« Parlez-moi de moi. Je veux le 20 heures » : dans ce livre* Christophe Paymal et Jean-Claude Allanic racontent les dessous du métier de communicant, les petits travers et les grandes ambitions d’un ménage à trois – clients, attachés de presse, journalistes – qui, tout compte fait, fait plutôt bon ménage. Interview du patron de l’agence Paymalnetwork.
INfluencia : les RP sont-elles en train de mourir ?
Christophe Paymal : non, mais elles sont mises à mal depuis quelques années et sont très chahutées. D’une part, nous faisons face à des clients de plus en plus exigeants et c’est normal, mais bien souvent qui ne connaissent pas bien notre métier. D’autre part, les budgets sont sans cesse revus à la baisse, ce qui tend à paupériser le métier. De plus, en face de nous, nos relais d’informations et d’opinions qui sont les journalistes, sont de plus en plus injoignables et inondés d’informations, ils n’ont plus le temps de respirer, d’enquêter, et encore moins celui de lire nos dossiers. Les relations presse ont moins le vent en poupe, la situation est grave mais pas désespérée. En effet l’arrivée des nouveaux médias, des bloggers et des influenceurs fait que les cibles médias se démultiplient pour toujours moins d’argent de la part des annonceurs. C’est regrettable mais il y a des initiatives qui sont à saluer : la création en octobre 2017 de NextGen RP est le premier pas vers le futur. Ce laboratoire, soutenu par le Syntec entend participer à la reconnaissance des RP comme moteur stratégique des décisions en entreprises.
IN : quels seraient vos 10 commandements?
C.P. : pour ma part, l’expérience m’a enseigné quelques principes que je m’évertue à respecter dans mon agence. Ce sont, en quelque sorte, mes dix commandements du bon communicant face à la corporation journalistique.
1/ Ce n’est pas le journaliste qui a besoin de nous, c’est nous qui avons besoin de lui.
2/ Le journaliste n’a pas de temps à perdre ; l’art de la persuasion est économe en paroles et en minutes.
3/ Le journaliste est libre de ses choix, de reprendre ou de ne pas reprendre nos informations comme de les contester.
4/ Les journalistes gagnent à être connus ; autrement dit, il faut réussir à créer des liens d’empathie sans chercher à « vendre » notre salade à tout prix.
5/ Avant toute chose, il faut savoir qui est qui dans une rédaction, qui fait quoi, qui a fait quoi et – on se sait jamais – qui fera quoi dans un avenir proche.
6/ Le journaliste a forcément raison même quand il nous dit non ; c’est que nous n’avons pas contacté le bon interlocuteur ou que notre dossier n’est pas bon.
7/ On ne réclame pas un droit de réponse suite à un « mauvais » papier, sauf en cas d’erreurs manifestes ou d’une volonté de nuire évidente.
8/ On ne se plaint pas d’un journaliste directement auprès de sa hiérarchie ; c’est le plus sûr moyen de se faire des ennemis solides au sein d’une rédaction solidaire.
9/ On ne doit jamais laisser un client intervenir directement auprès d’une rédaction -surtout sous le prétexte qu’il connait bien le patron du média.
10/ Enfin, évidemment, un journaliste ne s’achète pas. Mais rien n’interdit de le louer !
IN : tous les clients veulent-ils vraiment passer au 20h?
