Simon Delpirou (Konbini) : « Pour pérenniser l’économie d’un média grâce à la culture, il faut être au cœur des réacteurs culturels »
Après 16 ans de bons et loyaux services rendus à la Pop Culture, Konbini va bien. Fort de ses innombrables formats vidéo qui pleuvent chaque semaine sur les réseaux, le média fondé par David Creuzot et Lucie Beudet touche aujourd’hui 100% des 18-35 ans. Mais depuis son rachat par le groupe DC Company (fondée par Geoffrey La Rocca) en février dernier, Konbini est à un tournant de son histoire. Pour infiltrer ses coulisses et comprendre ce qui va changer dans les prochaines années, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Simon Delpirou, Directeur de la communication et de la marque.
INfluencia : pour débuter cette interview, pouvez-vous nous présenter votre parcours jusqu’à votre poste chez Konbini aujourd’hui ?
Simon Delpirou : avec plaisir. J’ai commencé mon parcours professionnel dans l’univers culturel, notamment chez Reed Expositions au Salon du livre et chez Pyramide Distribution. À chaque fois dans la communication et au service de projets culturels. Dans le cadre de ces missions, je travaillais beaucoup avec les médias et notamment Libération qui m’a proposé par la suite d’intégrer sa régie publicitaire en tant que commercial. J’étais positionné sur la verticale culturelle et le cœur du boulot était de faire émerger des partenariats et des opérations de collaboration et visibilité avec les manifestations culturelles. J’intègre ensuite les Inrockuptibles pour lesquels j’étais chargé des relations médias et du développement commercial et, des partenariats sur le cinéma. Suite à quoi j’ai été repéré par Konbini en mars 2019 pour développer le pôle de développement commercial sur la culture au global, donc plus seulement sur le cinéma… et nous voilà.
IN. : une appétence pour la sphère médiatique qui n’est pas née chez Konbini donc…
S.D : non, bien avant. Le monde de la presse et des médias est mon grand amour quand on considère qu’il a ponctué l’intégralité de mon parcours professionnel.
IN. : peux-tu nous resituer Konbini au moment de ton arrivée ?
S.D : au moment d’intégrer ma nouvelle maison, Konbini était un paradoxe car le média était déjà très identifiable mais n’avait pas forcément de business model précis sur la culture. On a donc pu très rapidement faire x5 sur le chiffre d’affaires culturel en faisant notamment le choix d’intégrer plusieurs grandes marques d’entertainment, telles que Amazon Prime Video qui est aujourd’hui l’un de nos plus gros clients. À ce moment-là, ça faisait déjà 6-7 ans que je réfléchissais à la bonne méthode pour pérenniser l’économie d’un média grâce à la culture. Il me paraissait évident qu’il fallait être au cœur des réacteurs culturels, qu’il s’agisse des institutions ou des festivals. J’avais également conscience qu’il ne fallait pas se limiter à couvrir médiatiquement les évènements et plutôt en être à la base pour gagner en légitimité.
C’était un modèle vertueux puisqu’on faisait des opérations de visibilité qui nous permettaient de générer des deals. C’est comme ça que le média s’est développé sur la culture. C’est aussi comme ça que moi j’ai grandi au sein de Konbini parce que ces opérations d’échange de visibilité sont devenues des leviers de communication très importants pour le média. C’est à ce moment-là que je me suis « limité » au partenariat stratégique. Quand on m’a proposé le poste de directeur de la communication et de la marque il y a un an et demi, c’était simplement parce que le volet culturel et mon expertise sur la question étaient au centre du projet éditorial et de développement de Konbini.
IN. : comment avez-vous vécu ce passage de flambeau cette année avec le rachat de Konbini par le groupe DC Company. Cette réflexion sur la verticale culturelle qui vous animait depuis un moment s’est-elle parfaitement imbriquée avec la vision des nouveaux dirigeants ?
S.D : ça s’est très bien passé. Après avoir assisté à deux reprises par le passé au rachat du média dans lequel j’officiais, je n’étais pas plus inquiet que ça. Il y a des logiques de grosses industrialisations aujourd’hui. Le projet que portait DC Company et son fondateur Geoffrey La Rocca c’était un projet entrepreneurial global, c’est-à-dire d’agglomérer différents médias digitaux, et de manière extrêmement ambitieuse. Moi qui connaissais un petit peu les logiques d’industrialisation… leur démarche était rare… et ça l’est toujours. C’est cette dichotomie-là qui m’a intéressée et je me suis très vite retrouvé dans l’histoire de Konbini, un beau projet média qui a toujours considéré la culture, et même particulièrement la musique, comme des piliers de son identité… qui est devenu aujourd’hui un grand groupe avec des marques très identifiées sur le digital.
