12 mai 2022

Temps de lecture : 7 min

Sarah Corne (Founders Future) : “Il est désormais possible d’allier impact et rentabilité pour un investisseur ”

L’investissement à impact a le vent en poupe, signe de l’attrait grandissant des investisseurs pour les entreprises responsables, tout autant que du développement soutenu de projets respectueux de la planète et de ses habitants. Founders Future ne s’y est pas trompé en lançant Founders Future Good il y a un an, véhicule d’investissement dédié à l’amorçage des projets à impact. Rencontre avec Sarah Corne, Partner chez Founders Future.
The Good : Pouvez-vous nous présenter Founders Future ?

Sarah Corne : Nous sommes un fonds d’amorçage créé en 2018 par Marc Menasé et investissant en Seed et Série A. Nous intervenons dans les toutes premières années des entreprises, via une approche entrepreneuriale et très opérationnelle. Notre portefeuille actuel est de plus de 60 entreprises, soutenu par une enveloppe de 100 millions d’euros dans l’optique d’adresser les entreprises qui fondent l’économie du futur : le futur du travail, de la finance et de l’assurance, du bien-être, de la santé, du retail, de la mobilité et de l’alimentaire. Nous avons par exemple investi dans Yuka, Zenride et Motto (mobilité durable), Lydia, Scale (des biomatériaux à base d’écailles de poissons), Waterdrop, …

TG : Vous avez lancé il y a un an Founders Future Good. Pourquoi avoir créé ce fonds spécifique dédié à l’impact ?

SC : Notre thèse d’investissement tech et digitale ne change pas. Nous voulions en plus un fonds qui accompagne la jeune génération d’entrepreneurs plaçant l’impact au cœur de leur démarche.

Aujourd’hui, il y a beaucoup d’argent pour les deals qui sont dérisqués mais moins pour ceux qui le sont à l’image des projets à impact. Or, ces derniers ont souvent besoin de plus de fonds à l’amorçage de leur projet. Preuve a été faite ces dernières années qu’il est désormais possible d’allier impact et rentabilité pour un investisseur, à condition d’être méthodique aussi bien dans la sélection que dans l’accompagnement.

C’est pourquoi, nous discutons beaucoup avec notre écosystème de manière à comprendre et trouver les bons sous-jacents. De ce travail est né le choix d’investir dans quatre verticales à fort potentiel, qui adressent des marchés importants.

TG : Vous faites la part belle à la transition alimentaire et aux nouveaux modèles de production. Comment choisissez-vous vos investissements ?

SC : Nous nous intéressons aux révolutions à venir. Nous avons par exemple investi dans Jungle, une solution de vertical farming. La relocalisation de plantes très rares, sujettes à la saisonnalité, permet de trouver une alternative intéressante et qui ne fait pas le tour de la planète ! Avec Omie&Cie, ce qui nous a intéressé c’est la nouvelle façon de penser la consommation responsable autour de la transparence et l’accessibilité. Nous avons aussi été séduits par le modèle de référencement de leurs fournisseurs, qu’ils accompagnent dans leur transformation vers une agriculture et une production plus régénérative.

Nous venons également d’investir dans deux nouvelles entreprises liées à la transition alimentaire. La première porte sur le sujet des alternatives aux protéines, d’un point de vue écologique et nutritionnel. Il s’agit de Bon Vivant, une alternative sans lactose à la protéine de lait, avec des applications intéressantes comme le fromage, les yaourts, les glaces, le cream cheese, etc… Nous avons aussi investi dans Seafood Reboot, qui propose une alternative au poisson à base de micro-algues, et adresse ainsi la problématique de la disparition des espèces surconsommées.

Nous souhaitons soutenir par ces investissements la création de nouvelles filières.

TG : Votre deuxième axe d’investissement est le packaging responsable et l’économie circulaire ? Ce dernier sujet est vaste, comment l’adressez-vous ?