C.P. : j’entends ça presque tous les jours : « je veux qu’on parle de moi », « décrochez-moi une télé », « faites-moi passer au 20h ». Ils rêvent tous du « quart d’heure de gloire » promis par Andy Warhol. Mes clients sont en majorité des créatifs, des designers, des architectes ; ils ont souvent un ego plutôt développé. Ils expriment un constant besoin de reconnaissance. Certains viennent me voir parce qu’ils ont écrit un livre et se voient un peu comme le centre du monde. Ils rêvent de s’afficher à la « une » des journaux, d’être invités surtout dans les médias audiovisuels. Le « 20 heures » est le graal. A défaut, un « 13 heures », pourquoi pas ? Mais le « 20h », c’est le signe de la réussite, encore mieux qu’une Rolex ! Leur envie est tellement forte qu’ils en oublient de se demander si c’est efficace. Si ce ne serait pas mieux, pour eux, de décrocher un papier ou une interview dans la presse écrite. C’est pourtant souvent le meilleur moyen de faire parler efficacement car d’une manière mieux ciblée, de leur évènement, de leur activité, de leur produit, de leur entreprise. Mais, aujourd’hui, la presse écrite n’a plus l’aura qu’elle avait auparavant ; on lui préfère le direct, l’instantanéité des nouveaux médias audiovisuels et réseaux sociaux. En conclusion : au risque de les décevoir, je leur explique que c’est rarement une bonne idée de vouloir à tout prix un grand JT, que c’est irréaliste sauf s’ils ont véritablement un scoop extraordinaire.
IN : comment votre métier a-t-il évolué avec les nouveaux médias?
C.P. : à l’heure d’internet, certains pensent que les journalistes n’ont plus besoin de nous. Ils ont tort. Le web est un outil formidable mais on se fait beaucoup d’illusions sur ce qu’il peut ou ne peut pas apporter. On ne trouve pas tout sur la toile. Il faut bien des hommes et des femmes pour lancer un produit, une marque, écrire du contenu, contacter les journalistes. Tout n’est pas sur internet et heureusement ! Si internet tue, ce sont surtout les journalistes, noyés sous des flots d’informations inutiles, anecdotiques et inexploitables qui en sont les principales victimes. De notre côté, la révolution numérique nous a obligé à nous remettre en cause et à changer nos méthodes de travail. Nous devons dorénavant passer beaucoup de temps à recenser ce qui s’écrit dans notre secteur d’activité et, naturellement, sur nos dossiers en cours et sur nos clients. Nous devons être en alerte maximum pour savoir ce qui se dit, ce qui se prépare. Nous devons être à l’affut des tendances. Nous devons être capables de prévenir d’éventuels problèmes afin de parer de possibles mauvais coups. De ce point de vue, notre travail devient plus compliqué car il faut être omniprésent sur tous les fronts pour tout savoir.
IN : travaillez-vous avec des influenceurs? Les marques vous le demandent-elle de plus en plus ?
C.P. : oui nous travaillons de plus en plus avec les influenceurs surtout quand il s’agit de nos clients par exemple dans le domaine dans l’hôtellerie. Aujourd’hui pour nous, les journalistes que j’aurais envie de qualifier de plus « classiques » et les influenceurs doivent être ciblés de la même manière. Mais attention à ne pas confondre les deux. Les journalistes « classiques » « ont souvent une expérience et une éthique que certains blogueurs et influenceurs n’ont pas encore adoptées. Trop souvent encore, des influenceurs ont un comportement de « tout leur est dû ». Pour peu qu’ils aient un nombre incalculable de followers sur Facebook ou Instagram ils se prennent pour des stars et en oublient les vraies pratiques du journalisme. Ils veulent se faire inviter en 1ere classe dans la plus grande suite de l’hôtel et j’en passe. Nous sommes obligés de composer avec mais il ne faut pas nous laisser faire. Quant à payer un influenceur ça jamais !
IN : comment voyez-vous évoluer votre métier? Les agences sont-elles toujours indispensables ?
C.P. : nous sommes de plus en plus des auxiliaires du travail journalistique, des collaborateurs extérieurs qui apportent une plus-value aux rédactions grâce à nos compétences, à notre savoir-faire et notre crédibilité. Nous sommes devenus des partenaires de confiance encore plus indispensables qu’auparavant. Cela implique qu’une agence de relations presse se positionne davantage dans un rôle d’expert auprès des journalistes et dans une fonction encore plus stratégique avec ses clients. Donc le rôle des agences est plus qu’indispensable aujourd’hui aussi bien pour les journalistes que pour les annonceurs.
* publié chez Designfax