Il y a des logiques de grosses industrialisations aujourd’hui. Le projet que portait DC Company, c’était un projet entrepreneurial global, c’est-à-dire d’agglomérer différents médias digitaux, mais de manière extrêmement ambitieuse.
IN. : nous avons eu l’occasion de discuter au début de l’été avec Jules Trecco, le COO de DC Company, qui partageait votre opinion.
S.D : vous voyez, on a eu le même ressenti pour l’acheteur et l’acheté, disons (rire). On avançait tout de suite dans la même direction.
IN. : Konbini a déjà une longue histoire au moment du rachat. Nous sommes tombés sur une citation des co-fondateurs qui parlaient au moment de sa création de « média myspace » – un célèbre réseau social musical des années 2000 –, de quoi prendre un sacré coup de vieux. Comment sauvegarder son identité culturelle après toutes ces années, d’autant plus quand on brigue la place de « premier média des jeunes » ?
S.D : c’est étroitement lié au fait que Konbini est né, justement, dans la génération Myspace, une époque de croissance culturelle forte. C’était le début de la french touch en France et de la naissance d’une multitude de courants musicaux alternatifs. L’ADN de Konbini s’est alors construit comme une alternative au chemin traditionnel de carrière qui s’imposait aux artistes. Les premières idées qui ont émergé dans la tête des créatifs de Konbini, c’était de se dire : comment donner la parole à des artistes qui sont déjà sur une plateforme sociale, en l’occurrence MySpace, mais qui ne sont pas forcément sur des majors ? Aujourd’hui, ça nous paraît dingue parce qu’on a TikTok et toutes les plateformes de streaming, mais à l’époque, ces gens-là n’avaient pas de caisse de résonance. Les premiers formats de Konbini, c’était : on envoie un iPhone à Asap Rocky – célèbre rappeur étasunien –, on lui dit juste « Fais une vidéo en te filmant, on t’envoie les questions par mails » et on publie derrière. On parle d’une époque où le selfie n’existait même pas. En France, il y a Orelsan aussi qu’on a accompagné très tôt, et tant d’autres… Notre lien à la musique vient donc de notre volonté de soutenir les artistes qui n’ont pas assez de visibilité mais toujours avec l’idée que la culture n’a pas d’échelles. Dans les mêmes formats, on peut autant avoir Dua Lipa, Brad Pitt, Michael B. Jordan que des nouveaux artistes que peu de gens connaissent. La culture pop, mais populaire et accessible avant tout.
IN. : avec toujours une grande variété de contenus pour couvrir à peu près tous les sujets…
S.D : ça a toujours été notre force. En fait, on s’est développé depuis le début en embrassant les grands changements des réseaux sociaux : on a fait de l’image, puis on est passé à la vidéo, puis à l’intégralité des réseaux sociaux… On a pensé à chaque fois nos formats comme des réponses aux contraintes que nous donnaient les plateformes… et ça marche plutôt bien. Notre audience, initialement, c’était les créatifs, à Paris et ailleurs. Aujourd’hui, on touche 100% des 18-35 ans. C’est 30 millions de personnes au moins une fois dans le mois, toutes plateformes confondues. À ce moment-là, on se dit : comment continuer à faire découvrir les artistes de ces jeunes générations tout en entretenant le lien avec les acteurs culturels. En devenant trop gros, on prend le risque par exemple de s’aliéner certains musées qui préfèrent travailler avec des médias de niche. En gros, comment garder notre identité de fanzine tout en se développant sur la culture ? Ça, c’était toute notre réflexion sur toute la politique d’événements musicaux qu’on a mis en place.
IN. : on a pu voir que vous avez accompagné médiatiquement (Séries Mania, Canneséries, We Love Green) et même organisé (les concerts Out of Office Parties, trois scènes successives pour les trois dernières éditions de la fête de la musique) beaucoup d’évènements ces derniers mois. Est-ce une volonté assumée d’accélérer sur l’évènementiel et plus seulement en tant que partenaire média ?
