Visiblement, en 2019 aka période post-metoo dont les ébullitions ont secoué nos terres patriarcales à la force du numérique, les mots responsabilité, respect et égalité des sexes ne font pas encore sens pour tout le monde. Avec en ligne de mire la crédulité aberrante des hommes face au sexisme subi quotidiennement par les femmes qui creuse de jour en jour le fossé de l’égalité des sexes, Ni Putes Ni Soumises prend la parole via une campagne signée Agence Marianne et Publicis Conseil.
#ÀNotrePlace : pour témoigner de la banalisation de la violence du harcèlement de rue, Ni Putes Ni Soumises glisse un homme dans la peau d’une femme le temps d’une journée. Baisser les yeux, se faire petite et éviter les regards, adapter la tenue vestimentaire au lieu de passage : des réflexes intériorisés, appris à la force d’expériences ou d’ordres des parents soucieux de la sécurité de leurs filles, qui peu à peu les effacent de l’espace public.
Un sexisme déguisé, emmitouflé, banalisé, nommé le comme vous voulez : il est un sexisme violent, inacceptable, à bannir, à transgresser. Si les us et coutumes, pratiques et vocables peuvent varier, le résultat est le même. À gauche comme à droite, dans les couches populaires comme chez les embourgeoisés, on baigne dans un sexisme quotidien et meurtrier.
Nier le sexisme quotidien produit par la classe politique dominante hommes sur le so-called Second Sexe, c’est nier la réalité du monde, les féminicides, la violence verbale, mentale, physique, la mort, et l’inégalité sur tous les plans. Alors pour faire changer de discours aux hommes et leur faire rendre compte de l’urgence et des dégâts, le collectif Ni Putes Ni Soumises inverse les rôles.
#ÀNotrePlace
En lançant #ÀNotrePlace, Agence Marianne et Publicis Conseil glissent Antoine, 23 ans, un parisien cisgenre, blanc, hétéro, lambda dans la peau d’une femme, le temps d’une journée. Robe, talons, make-up, sac à main : des codes vestimentaires propres aux attentes patriarcales du féminin respectées tout comme il faut. Un pas dehors et commence alors la déferlante écoeurante de remarques, sifflements et autres agressions sexistes relatives à la seule apparence physique du parisien déguisé.
Débrief post « expérience » comme il est dit : Antoine se dit s’être senti fragile, vulnérable, intimidé, choqué par les comportements de ses pairs. « Ce qui était important pour nous, c’est de laisser Antoine évoluer, sans script et sans consigne afin qu’il s’adapte seul à toutes ces situations » déclare Guillaume Gasquet, Directeur de Création de l’Agence Marianne et réalisateur de la campagne. « Dans son interview, Antoine évoque à quel point la posture féminine l’a obligée à être « resserré » ou « réduit » ».
Pour accompagner le film d’1min10 diffusé en TV et insister sur le propos, l’Agence Marianne imagine également un dispositif pour compter le récit du harcèlement digital en créant un faux profil féminin sur un site de rencontre. Aussi, une interview d’Antoine de 2min30 durant laquelle il fait état de son ressenti. Enfin, un chatbot disponible sur le Messenger de Ni Putes Ni Soumises permet de vous glisser dans la peau d’une femme pendant 24 heures. Bref, une multitude de formats disponibles directement sur le site http://niputesnisoumises.fr/ comme pour marteler l’incessante discrimination faite à l’égard des femmes.
Avait-on vraiment besoin de ça ?
En arriver là pour faire comprendre l’enfer d’un sexisme enraciné au plus profond des entrailles sociétales et institutionnelles ? Visiblement, tous les moyens sont bons pour toucher une audience. Une stratégie qui prend appui sur l’adage selon lequel on ne comprend pas tant que l’on ne vit pas.
Il semblerait cependant que la production soit elle aussi victime de certains codes intériorisés. En nommant la mécanique « expérience inédite », on croirait presque entendre le mot « divertissant », où les hommes pourrait en sortir avec des « waou » et des « dément ! » sans pour autant changer radicalement de comportements. Si l’idée est ici de sensibiliser, comment amener-t-elle concrètement à faire changer. Car si sensibilisation est nécessaire, pédagogie doit suivre. Sans quoi, les discours moralisateurs ne touchent pas les agresseurs.
Une prise de parole à nuancer
Aussi, en suivant le principe du travestissement et choisissant un tel attirail, le collectif s’arme des pires stéréotypes de genre et associe femme à robe, cheveux longs, sac à main : bref le kit complet de la femme cisgenre hétérosexuelle blanche et bien née. Qu’en est-il des identités queer, qui elles aussi subissent le sexisme ? Qu’en est-il du sexisme subi par les personnes racisées, qui diffère dans sa forme et ses expressions ? Pourquoi ne choisir qu’un visage à « la » femme dans cette prise de parole et pourquoi celui-ci ?
Enfin, la position victimaire des femmes dont fait part Antoine au sortir de cette journée n’aide pas franchement à donner de la voix à la puissance de ces femmes qui vivent, chaque jour, tête haute malgré le danger ambiant. Si cette campagne veut faire bouger les lignes, il faut aussi que celle-ci s’affranchisse tout à fait des injonctions faites à la cible qu’elle défend.