SC : L’économie circulaire est un modèle transverse à tous les secteurs. Nous abordons ce sujet en analysant où se trouvent les secteurs les plus producteurs de déchets, qui seront rapidement réglementés et qui vont donc voir émerger de nouveaux business. Le BTP et la mode sont notamment concernés par les questions du réemploi et de la gestion de la fin de vie des produits.

Nous avons investi dans la seconde main ; d’abord dans Campsider plateforme de revente d’équipement outdoor, lancée il y a un an par deux jeunes entrepreneurs et qui connaît une excellente dynamique. Nous avons également investi dans 900.care, marque de produits de salle de bain à recharger qui a émergé en 2020 sur Ulule (la campagne de collecte la plus réussie de l’année) et qui a identifié une double tendance : le réemploi et le do it yourself. Nous les accompagnons dans leur accélération du go-to-market, pour massifier une consommation, un usage, et dépasser le fait de s’adresser aux pionniers. Pour eux, l’enjeu est de convaincre que l’on peut passer au réutilisable, alors que le geste de jeter ses contenants est profondément ancré dans les usages. Nous avons aussi travaillé avec eux sur la question du packaging secondaire (en e-commerce) et en R&D pour développer des brevets des solutions utilisées.

Nous regardons aussi attentivement les sujets des biomatériaux et de la consigne à l’image de GreenGo.

TG : Vous investissez également les champs de la mobilité durable et de la santé / bien-être ?

SC : Effectivement, nous avons investi dans Motto, dont l’objectif est de rendre les vélos électriques plus accessibles par la location. Motto propose un vélo très quali, mixte, solide, accompagné de nombreux services. L’offre se lance avec 2000 vélos à Paris et bientôt dans d’autres grandes villes et à l’international. Notre deuxième investissement dans la mobilité durable est Yespark. La startup souhaite démocratiser l’usage des véhicules électriques en zone urbaine en levant le painpoint de la recharge. Yespark loue donc des places de parking de particuliers et va électrifier une partie importante de son parc.

Nous voulons aussi investir sur des questions de santé touchant les populations les plus fragiles : sujet du retour à la maison des personnes âgées, de la fin de vie, la question des aidants, des alternatives aux Ephad. Nous regardons aussi le sujet des familles monoparentales et leurs problématiques de logement, les questions de santé mentale et plus globalement tous ces enjeux de société qui viennent poser la question des modes de vie. Nous avons investi dans Sharpist, sur l’accompagnement des évolutions de carrière des salariés, la question de leur formation, du e-learning, la réduction du stress, … Notre prochain sujet sera aussi la Femtech, sur la santé des femmes. Nous avons d’ailleurs investi dans Jho, qui produit des protections féminines en coton bio.

TG : Qui sont vos investisseurs ? Quel est leur rôle ?

SC : Notre fonds Founders Future Good a été lancé il y a un an. Nous y réunissons des entrepreneurs (les fondateurs de Castalie, Change Now, La Ruche qui dit Oui), des family offices (famille Rocher, famille Houzé) et deux institutionnels (MACSF et Arkéa). C’est important d’avoir des investisseurs qui prodiguent des conseils, s’impliquent aux côtés des entrepreneurs.

Notre stratégie d’accompagnement s’articule autour de 3 volets.

Tout d’abord, le Product market fit et le go to market  : est-ce que le produit s’adresse au bon marché, comment accélérer sa stratégie commerciale – e-commerce, omnicanale-, l’animation de sa dynamique commerciale, ….

Nous les conseillons aussi dans le recrutement des talents, puisque c’est souvent après une levée que l’on recrute des personnes clés pour l’entreprise. Nous accompagnons aussi les entrepreneurs sur les sujets de mixité. C’est un point important. Nous avons 38% de femmes dans les équipes de fondateurs de nos participations.

