Après des études studieuses à Sciences Po Grenoble et HEC, Flore Vasseur s’est peut-être un temps imaginé un avenir tout tracé, mélange des aspirations de son époque et des attentes de la société. A 25 ans, elle part à New York monter une agence de communication, vit la vie rêvée de tout jeune diplômé d’école de commerce qui se respecte, à 1000 à l’heure. Et puis le 11 septembre 2001, des avions s’écrasent dans des tours, et une faille apparait : « pourquoi nous envoie-t-on des bombes », s’interroge-t-elle? C’est le début d’une seconde quête, visant cette fois à comprendre ce qui cloche chez nous occidentaux, et génère tant de violence et de ressentiment. Suivent un voyage en Afghanistan, puis un livre enquête auto-biographique (« Une fille dans la ville », Ed. des Equateurs, 2006), puis un autre (« Comment j’ai liquidé le siècle », 2011), sur la finance et encore un autre, sur la collusion entre media, politique et finance (« En bande organisée », 2013). Ses livres sont des décryptages des forces au pouvoir. La matière est noire.
Pour garder espoir, elle dresse des portraits d’entrepreneurs, artistes et activistes qui tentent de nous alerter ou proposent des « autrement ». En 2016, elle réalise un documentaire avec Edward Snowden (« Meeting Snowden »), elle veut convaincre les adultes autour d’elle de se remettre en cause. Personne ne bouge. Au même moment, son fils de 7 ans lui demande pourquoi notre planète est en danger. Elle a la réponse, comme nous tous, mais pas la solution. Alors elle se remet en route, cette fois pour aller à la rencontre de sept jeunes adultes, tous engagés à leur manière et dans leur pays pour tenter de réparer le monde de ses déchets, de ses injustices, de ses aberrations et de sa négligence. « Bigger than Us », produit par Marion Cotillard et sélectionné au Festival de Cannes sort à la fin de l’année 2021. Loin d’être l’aboutissement du projet, la sortie du film en salles marque pour Flore le début de sa deuxième mission: éveiller un maximum de consciences possibles, notamment chez les jeunes, pour qu’ils ne se découragent pas et continuent de s’engager et se battre pour le monde qu’ils veulent habiter.
Sophie Guignard: Diffuser un film au cinéma, et a fortiori un documentaire, relève déjà presque de l’exploit, tant la concurrence est intense et la fréquentation des salles faible. Comment votre film a t-il réussi à se frayer un chemin?
Flore Vasseur : Bigger than us a été programmé pendant plusieurs semaines, ce qui en soi est déjà pas mal. Si un film ne fait pas de bons chiffres pendant sa première semaine, il est pratiquement condamné. Le lancement demande donc un vrai effort. Personnellement, j’ai essayé d’assister à un maximum de représentations, parce qu’au delà du film, je voulais qu’il génère une discussion, qu’on puisse échanger avec le public sur ce qu’ils ont vu. Et puis le film a trouvé son chemin grâce aux profs de collèges et lycées, qui s’en sont emparé pour éduquer leurs élèves. Ils sont des milliers dans la France entière à avoir emmené leurs classes voir le film. Il a été vu par plus de 100 000 scolaires (et 160 000 personnes) au cinéma.
S.G.: Quel est votre objectif à présent?
Je cherche à maximiser l’impact du film. Faire un film, le diffuser, puis en faire un autre, et encore un autre ne m’intéresse pas. Je veux pousser le plus loin possible ce que nous avons fait. Le but n’est pas de combler le vide, de produire pour produire. Nous devons être frugaux, y compris avec ce genre de produits. Et puis c’est quelque chose que je dois aux protagonistes de Bigger than us, c’est la moindre des choses que je puisse faire de porter leur parole le plus loin possible. Produire le film d’après ne sert à rien.
S.G.: Quelles sont les répercussions de ton film pour le moment ?
