4 décembre 2024

Temps de lecture : 4 min

Shein et Temu s’attaquent au portefeuille des marques concurrentes grâce au marketing digital

Année après année, le Black Friday continue d’empiler les records de ventes et de stocks écoulés pour les annonceurs. Une grande messe commerciale qui lance véritablement la saison des fêtes et que les marques ne peuvent pas se permettre de négliger… quitte à s’en prendre directement à leurs concurrents.

Souvent pointé du doigts pour le capitalisme débridé qu’elles incarnent, que certains observateurs jugent anachronique au vu des problématiques environnementales de notre temps, les fêtes commerciales continuent, malgré tout, de déchaîner les passions. Le célèbre « Black Friday », notamment, qui a lieu vendredi 29 novembre dernier, fait maintenant pleinement partie du calendrier des Français… et ce n’est pas les chiffres de ce nouveau millésime qui nous diront l’inverse.

Concernant les commerces physiques, un premier bilan du « vendredi noir » était établi dès dimanche par Christophe Noël, délégué général de la FACT – la Fédération des Acteurs de Commerces dans les Territoires –, ex-CNCC : « On a compté pas moins de 12 millions de Français qui ont visité les centres commerciaux ce samedi », s’est ainsi félicité le représentant dimanche sur FranceInfo. Avant d’ajouter : « On n’est pas loin des pics des meilleurs samedis de Noël ».

Si aucun chiffre n’a pour le moment été communiqué sur les retombées économiques de l’opération pour le e-commerce en France, les data qui nous viennent d’outre-Atlantique vont clairement dans le sens d’un franc succès. Au total, 10,8 milliards de dollars ont été dépensés en ligne vendredi aux États-Unis, soit une hausse de 10,2 % par rapport à 2023. Les produits les plus prisés incluaient jouets, bijoux, appareils électroménagers et électroniques, ainsi que vêtements et soins.

Et qui dit fortes dividendes à aller chercher implique forcément des marques qui sortent le portefeuille afin de remporter la bataille de la visibilité… même quand il s’agit de mettre aux point les stratagèmes les plus douteux.

La bataille du bon mot

À ce petit jeu du plus dépensier, aucune marque ne semble disposée à aller aussi loin que Temu et Shein. Cette année, les deux géants du commerce chinois se sont d’ailleurs livrés à une bataille acharnée autour des mots-clés utilisés… par leurs concurrents. Ça parait anodin ? C’est tout l’inverse. En 2024, et depuis quelques années déjà, la majorité des achats en ligne débute par la saisie de quelques mots-clés dans un moteur de recherche… surtout dans le contexte d’un Black Friday considéré par les observateurs comme le coup d’envoi officieux de la période de shopping des fêtes.

Dans ce contexte, les commerçants rivalisent pour figurer parmi les premiers résultats de recherche, un espace hautement compétitif, en enchérissant sur des mots-clés. Plus ces mots-clés sont populaires, plus les Google, Yahoo, Qwant et consorts – même s’il n’y en a qu’un dans le lot qui fasse vraiment la différence – facturent au prix d’or le « coût par clic ». Pour vous donner une idée, cette année aux États-Unis, Temu a fortement investi sur des expressions telles que “offres Black Friday Walmart“ pour impacter directement la multinationale spécialisée dans la grande distribution… et que la marque chinoise perçoit – à juste titre – comme un rival.

Le même raisonnement a été appliqué concernant d’autres retailers d’envergure, tels que Kohls, et même la chaîne de meubles de décoration Bed Bath Beyond, selon les données de Google Search collectées par la plateforme de marketing en ligne Semrush pour le compte de Reuters.

La pression du stock

Erik Lautier, expert en e-commerce chez le cabinet AlixPartners, l’affirmait volontiers à Reuters : « C’est la jungle ici, c’est vraiment difficile ». Avant d’ajouter : « Par définition, quand le coût par clic augmente, le retour sur investissement marketing diminue. Dans certains cas, cela peut même signifier que l’opération n’est plus rentable, ce qui peut être très problématique pour les détaillants qui dépendent du marketing payant pour faire vivre leur activité ».

En ce qui concerne Shein, une marque qui propose jusqu’à 8 000 nouvelles références chaque jour sur son site, comme le rappelait Les Echos en juin 2023 – avec de tels volumes, mieux vaut écouler les stocks, en effet –, la stratégie était de rentrer davantage dans la garde-robe en misant sur les mots-clés “vêtements Walmart“, “jeans Zara“, “robes Mango“ ou encore “chaussures Nordstrom Rack“, toujours selon Semrush.

Une conséquence directe de cette surenchère sur le budget marketing de Wallmart : en à peine deux ans, le coût par clic pour les mots-clés “vêtements Walmart“ a été multiplié par seize. L’occasion pour Erik Lautier de rappeler dans l’article que les annonces payantes représentent en moyenne « entre 15 % et 30 % » des ventes en ligne d’un e-commerçant et absorbent souvent jusqu’à la moitié de leur budget marketing.

La victoire au plus agressif

Bien évidemment, ce genre d’affrontements sur le terrain du référencement ne datent pas de vendredi dernier. Le moment pour rappeler que cette technique dont nous parlons aujourd’hui est, certes, polémique mais totalement légale. Contraction en anglais de « brand » – pour marque – et « hijacking » – pour détournement –, le « Brandjacking » consiste à utiliser sur Internet le nom d’une marque bien connue pour attirer l’attention et le chaland vers une autre entreprise ou service. Un problème majeur sur n’importe quel moteur de recherche.

Ce qui change chez nos amis de l’Empire du Milieu, c’est bien le volume des mots-clés utiles à leurs concurrents qu’ils « piratent » : « Nous observons une véritable transformation dans le marketing payant », précise Olga Andrienko, vice-présidente du marketing de marque chez Semrush. « Les marques de fast-fashion surpassent désormais les détaillants traditionnels grâce à des stratégies nettement plus agressives ».

La parole aux accusés

Interrogée par Reuters, Temu a indiqué, par le biais d’un porte-parole, être attachée à la concurrence loyale et aux pratiques commerciales responsables. L’entreprise affirme maintenir une “liste de mots-clés bannis“ pour éviter de cibler directement d’autres marques. Cependant, elle reconnaît que des noms de concurrents peuvent accidentellement apparaître dans ses campagnes en raison de l’automatisation sur les plateformes publicitaires comme Google. Dans ces cas précis, Temu affirme agir rapidement pour retirer les annonces concernées.

Face à l’augmentation des coûts, certaines entreprises repensent leurs stratégies marketing et réorientent leurs budgets publicitaires vers d’autres espaces. Le géant britannique de la fast-fashion en ligne Asos a récemment lancé un programme de fidélité dans le cadre d’une stratégie visant à atteindre ses clients via des canaux plus engageants et émotionnels, tels que les cinémas et les activations avec les influenceurs.

D’autant plus qu’axer sa stratégie uniquement sur le référencement peut avoir l’effet néfaste d’attirer des clients « peu fidèles » ou « focalisés uniquement sur les prix bas », ajoute Erin Brookes, directrice du retail et des pratiques d’achat chez Alvarez & Marsal à Londres, dans l’article de Reuters. Avant de conclure : « Elles (les marques, NDLR) préfèrent désormais cibler des consommateurs à forte valeur ajoutée et miser sur des investissements plus précis ». Rendez-vous au prochain vendredi noir pour voir ce que donnent ces « belles » paroles.

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