17 février 2021

Temps de lecture : 6 min

Solène Aymon, makesense : “Au centre de la communauté, il y a la collaboration”

Solène Aymon est Responsable Développement des Communautés au sein de makesense, plateforme centrée sur l’entrepreneuriat social. Interrogée par The Good, elle explique comment la crise a amené l’organisation à repenser ses actions, afin de démultiplier son impact grâce à des programmes d’engagement sur le digital. Une source d’inspiration pour les entreprises et les marques : makesense travaille également avec des grands groupes pour implémenter ses bonnes pratiques d’engagement dans le cadre des politiques RSE.
The Good : en quelques mots, que fait makesense

Solène Aymon : makesense est une organisation sur un modèle de communautés. Tout est parti d’une communauté de jeunes qui se sont retrouvés autour d’un intérêt commun : l’entrepreneuriat social. Dès le départ, cette communauté de bénévoles était internationale : nos fondateurs ont commencé en Asie du Sud-Est et en Inde, pour soutenir des entrepreneurs locaux. Une méthodologie pour les aider a ainsi vu le jour, autour d’ateliers de 2 heures, les “hold-ups”. Puis, au fur et à mesure, certains membres ont décidé de lancer des activités plus orientées business et de créer des entreprises – autour de l’incubation de projets à impact, l’accompagnement d’entreprises dans leur engagement, le conseil – avec la volonté de développer des modèles d’entreprises qui apportent des solutions à des problématiques et qui génèrent des profits, pour ne pas être dépendant des financements publics.

The Good : à qui makesense s’adresse-t-il ?

S.A. : Notre raison d’être est de redonner le pouvoir d’agir à des individus en transition, de permettre aux différents acteurs de se mobiliser pour une société inclusive et durable. Nous avons trois publics :

  • les citoyens, via des programmes d’engagement,
  • les entrepreneurs, avec des dispositifs d’accompagnement à toutes les étapes du projet, de l’idée au passage à l’échelle,
  • les entreprises, via l’accompagnement de projets à impact sur un mode intrapreneurial, la collaboration ou l’intelligence collective, ou encore le développement de communautés au sein des entreprises.

En dix ans, nous avons ainsi touché 200 000 citoyens et citoyennes à travers le monde, accompagné  plus de 6 000 entrepreneurs. Nous avons aujourd’hui des bureaux dans sept villes et des bénévoles présents dans quarante pays.

The Good : en quoi consistent vos programmes d’engagement pour les citoyens ?

S.A. : La crise nous a conduits à revoir toute notre approche : avant, nous avions beaucoup d’événements en présentiel, des “one-shot”, pendant une soirée. Maintenant, nous avons des programmes de 15 jours, sur Whatsapp. “Re_action”, que nous avons lancé pendant le premier confinement, permet aux participants de s’engager ensuite sur du plus long terme. Par groupes de 10 à 15 personnes sur Whatsapp, le programme donne des outils de réflexion et des idées concrètes pour remplir un objectif : aider les personnes sans-abri, les seniors isolé.e.s, les primo-arrivant.e.s) ou les agriculteur.trice.s.
Pour les citoyens, makesense, c’est donc une porte d’entrée pour l’engagement : notre but est d’ouvrir vers d’autres acteurs en faisant le pont avec des associations de terrain. Nous opérons le passage à l’action, l’effet collectif, mais nous nous reposons toujours sur des recommandations de partenaires sur le terrain qui connaissent les thématiques abordées. Les partenaires aident à la création des contenus, tandis que nous assurons l’animation du groupe, grâce à des bénévoles.

The Good : quel a été l’impact de la crise sur vos activités ?

S.A. : Avant, on s’appuyait sur le digital pour rester en contact, moins pour mobiliser : la crise nous a avant tout permis de toucher des gens qui ne vivent pas dans les villes où nous avons des bénévoles. Nous avons aussi réussi à toucher de nouvelles cibles, en nous appuyant par exemple sur la plateforme de la Réserve civique du Gouvernement. Nous avons pu rencontrer de nombreux nouveaux bénévoles qui n’avaient jamais entendu parler de nous avant.

La crise a aussi donné à beaucoup l’envie de s’engager : on l’a vu à chaque phase de confinement, les gens sont davantage disponibles. Les volumes de participants à nos programmes en ligne augmentent à chaque fois. 44% des participants aux programmes “Re_action” ne s’étaient jamais engagés avant en tant que bénévoles et 60% des participants continuent à être actifs trois mois après leur participation.

Dans nos événements classiques, on se rendait compte que le nombre de participants qui devenaient à leur tour mobilisateurs était beaucoup plus faible. Là, sur Whatsapp, on a une dynamique de groupe qui se crée, un effet d’entraînement. Nous avons aussi fait le choix de nous concentrer sur des petits groupes : à 30, il n’est pas possible d’avoir des discussions qui soient fluides. L’enjeu est ensuite d’avoir un effet boule de neige, pour faire en sorte que chaque participant en mobilise d’autres ensuite. Pendant le premier confinement, nous avons commencé avec trois groupes, puis six, etc. En ce moment, nous avons jusqu’à 60 promotions qui se lancent en même temps.

