Les exigences de transparence semblent avoir envahi tous les domaines de la société et, ces dernières semaines, c’est dans le domaine alimentaire que la notion a beaucoup fait parler d’elle. Elle fait partie des demandes des consommateurs qui sont également citoyens comme nous l’avons exploré dans nos recherches sur le secteur de la gastronomie. Il s’agit pour eux de trouver un équilibre entre le bon pour eux, un plaisir hédonique et des bienfaits pour la santé, le bon pour les autres, une dimension éthique liée à la protection des producteurs, et le bon pour la planète. Et cela sans compter avec le « bon pour le porte-monnaie ».
Alors que la confiance importe de plus en plus dans les comportements de consommation, force est de constater que tout ne va pas dans le bon sens. Le consommateur est en droit de s’interroger face au brouillage d’informations ou d’absence de clarté.
En réponse notamment à la crise agricole, des concertations se tiennent depuis le mois de mars, et jusqu’au mois de mai pour construire un nouvel indicateur signalant l’origine des produits transformés par l’industrie agro-alimentaire. Tel était pourtant déjà un objectif que se donnait en 2020 la loi Egalim. « Non-fait maison », « viande végétale », « shrink » et « cheapflation »… en attendant que les acteurs du secteurs et les autorités publiques s’accordent sur les réponses à apporter à ces différents débats, ce sont les consommateurs qui semblent devoir redoubler de vigilance.
Hostilité au « non-fait maison »
Première appellation en débat, le « fait maison ». Les consommateurs qui choisissent d’aller au restaurant veulent savoir ce qu’ils mangent. Cela vaut dans tous types de restauration, même si les clients ne sont pas toujours maîtres de leur choix, le plus souvent pour des questions pécuniaires.
Le « fait maison » renvoie à la notion d’artisan. Le label a été institué en 2014 pour mettre en avant un plat élaboré sur place à partir de produits bruts, avec de nombreuses exceptions néanmoins. Il a revisité en 2015 pour préciser le produit brut comme étant un produit non cuit ou non dénaturé. Les restaurateurs ont le droit mais pas l’obligation d’afficher cette mention « fait maison ».
Il ne semble cependant pas avoir connu la réussite escomptée. Certains restaurateurs l’ont accueilli de façon très mitigée. En 2023, une proposition de loi envisageait de rendre obligatoire l’affichage d’une mention « non fait maison » pour janvier 2024. En mars 2024, elle est abandonnée, donnant satisfaction aux syndicats de l’hôtellerie et de la restauration, des métiers et industries de l’hôtellerie, jugeant le terme « non fait maison » négatif.
Côté consommateurs, la multiplication des labels peut certes tuer la transparence. À l’heure néanmoins où les produits alimentaires sont très surveillés (qualité nutritive, quantité, traçabilité), et où le consommateur fait souvent attention à ce qu’il achète, en fonction de ses possibilités, grâce au Nutri-score, en utilisant des applications comme Yuka, les QR codes, ou même encore le très peu connu resto-score qui évalue les pratiques d’un restaurant en matière d’écoresponsabilité, la restauration, elle, garderait cette part d’ombre.
Ne serait-il pas légitime, à l’égard du consommateur, d’afficher clairement, sans pour autant stigmatiser un type de restauration ou de restaurant, ce que l’on a simplement dans l’assiette, à l’aide d’une communication positive ? Il ne s’agit pas de nier la diversité des gammes d’établissements, de leur choix de positionnement, des produits utilisés et de leur mode de préparation mais d’apporter l’information que le consommateur est en droit d’attendre.
Allers-retours sur la viande végétale
Un autre débat touche aux phénomènes de dénominations qui portent à la connaissance des consommateurs, la qualité ou la composition d’un produit, d’un plat. Les débats que suscite la « viande végétale » soulignent les sentiments partagés des consommateurs. Pour certains, cela ne pose pas de problèmes car ils savent que ce n’est pas de la viande et peu leur importe la dénomination. Pour d’autres au contraire, il s’agit d’un abus, puisque le raisonnement repose sur le fait que précisément, on ne peut pas parler de viande lorsqu’on a un produit élaboré à base d’éléments végétaux.
Si cette alimentation peut compléter l’offre et contribuer au respect de la planète voire à la santé du consommateur, l’interdiction de la dénomination « steak végétal » a été suspendue en référé par le Conseil d’État, en avril 2024, émettant des doutes sur la légalité de cette interdiction. C’est dorénavant à la Cour de justice de l’Union européenne de trancher le litige.
Les alternances entre autorisation et interdiction ne contribuent pas à la transparence dans l’esprit des consommateurs, qui en imputent alors parfois la responsabilité aux lobbys. D’autant que ces produits ne seraient interdits qu’en France sous cette dénomination. Comment le consommateur peut-il alors réagir ? Incompréhension, et les polémiques s’enchaînent suscitant exaspération, voire violence verbale, sur les réseaux.
Shrinkflation et cheapflation
Shrinkflation est le troisième terme qui interroge, et celui-ci n’est d’ailleurs pas réservé au domaine alimentaire. Ce mot-valise associe en anglais « Shrink » pour « rétrécir » et « inflation ». C’est une stratégie commerciale visant à réduire la taille ou la quantité d’un produit sans que son prix soit changé. Et là encore, le consommateur en fait les frais, car cette diminution ou réduction se fait, pour l’heure, en catimini.
Face au phénomène, Bercy a pris un arrêté obligeant les enseignes de grande distribution à indiquer, à partir du 1er juillet, les produits concernés. Devraient ainsi apparaître des mentions telles que : « ce paquet est passé de 12 à 10 biscuits et son prix au kilo a augmenté de 20 % ». Pour l’heure, la tâche incomberait aux distributeurs, mais le cabinet d’Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation, reconnaît qu’il faudrait pouvoir la faire porter aux industriels.
Si le consommateur peut comprendre ou entendre les arguments des industriels, quant à l’augmentation des matières premières et des emballages, il doit a minima être informé, et pas uniquement en tout petit sur une étiquette, des modifications apportées au produit qu’il achète. D’autant qu’il lui est souvent impossible de comparer réellement avec l’ancien produit.
Toujours en relation avec l’inflation, le mot cheapflation s’est progressivement immiscé dans les débats. Il s’agit ici de la réduire la qualité d’un produit au même prix, « cheap » signifiant en anglais « bas de gamme » ou « bon marché ». Ainsi du parmesan peut être complété par une fibre végétale souvent dérivée du bois (cellulose). Cette pratique est difficile à démasquer dans la mesure où le consommateur doit lire la composition des produits avec attention pour comparer leur évolution. Les industriels pour se justifier invoquent les difficultés d’approvisionnement et la hausse des coûts des matières premières.
Reste qu’il importe peu au consommateur, qui est directement impacté par cette modification (qualité nutritionnelle, santé, goût, prix…), de savoir finalement à qui revient ce changement (distributeurs ou industriels). Il doit savoir ce qu’il achète, ce qu’il mange et si les informations fournies sont justifiées. Si la hausse des prix conduit certains consommateurs à acheter de moins bonne qualité, en toute conscience, la cheapflation contribue à aggraver la malbouffe, et cela sans que le consommateur en soit averti.
Il reste que le consommateur est souvent impuissant face à ces informations fluctuantes (qui prennent l’épaisseur d’un mille-feuille peu comestible), pas toujours compréhensibles et souvent non transparentes. C’est bien cette non-transparence qui est gênante. Comment peut-il encore accorder sa confiance ? Il faudrait lui donner clairement la possibilité de choisir en toute connaissance de cause.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.