Lancé en 2003 par Linden Lab, Second Life avait suscité un buzz planétaire avec son monde immersif et persistant, en 3D, dans lequel les utilisateurs interagissent sous la forme d’un avatar… Une description qui ressemble fortement à ce que Mark Zuckerberg entend désormais créer, en ajoutant en plus l’immersion grâce à la réalité virtuelle.
À son heure de gloire, Second Life attirait des dizaines de millions d’utilisateurs, mais aussi des marques et des entreprises qui se ruaient sur ses terrains pour y créer une présence virtuelle… Comme aujourd’hui sur Decentraland et The Sandbox. Pour Philip Rosedale, l’intérêt actuel pour le métavers est une sorte de consécration. “Second Life a prouvé, de façon expérimentale et à une plus petite échelle que ce dont Facebook rêve, que les gens sont prêts à être présents ensemble dans un monde virtuel et à y socialiser,” estime-t-il.
Pas de solution miracle pour la modération
Avec son statut de pionnier, Second Life a fait l’expérience de bon nombre de problématiques liées aux métavers, qui ressurgissent désormais. A commencer par des limites techniques. Si les connexions, les débits et les taux d’adoption d’internet en 2022 n’ont rien à voir avec ceux de 2003, de nombreux enjeux technologiques doivent encore être résolus. “Avoir beaucoup de monde au même moment et au même endroit est toujours un défi,” relève-t-il par exemple. Autre sujet sur lequel Second Life a été aux avant-postes : la modération. Un sujet qui est encore loin d’être résolu. En la matière, Linden Lab a une certaine expérience. Pour Philip Rosedale, un système de modération centralisé, dans lequel l’éditeur du métavers joue le rôle de “gouvernement” n’est pas soutenable à grande échelle – un point déjà illustré par les difficultés de réseaux sociaux comme Twitter et Facebook en matière de modération.
que faire pour réguler les usages et créer des espaces sains et respectueux des utilisateurs ?
« Mais à l’inverse, le modèle décentralisé de la blockchain – dans lequel tout est écrit dans le code par le propriétaire de chaque parcelle virtuelle – ne peut pas fonctionner non plus », ajoute-t-il. Dans ces conditions, que faire pour réguler les usages et créer des espaces sains et respectueux des utilisateurs ? Un peu de tout en même temps… « Vous avez besoin à la fois de règles par zones et de communautés d’utilisateurs qui s’autorégulent. »
La publicité, une menace existentielle pour le métavers
Il pointe là toute la difficulté de gérer un monde virtuel, qui nécessite un travail d’équilibriste. ll faut à la fois accorder suffisamment de libertés aux utilisateurs pour qu’ils interagissent, créent et développent un écosystème, tout en plaçant des gardes-fous nécessaires, qui permettent de créer un espace rassurant, au risque de faire fuir le principal actif du réseau, les utilisateurs. Un enjeu d’autant plus crucial lorsqu’il est aussi question d’attirer des marques et des entreprises.
les entrepreneurs actuels font fausse route en imaginant des modèles dignes de Minority Report
Pour ce pionnier du métavers, les entrepreneurs actuels font fausse route en imaginant des modèles dignes de Minority Report. « En ce moment, le métavers tend à se rapprocher du modèle publicitaire : on prend ce qu’on fait aujourd’hui en publicité et on le transpose dans les mondes virtuels. Le problème avec cette vision, c’est qu’elle amplifie les problèmes que nous avons déjà avec les réseaux sociaux, mais en les empirant ! C’est une menace existentielle. Nous devons trouver un autre modèle économique, qui ne cherche pas à modifier les comportements des gens pour faire plus d’argent », argue-t-il.
Biens virtuels et micro-transactions
Second Life, lui, a trouvé son modèle économique : des commissions sur les transactions et des frais d’hébergement payés par les propriétaires de terrain. « Ce modèle nous permet de générer chaque année plus de revenus par utilisateur que ne le font Facebook, Instagram ou Youtube avec la publicité. Ces biens virtuels sont non seulement plus éthiques que la publicité, mais ils représentent aussi potentiellement un plus gros marché ! »
Second Life c’est 650 millions de dollars de transactions opérées chaque année dans le jeu
Même si Second Life est aujourd’hui très loin de son heure de gloire, 650 millions de dollars de transactions sont encore opérées chaque année dans le jeu – pour s’échanger des objets virtuels, des coiffures et des accessoires pour son avatar, etc.. Toutes ces transactions sont réalisées avec une monnaie virtuelle : le Linden dollar. Avec des montants moyens de 2 dollars par transaction, utiliser une crypto-monnaie basée sur la blockchain – ou même des paiements par carte bancaire – n’aurait pas de sens : les coûts seraient bien trop élevés.
les micro-transactions vont représenter un énorme marché
Fort de son expérience dans la gestion des micro-transactions en ligne – et des enjeux de lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent associés – Linden Lab a d’ailleurs créé une filiale entièrement dédiée à cette problématique du paiement dans les mondes virtuels : Tilia. « Nous avons inventé une économie et une monnaie numérique qui était une sorte de première expérience de crypto-monnaie,” résume Philip Rosedale. Tandis qu’il prédit: « les micro-transactions vont représenter un énorme marché« .