F.V. : A sa sortie, je dois dire que je n’avais pas d’attentes. J’avais trop peur de les formuler. Mais au fond, ce que j’espérais était une vague d’émotions et de d’amour, et c’est ce que j’ai eu. Le succès de mon film n’a rien à voir avec les canons convenus du succès, dans sa version Instagram et ultra visible. Ce qui se joue avec le film se joue à portes closes, après la projection. Ce sont les réactions et les discussions qui s’en suivent qui sont fortes et formidables à vivre. Le film a un aspect très transformationnel: on n’en sort pas comme on est entré. C’est pour cela que j’insiste, autant que possible, pour qu’on le voit le, pour ensuite en parler.
S.G.: Comment le reçoivent les jeunes? Quelles sont leurs réactions en voyant votre film?
F.V. : Malgré ce qu’ils voient (des montagnes de déchets en Indonésie, des injustices insupportables au Brésil et Afrique, des migrants se noyant en pleine mer au large de la Grèce, etc.), il n’y a pas vraiment de colère. Le film en réalité ne leur apprend pas grand chose sur l’état du monde. Ce qu’il suscite en revanche, c’est un certain sentiment d’espoir. Les jeunes ne voient pas toujours ce qu’ils peuvent faire. Parfois cela les rend tristes, parfois coupables. Et puis parfois cela les galvanise. Moi ce que je voulais leur montrer, c’est qu’il y a un chemin, malgré la démission des adultes: ils peuvent faire quelque chose. Et puis se mettre à réparer quelque chose est un beau projet, cela rend plus vivant.
S.G.: Et les adultes?
F.V. : Les adultes sont davantage en colère en effet. Colère contre eux-même notamment. Et là, toute la vertu de ce film, c’est de servir de matériel de discussion en famille notamment. Et c’est tout l’enjeu. On fait l’autruche. On ne parle pas de ce qu’il nous arrive.
S.G.: Il est également de plus en plus diffusé dans des entreprises. Dans quel contexte cela a t-il lieu et qu’est-ce que cela génère?
F.V. : Déjà, il faut dire que les entreprises qui acceptent de diffuser le film sont des entreprises dont les dirigeants sont prêts à avoir des discussions parfois périlleuses, notamment sur leurs contradictions internes. La question de ce que fait l’entreprise -notamment pour l’environnement ou la justice sociale- va forcément finir par être posée. L’articulation quête de profit / quête de sens, croissance / sens, la question de la responsabilité sont partout, pour tout le monde. Si les entreprises ne l’adressent pas, elles vont se vider de toute substance. Il n’y aura plus que des machines, ou des hommes et femmes machines. Les dirigeants d’entreprises qui projettent mon film sont en général prêts à répondre à cette question, même s’ils n’ont pas toutes les réponses ou savent que c’est insuffisant. C’est une discussion courageuse à avoir et initier, car elle suppose, pour une entreprise, d’être disposée à parler de ses vulnérabilités et ses contradictions.
S.G.: Penses-tu que l’action, ou le sursaut, puisse venir des entreprises davantage que des politiques?
F.V. : Le changement a plus de chances de venir des personnes regroupées dans des collectifs (associations, entreprises) que des politiques. J’ai essayé de diffuser le film auprès des maires. Mais sincèrement, ça ne sert à rien. Les politiques sont des followers, on ne peut rien attendre d’eux. Alors que nous organisons de plus en plus de projections en entreprises, et avons par exemple eu des mécènes importants pour le film, comme l’AFD, l’EM Lyon, Chanel et Boulanger, qui nous ont permis d’en accroitre la diffusion et l’impact.
S.G.: Avez-vous vu des entreprises changer quelque chose après la diffusion de Bigger than us?
C’est un chemin qui est progressif. Mais parfois, le film peut faire pencher la balance. De fait, mon objectif pour ces 6 prochains mois est d’essayer de documenter ce qu’il s’est passé après sa diffusion, en terme d’impact et d’actions ou décisions concrètes. J’ai par exemple vu un fonds patrimonial se mettre à refuser certains investissements. L’EM Lyon, de son côté, a mis le film au programme de sa première année d’enseignement. Ce n’est pas rien, cela a un vrai impact.
Pour en savoir plus sur Bigger than us, rendez-vous sur www.biggerthanus.film.