convaincre mon propre éditeur, d’ailleurs… Il faut savoir que j’ai voulu faire une coédition pendant plusieurs années et que tous les éditeurs français ont refusé ce projet, non pas parce qu’ils n’aimaient pas les images, ce n’était pas une question d’art… C’était une problématique purement mercantile pour eux. Comme il n’y avait pas d’ouvrage photographique référent, pas de « camembert marketing », donc pas d’idée des ventes, ils sont partis du principe qu’il ne se vendrait pas, ou alors seulement à des esthètes homosexuels… Finalement c’est Rizzoli New York, référence mondiale dans l’édition de livres d’art, d’architecture, de photographie, de mode et de lifestyle qui m’a soutenue.

IN. : une expérience dangereuse et assez solitaire en somme…

S.S. : oui, selon eux, les femmes n’ont pas de pouvoir d’achat, les hétérosexuels ne vont jamais regarder ces images, bienvenue en 2024. C’est un vrai sujet et c’est la réalité. Aujourd’hui lorsque l’on présente ce projet à un magazine féminin, les responsables éditoriaux ont peur, ne savent pas quoi en faire. Or il y a un enjeu féministe derrière ce livre, et j’espère que les féministes vont en comprendre l’enjeu.

IN. : étonnant que la presse féminine ne soit pas enthousiaste ?

S.S. : rassurez-vous, il y a plein de médias qui sont intéressés (rires), mais les magazines féminins dits historiques sont souvent quand même sous la coupe de personnes qui appartiennent au registre féministe des années 70-80. Cet ouvrage, ce sujet oppose vraiment deux féminismes, créent une scission claire entre les jeunes et les générations précédentes.

IN. : vous espérez, dites-vous que les féministes vous suivront, cela signifie quoi concrètement ?

S.S.: cela fait des siècles que l’on met les femmes à nu. Là, je mets des hommes à nu non pas comme les hommes l’ont fait depuis des siècles avec les femmes, mais en rendant la parole aux hommes. Ces hommes qui entreprennent cette démarche avec moi sont sincères, vrais, sensibles, ne sont pas des Jacques Doyon qui sur un plateau, de manière sordide, coincent une jeune fille pendant vingt-cinq prises pour évaluer ses nichons. Il s’agit dans ce livre d’une mise à nu en douceur, faite de consentement, de discussions et de dialogues avec les hommes qui m’ont suivie.

j’ai eu en face de moi des hommes pleins de pudeur, qui avaient peur d’être pris en photo, qui s’interrogeaient sur la taille de leur sexe, d’être pris pour des gays…

J’aurais gagné si ce livre est compris par les femmes, et par les hommes évidemment, cela va de soi. Par les hétérosexuels qui vont se dire qu’ils ont le droit d’avoir un tel objet dans leur bibliothèque sans être taxés d’être gays…

IN. : qu’est-ce qui vous a étonnée ou surprise dans les questions que ces hommes qui ont accepté de réaliser ce livre avec vous ?

S.S. : j’ai eu en face de moi des hommes pleins de pudeur, qui avaient peur d’être pris en photo, qui s’interrogeaient sur la taille de leur sexe, d’être pris pour des gays… Il y a une éducation à faire. .

IN. : y-a-t-il une différence de prise de pouvoir sur ces « sujets » entre un photographe et un réalisateur ?

S.S.: il y a surtout une libération du regard féminin sur ces sujets. Les femmes qu’elles soient réalisatrices ou photographes regardent les hommes différemment de toutes façons. Il n’y a aucun doute. Combien d’hommes ont été photographes pour pouvoir se taper leurs modèles ? Soyons clairs, c’est un monde qui est entrain de s’effondrer. C’est un prisme, un regard sur la femme qui est en train de tomber. Pourquoi croyez-vous que tout le monde tremble, -et qu’il a d’ailleurs raison de trembler-, car cet ancien monde est en train de s’écrouler car il n’est plus acceptable de cautionner, de défendre parce que vous êtes un acteur connu, un réalisateur célébré, de détruire l’autre en face. Le temps, où l’on bloque les seins d’une actrice comme je le disais plus haut, qui a 15 ans et qui est terrorisée parce qu’elle sait qu’elle ne va pas avoir le rôle si jamais elle ouvre un tant soit peu sa bouche est révolu. La prise de parole des femmes est hautement bénéfique, essentielle parce que, -alléluia- enfin, il y en a toute une bande qui se sentent menacés et ne comprennent pas ce qui est en train de se passer.

IN. : vous estimez que votre livre est primordial en ce sens également ? Les hommes que vous photographiez ne sont pas des objets sexuels ?

