Selon la récente enquête « Fractures françaises » réalisée par Ipsos Sopra-Steria pour le quotidien vespéral Le Monde, 39% des sondés se disent préoccupés par la protection de l’environnement. Pas une majorité certes, mais suffisamment pour que l’environnement atteigne la deuxième place dans les préoccupations des Français, juste derrière l’épidémie de Covid-19 à 41%. Une prise de conscience qui se vascularise dans la société toute entière, de l’opinion publique aux institutions. C’est ainsi qu’à la publication de la première partie du 6ème rapport du GIEC début août, de nombreux scientifiques français qui ont participé à la compilation des études ont fait fi de la neutralité axiologique chère à Max Weber en condamnant l’inaction climatique du gouvernement. De la même manière, lorsque l’État a véhément poursuivi les décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron en 2019 afin de dénoncer l’inaction climatique du gouvernement, l’écrasante majorité des magistrats en charge des dossiers ont relaxé les prévenus au nom de l’état de nécessité issu de la crise écologique. Enfin, de nombreux ingénieurs employés ou encore en études exercent depuis quelques années une pression sur les entreprises climaticides qui ne prennent pas d’ambition climatique à la hauteur des enjeux. Ces trois signaux faibles issus de trois corporations bien distinctes cristallisent un véritable changement de mentalité.
Diffuser le droit environnemental dans la magistrature
La relaxe quasi systématique des décrocheurs des portraits Macron n’est pas le seul fait d’armes écologiques des magistrats français. Fin juin, en Ariège, vingt-et-un militants ont également été relaxés de leur action anti-glyphosate au nom de l’état de nécessité. Il faut dire qu’ils avaient tout bonnement repeint des bidons de pesticides dans des magasins de bricolage. Le même mois, l’Association Française des Magistrats de l’Environnement (AFME) était créée, première association française en la matière. Son président, Jean-Philippe Rivaud, parle d’un éveil de l’institution aux enjeux écologiques. Composée de 200 membres, l’association a pour objectif de développer une jurisprudence protectrice de la planète, mais aussi de partager les bonnes pratiques en formant les juges de l’hexagone. Cette prise de conscience fait écho aux multiples procès climatiques qui jalonnent le globe, de GroundWork en Afrique du Sud à l’Affaire du Siècle en France jusqu’à la Fondation Urgenda aux Pays-Bas. Entre 2006 et 2019, plus de 1300 plaintes relatives au climat ont été déposées dans une trentaine de pays. C’est ainsi que les États français et belge ont été condamnés tous deux en 2021 pour ne pas avoir suivi leur trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Dépasser la neutralité scientifique pour faire levier
Alors que les rapports du GIEC alertent depuis les années 90 sur le réchauffement du système climatique, le monde politique est tétanisé, pris entre enjeux économiques et lobbys industriels. Ce qui pousse les scientifiques à sortir de leur réserve, à écarter cette neutralité scientifique qui fonde historiquement leur autorité. Plusieurs membres du GIEC tentent ainsi de vulgariser les enjeux climats sur Twitter et Linkedin, n’hésitant pas à signaler les fausses informations, comme Valérie Masson-Delmotte vis-à-vis de CNEWS. D’autres condamnent directement le gouvernement pour son atonie climatique, dénonçant la condamnation abusive de militants écolos qui ne font que tirer la sonnette d’alarme. Une politisation de la communauté scientifique qui a touché son zénith en février 2020 lorsque mille scientifiques ont appelé à passer à des actions de désobéissance civile. De l’action directe devenue impérative pour préserver les conditions d’habitabilité de notre planète.
Ringardiser les entreprises insensibles au climat
Plusieurs collectifs d’ingénieurs salariés ou étudiants ont décidé de pressuriser les entreprises sans ambition climatique. Le but : noircir le tapis rouge qui mène les jeunes diplômés aux grandes industries en jouant sur les réseaux des uns et des autres. En 2018, des étudiants de grandes écoles d’ingénieurs lancent un Manifeste pour un Réveil écologique qui vise à responsabiliser leurs futurs employeurs. Avec 32 000 signataires, le manifeste s’est vite transformé en association – Pour un réveil écologique – et va désormais à la rencontre des dirigeants du CAC 40. Leur argumentaire est inébranlable : sans ambition climatique, vous raterez les talents de demain. Le collectif vise aussi à convaincre les écoles de mieux former leurs étudiants aux questions écologiques. Autre groupe moins médiatisé, les Ingénieur·es Engagé·es sont composés d’anciens élèves ingénieurs qui veulent remettre l’humain et l’écologie au centre de la technique. Conscients de l’intersectionnalité des luttes, ces derniers veulent intégrer les différents rapports d’oppression et de domination à la lutte écologique, comme en témoignent les points médias qui parcourent leur nom. Une cascade d’initiatives qui témoigne d’un puissant éveil des consciences et d’un potentiel changement dans les rapports de force entre écolos et libéraux.