The Good : quelles sont les prochaines étapes pour makesense ?

S.A. : L’ambition est d’avoir engagé 10% de la population mondiale des jeunes de 18-35 ans d’ici à 2030. C’est ce qu’il faut pour provoquer un changement systémique profond. Plusieurs études montrent que si on arrive à faire basculer 3 à 5% de la population, cela peut suffire à déclencher un basculement.

Nous sommes en train de réfléchir à établir un certificat d’engagement, qui montrerait que les bénévoles ont développé des compétences de mobilisation – un aspect très précieux dans un contexte professionnel. C’est l’un des autres objectifs de makesense en plus d’aider les bénéficiaires des programmes :  comme nous touchons une population qui est souvent en reconversion ou en transition professionnelle, l’un des enjeux est de contribuer à favoriser ensuite l’accès de ces bénévoles à des emplois dans l’économie sociale et solidaire.

Nous développons un Campus afin de former des professionnels à nos méthodes (développement de projets à impact et de développement de communautés).

Enfin, nous organisons des coalitions d’acteurs autour d’une thématique précise, pour renforcer leur voix. Par exemple, en ce moment, nous sommes très concernés par le sujet du “mieux-vieillir”. Via notre incubateur, nous accompagnons des projets comme Colette, qui développe un projet autour de la cohabitation intergénérationnelle, avec aussi une forte dimension communautaire, pour mettre en relation des seniors entre eux. Sur le même sujet, nous accompagnons aussi Tom et Josette, un réseau de micro-crèches intergénérationnelles.

The Good : les méthodes d’engagement que vous développez peuvent-elles avoir un intérêt pour les entreprises ?

S.A. : Oui, car la force des communautés, c’est d’être proche du terrain. C’est le moyen de savoir ce qu’il se passe. Ce sont des personnes qui vont faire remonter les problèmes, mais aussi des solutions. Et c’est aussi un moyen de développer l’intelligence collective. Nous concevons donc aussi des programmes d’engagement pour les collaborateurs, par exemple chez EY, pour faciliter l’accueil des personnes nouvellement arrivées en France.

Nous développons aussi des communautés internes, autour de sujets importants pour l’entreprise, comme c’est le cas chez Vinci, que nous accompagnons sur le sujet de l’éco-conception, pour inciter les collaborateurs à monter en compétence sur ces sujets et faire en sorte qu’ils travaillent de façon plus intégrée. La communauté Ecowork mobilise ainsi des centaines de collaborateurs tous les ans.

Plus récemment, nous avons accompagné Carrefour dans la création d’une communauté de 600 consommateurs engagés, motivés pour “challenger” la politique RSE du groupe. Ce “club consos” ne réunit d’ailleurs pas nécessairement des clients Carrefour. Ils rencontrent des industriels, échangent avec les équipes RSE de l’entreprise, jusqu’au comité exécutif du groupe. Ces communautés sont de plus en plus entendues par les organisations, elles permettent d’accélérer sur les enjeux sociétaux et environnementaux.

The Good : quels conseils pouvez-vous donner à des entreprises qui veulent constituer de telles communautés internes ?

S.A. : Au tout début, il ne faut pas chercher à convaincre la terre entière. Il s’agit déjà de commencer par rassembler quelques personnes autour d’un intérêt partagé, comme l’inclusion ou la gestion des déchets. Puis, créer un espace de rencontres et lancer rapidement des actions. Au fur et à mesure, il faut faire en sorte que ce ne soit pas les initiateurs des premières rencontres qui organisent les suivantes. C’est beaucoup plus puissant si les sujets sont portés par des collaborateurs plutôt qu’imposés par une organisation. Ensuite, la somme des actions menées va permettre de convaincre en interne et de mobiliser plus largement.

Pour ne pas s’épuiser dans la collaboration, il est important d’avoir très vite les bons réflexes, notamment sur la distribution des rôles et le passage rapide à l’action. En fait, il s’agit d’apprendre à travailler ensemble. Au cœur de la communauté, il y a la collaboration. Il y a malheureusement beaucoup d’idées reçues sur cette notion dans les entreprises. Pourtant, la collaboration, ce n’est pas inné, on ne l’apprend pas vraiment à l’école, alors on l’apprend en faisant.

Le fait d’être au sein d’un collectif permet d’accélérer le changement souhaité. Cela fonctionne sur les différents enjeux, que ce soit à l’échelle d’une ville, d’un quartier ou d’une entreprise.

Cet article a été initialement publié sur The Good, le média de la transformation sociale, solidaire et environnementale des marques et des entreprises. Pour être informé.e chaque semaine de l’actu du Good, abonnez-vous à The Good Newsletter.

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