S.S. : disons, que personnellement, je suis en train de faire la même chose que les hommes font, mais de manière tendre, poétique et politique. C’est un moment hyper important, il faut que chacun comprenne et prenne la mesure de ce qui est en train de se passer et je peux vous assurer que je suis obligée de prendre chaque journaliste par la main pour lui expliquer de quoi il retourne…

IN. : j’insiste, mais il est étonnant que les journalistes ne suivent pas et n’aient pas envie de se confronter à ce sujet ?

S.S. : il y en a qui comprennent mais il va falloir le marteler pour que cela rentre dans les têtes et qu’ensuite les magazines dits leaders d’opinion auprès des femmes, (et qui ne le sont plus du tout de fait,)  réfléchissent et évoluent. Car il y a un vrai clash entre les jeunes féministes et leurs aînées. La reproduction et la protection du patriarcat par des femmes comme Carole Bouquet aujourd’hui, j’ai envie de leur dire « Eh chérie. On t’adore. Tu es sublime. J’adore ta voix mais tu ne peux pas défendre Depardieu. Il est indéfendable ». Qu’ils s’excusent tous les Doyon, au lieu d’avoir peur d’être condamnés. Le monde entier respirerait de nouveau.

IN. : pensez-vous que les jeunes bougent réellement…

S.S. : oui et non. Il y a malheureusement des sondages dramatiques effrayants qui montrent une grande régression chez les jeunes, c’est le lot de toutes les révolutions. Ceux qui se braquent, parce que le train roule vite, et qui descendent de peur de l’accident, du choc. Mais le mouvement est plus fort que ne le sont les réfractaires.

j’ai choisi cette photographie car elle est la plus impactante pour une couverture. Elle est bourrée de tendresse et d’humour et elle est certainement dans mon inconscient un clin d’œil à Jean-Paul dont j’adore le travail.

IN. : avoir  60 ans aujourd’hui pour un un homme, c’est compliqué, non ?

S.S.: cela fait des années que les hommes quittent le navire, dès qu’il y a des naissances, qu’il y a des cancers, dès que l’on a besoin d’eux… Il va falloir un petit peu se réaligner. Désolée de vous dire qu’en fait nous sommes de sacrées guerrières. Nous le savons depuis des siècles et il va falloir nous redonner le pouvoir , ou en tout cas le partager. C’est nous qui portons la vie et souvent nous portons des choses que les hommes seraient incapables en termes de douleur, de vie quotidienne de porter. Donc, arrêtons, pour commencer, de dire que les hommes sont hautement fragiles… Il y a des hommes forts, il y a des femmes fortes. Évidemment tout cela est à nuancer. Nous ne demandons que la parité, que les hommes se mettent à nu, que les femmes se mettent à nu avec humour, gravité, légèreté aussi.

IN. : la couverture du livre, légère, pleine d’humour est-elle un clin d’œil à Jean-Paul Goude ?

S.S.: j’ai choisi cette photographie car elle est la plus impactante pour une couverture. Elle est bourrée de tendresse et d’humour et elle est certainement dans mon inconscient un clin d’œil à Jean-Paul dont j’adore le travail, mais je ne l’ai pas réfléchi comme cela.

 

photo de Sonia Sieff, Olivier Coursier

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Rendez-vous ! 
Après son livre Les Françaises, acclamé par la critique internationale et qui s’attachait à la beauté des formes féminines, Sonia Sieff propose Rendez-vous !, une exploration sublime et sans précédent du nu masculin.

Dans la lignée de son ouvrage très remarqué et résolument féministe sur le nu féminin, Sonia Sieff braque désormais son objectif sur les hommes de tous horizons, photographiés dans un large éventail de lieux en France, dans les pays voisins d’Europe et jusqu’en Afrique dans ce deuxième volume de ses portraits de nus. Célébrant la diversité et la positivité du corps, les cinquante hommes racontés par Sieff créent un corpus d’œuvres aussi sexy qu’intimes.

Magnifiquement mises en scène avec un œil avisé, plus de 100 photographies décrivent la vie intérieure d’hommes au repos et au jeu ; Sieff capture la personnalité distincte de chacun d’entre eux tout en dépeignant un sens unique du lieu. Prises dans des paysages incomparables, de la Méditerranée baignée de soleil à la tranquillité des chambres parisiennes, ces photographies jettent un regard neuf sur le nu masculin.

Rendez-vous !

176 pages / 115 photographies / 50 hommes

Sorti le 20 février 2024 aux éditions Rizzoli

– Exposition à la Galerie Baudoin Lebon, 21 rue Chapon, 75003 Paris, du 7 au 30 mars 2024

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