Enfin, nous sommes très attachés à la trajectoire d’impact : les aider à piloter leur objectif d’impact positif, à s’autoévaluer, mettre en place les bons indicateurs et les aider à générer de la donnée qui permet de suivre ces indicateurs. Il est important aussi que ces jeunes entreprises, qui se développent souvent pour répondre à un aspect de l’impact (environnement, social), puissent intégrer la dimension 360° de l’impact. Nous les accompagnons pour trouver les bons outils pour faire leur bilan carbone, leur ACV (Analyse du Cycle de Vie), les accompagner à être B-Corp, réfléchir au partage de la valeur, à la constitution d’un board, etc…

TG : Référentiels comme B Corp, engagement des entreprises à mission, critères ESG, plateforme impact.gouv, ACV et bilan carbone : les indicateurs d’impact écologique et social sont nombreux. Quels sont ceux que vous regardez ? Lesquels sont à privilégier ?

SC : Quand on est investisseur en amorçage, je pense qu’il faut être pragmatique. Mieux vaut avoir peu d’indicateurs mais facilement atteignables lors de la phase de développement. Et avoir en tête les grands indicateurs pour lesquels il y aura de la donnée après quelques années d’exercice. Les indicateurs que nous regardons principalement sont la quantité de déchets évités, le nombre de litres d’eau économisés, l’engagement & le mécénat, et l’accessibilité des produits. C’est intéressant également de regarder dans un second temps, quand l’information est disponible, la progression en matière de réduction de l’impact.

Nous sommes ce que l’on appelle un fonds article 8 (fonds ESG), et à ce titre nous répondons à une bonne structure d’indicateurs, même si cela peut bien sûr être challengé. Par ailleurs, nous utilisons la plateforme Zei, sur laquelle nous avons inscrit toutes nos participations « Good ». Elles peuvent y trouver un référentiel, une base d’indicateurs, correspondant à leur secteur et à leur taille d’entreprise.

Plus une entreprise va être capable de mesurer son impact, de s’autoévaluer, plus elle va pouvoir s’améliorer dans le temps. Car le sujet principal est bien celui de la trajectoire d’impact, avoir en tête un objectif clair et mettre les moyens pour l’atteindre.

La recette est donc d’avoir des indicateurs peu nombreux mais mesurables et atteignables, et surtout de se questionner en permanence sur comment mieux faire.

TG : Dans l’investissement à impact, il est souvent question de temps long. Comment gérez-vous la dualité rentabilité à court terme / temps long ?

SC : Je crois beaucoup à l’équilibre des modèles. Pour un fonds comme le nôtre (un FPCI), notre durée est réglementée (10 ans + 2 ans). Il faut réussir à équilibrer son portefeuille entre des entreprises qui vont avoir besoin d’un temps plus long, et d’autres, comme les Marketplaces, qui doivent décoller vite, dès les 2-3 premières années.

Même sur des investissements industriels, on arrive à trouver des modèles qui, en quelques années, font la preuve de leur concept, d’une traction commerciale et d’une capacité à être rentable.

Il faut ce doux mélange entre les candidats à l’hyper-croissance et d’autres qui sont dans des logiques d’adossement à des industriels pour se développer. C’est un équilibre entre des entreprises qui vont surperformer, et démultiplier leur impact, et d’autres qui vont par exemple participer à la réindustrialisation de filières et de territoire, avec là aussi une autre forme d’impact social important.

TG : Comment justement valoriser financièrement tout cet impact social et écologique sur la société, qui est difficilement mesurable (recréation du lien social, amélioration de la santé, etc..) ?

SC : J’ai confiance en notre système : plus une entreprise crée de l’impact positif et durable, plus elle va se développer et avoir accès à des financements, plus elle va attirer les meilleurs talents. C’est certes difficile à matérialiser, mais cela renforce les marques.

Il va falloir qu’on planche tous sur la prise en compte de l’évitement des risques pour la société dans la valorisation des entreprises. Mais en attendant, nous devons continuer à démontrer que ce sont ces entreprises responsables qui performent et qui peuvent être meilleures – en termes de marque, d’influence, de performance financière – que les entreprises qui ne prennent pas en compte les questions d’impact écologique et social.

 

Cet papier est d’abord été publié sur thegood.fr

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