Michael Jackson a consacré un XXème siècle paradoxal. «Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson », le brillant livre de Yann Moix* démontre à quel point la star fut « l’homme à l’envers », pétri de paradoxes : adulte quand il était enfant, enfant lorsqu’il est devenu adulte, devenu blanc mais né noir… Même son moonwalk symbolisait cette ambivalence envers / endroit. Bambi fut l’homme de tous les paradoxes car il était un homme du XXème siècle. Nous ne verrons plus jamais de stars aussi binaires.
A l’image de la star défunte, le début du siècle dernier a été dominé par son côté binaire. On y a en effet côtoyé le bien et le mal (avec la Shoah), l’Est et l’Ouest pendant la Guerre Froide, le Sud et le Nord, la gauche et la droite, le capitalisme et le socialisme. Tout y était construit « anti », en noir et blanc. A partir des années 70 pourtant, les choses évoluent. La fin de siècle se construit en mélanges plutôt qu’en oppositions, à l’image des travaux du Dr Alfred Kinsey, sexologue auteur du concept de la « zone grise », cette zone frontière entre masculin et féminin, hétérosexualité et homosexualité.
Ces travaux symbolisent à eux seuls ce qui s’est joué à la fin du siècle : dans tous les domaines les incursions et les mélanges se sont multipliés : hybridation homme / machines, exploration hommes / animaux… Ultime incarnation du mélange: Barack Obama est à la Maison… Blanche. Le XXème siècle s’est terminé sur une note de gris.
Le XXIème siècle commençant a ensuite entamé une nouvelle partition avec le 11 septembre. Un moment étrange, tel que Freud caractérisait l’étrangeté en 1919 dans « Das Unheimliche » : « le malaise né d’une rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne ». Il semble que tout puisse être défini comme tel aujourd’hui. Nous sommes bel et bien entrés dans un siècle étrange, avec des épisodes récents comme celui de la crise et de la pandémie de Grippe A : autant d’événements qui ont fait irruption dans une rationalité rassurante, moderne en ce qu’elle était programmée pour réussir. Quelque chose ne tourne pas rond, et on s’en accommode.
Après le noir et blanc, couleur du binaire, et le gris, couleur du mélange, place donc à une autre couleur : le roux. Le roux est une couleur mythique : la couleur du traître, de la tentatrice, de l’étranger, du sorcier, voire du loup-garou ou du vampire. Depuis la nuit des temps, le roux est la couleur de l’étrange. Les roux ne sont pas binaires, ils ne sont pas synthèse, ils ne sont pas issus d’un métissage. Ils sont hors du champ. Ni blonds ni bruns, présents dans toutes les cultures et sur tous les continents, ils sont traqués, étudiés, ils représentent l’étrangeté absolue.
Il est intéressant d’observer que de plus en plus de roux ont fait irruption dans nos quotidiens ces derniers temps (de la chanteuse électro-pop La Roux à Nicole Kidman en passant par les travaux inquiétants de l’artiste contemporaine Marnie Weber, les mannequins de la campagne de rentrée de la marque H&M, toutes rousses…) et surtout le retour triomphal de Mylene Farmer au Stade de France… Etrange coïncidence…
Variation pop autour d’un thème… Chaque semaine, Thomas Jamet déniche dans la culture contemporaine tout ce qui résonne avec l’époque.
Thomas Jamet est directeur général adjoint de Reload, structure de planning stratégique, d’études et d’expertise de Vivaki (Publicis).
thomas.jamet@reload-vivaki.com
* «Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson », éditions Grasset
« Bulletproof » de La Roux