S.D : bien sûr. On a commencé en proposant aux Nuits Sonores à Lyon et à We Love Green à Paris d’être curateur de scènes et même à des festivals comme Séries Mania de faire la programmation de la soirée d’ouverture. Le tout s’est mêlé à ma réflexion sur le fait de ne pas se limiter à la fonction de partenaire média, même si c’est évidemment important. Derrière, on s’est inscrits dans les plus grands festivals d’Europe, à We Love Green, donc, et même aux Ardentes où l’on fait de la co-programmation avec les bookers pour faire émerger les artistes que l’on a ciblés, en faisant à côté toute la direction artistique des scènes. Tout le monde est gagnant. Pour la dernière fête de la musique, et après avoir déjà organisé deux scènes pour les éditions 2022 et 2023, on a eu la chance de tisser un partenariat avec l’Institut du Monde Arabe, avec lequel on avait déjà travaillé. On s’est occupé de l’intégralité de la programmation artistique avec eux, ce qui nous plait, car nous cherchons toujours à collaborer avec de grandes institutions culturelles. À la fin, on a accueilli 30 000 personnes en turnover, soit 10 000 de plus que Bercy, de quoi nous rendre tous très fiers.
On a commencé dans l’évènementiel en proposant aux Nuits Sonores à Lyon et à We Love Green à Paris d’être curateur de scènes
IN. : d’autant plus que les retombées presse étaient très positives…
S.D : c’est super parce que pour un média, il y a toujours cet enjeu de faire parler de ce qu’on dans les colonnes de nos confrères. Souvent, les projets événementiels, liés à des institutions comme le Louvre ou les Rencontres d’Arles, attirent beaucoup plus l’œil des autres journalistes. On en est très contents, ce n’est pas du tout un jugement (rire). Je reste persuadé que la course au nombre de vues et à l’augmentation de l’audience met le risque sur la table de la dilution de l’image et surtout de la dilution de la clarté du propos par rapport à l’audience. On arrive dans un écosystème où je pense qu’on va tous être un peu capés dans notre audience et où l’enjeu sera la clarté de ce qu’on propose et nos valeurs.
IN. : peux-tu nous expliquer concrètement quelles sont tes fonctions actuelles au sein du groupe ?
S.D : moi, je dirige la communication, le partenariat et l’événementiel. On essaye également d’intégrer une partie plus « influence », c’est-à-dire identifier des artistes, des influenceurs, et autres avec lesquels on pourrait créer du contenu. Néanmoins, je ne le fais pas tout seul, évidemment. Mon travail est de porter au global cette forme de différenciation, de la raconter… tout en soulignant que nous sommes le premier média culturel des jeunes, ce qui est une responsabilité. Aujourd’hui, on a plus de 150 annonceurs et partenariats, des distributeurs de cinéma, des tourneurs, des éditeurs de livres… qui nous sollicitent chaque année pour notre encrage culturel mais aussi pour tout le travail des créatifs qui composent notre communauté. Il y a aussi une partie de mon travail qui est de faire exister la marque sur des événements B2B. C’est notre feuille de route pour 2024-2025, à savoir que Konbini est une marque média pour les jeunes, très accessible, certes, mais aussi une marque business forte. À vrai dire, quand le brand content est arrivé en France, c’était avec Konbini. Nous sommes le premier native advertiser français. C’était il y a 12 ans, on n’a jamais lâché cette expertise. Quand certaines marques, telles que Netflix ou même Canal, qui se développent via leur plateforme, ont voulu faire du native advertising, elles sont à chaque fois venues chercher des verticales éditoriales chez nous.
IN. : à ce petit jeu de « qui est le mieux connecté à la culture pop », j’imagine que dénicher les pépites, en musique ou autre, est un volet essentiel de Konbini…
S.D : c’est surtout un travail très long (rire). Initialement, c’est un travail éditorial de défrichage et de dénichage de la part de nos journalistes. Par exemple, notre journaliste Yasmine Mady, qui est spécialiste du RnB, elle a suivi Luidji – un rappeur/chanteur français qui explose ces dernières années – quand il était au tout début de son aventure et là, il fait un Bercy. C’est quelque chose qui a toujours été dans notre ADN et passe avant tout par des rencontres de nos différents journalistes venant tous de ce monde-là. Ce sont des passionnés, qui connaissent personnellement les artistes… Ça permet d’ouvrir des portes. Ensuite, on arrive facilement à entretenir nos liens avec les artistes parce qu’on est un média de format, c’est-à-dire que nous pouvons réaliser des formats pour toutes les prises de parole. On peut faire un Fast and Curious très simple, mais aussi un Trou Story qui va leur permettre de parler d’eux-mêmes ou même une interview sur des problématiques… de santé mentale, par exemple. Les artistes pourront revenir chez nous à différents moments de leur carrière. C’est hyper organique.
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