8 mars 2021

Temps de lecture : 4 min

Sacha Goldberger :  » Mamika a été la plus shootée des grand-mères ! « 

Il n’était pas question pour Sacha Goldberger de laisser sa grand-mère Frédérika partir en maison de retraite il y a 13 ans lorsqu’elle commence à perdre la mémoire… L’artiste, photographe Sacha Goldbeger la prend alors sous son aile pour en faire l’héroïne de plusieurs films, ouvrages, et de sa vie aussi. Super Mamika est morte la semaine dernière, à 102 ans, mais pour tous ses fans elle est la grand-mère la plus shootée de l’histoire.
INfluencia : lorsque vous êtes directeur artistique chez CLM, vous rêvez de rejoindre Gilbert Scher chez Enjoy Scher Lafarge et vous avez alors une idée un peu folle, celle d’envoyer votre grand-mère Mamika porter votre book à l’agence…

Sacha Goldberger : oui, mais je ne l’ai pas fait finalement. C’était le début de notre vie commune avec ma grand-mère, et je ne savais pas encore comment allait tourner notre histoire. En revanche, Gilbert Scher m’a engagé quand même, et lorsque je lui ai raconté mon idée, il m’a confirmé qu’il m’aurait immédiatement engagé.

IN. : comment naît l’idée de « faire travailler » Mamika ?

Sacha Goldberger : en fait, je m’étais juré qu’elle n’irait jamais dans une maison de retraite, elle avait à l’époque 85 ans, et commençait à perdre un peu la mémoire. Ma mère n’était pas vraiment d’accord pour qu’elle reste seule, alors je me suis mis à travailler chez elle avec mon équipe. Et puis en discutant avec Marco de la Fuente de ce projet de « site  Ashkenaze » autour de ma grand-mère, il m’a conforté dans le fait que le projet était bon et beau, humainement. J’ai commencé à poster des photos d’elle sur son Myspace, et nous nous sommes très vite aperçus que les gens sur-réagissaient. Il faut dire qu’à l’époque, au niveau de l’imagerie de la vieillesse, dans la publicité notamment, c’était consternant et sordide, donc découvrir une grand-mère décalée et rigolotte était totalement improbable et très frais pour le coup.

IN. : vous-vous-rendiez compte alors de la responsabilité que vous preniez, du grain de folie qu’il y avait dans cette idée de mettre en scène Mamika, et d’en prendre aussi la responsabilité ?

S.G. : en fait, dans la culture  ashkenaze, on ne se pose pas forcément cette question. On est dans la culture de la famille, de la protection de ses membres, du sentiment qu’on compte les uns pour les autres, alors pour moi c’était tout naturel. Que les choses soient claires, je ne savais pas du tout comment cela tournerait, ce que cela impliquerait dans ma vie d’homme, ni, si cela serait viable. J’y allais comme dans la vie, au feeling. Une chose était certaine en revanche, ma grand-mère avait beaucoup d’esprit, était très photogénique et adorait poser. Nos « quand-est-ce qu’on déjeune ensemble ? » sont vite devenus des « quand est-ce qu’on fait des photos ensemble ? », et de fil en aiguille, on a fait des centaines de photographies, trois livres, et des films. Notamment cette première photo réalisée avec un casque rouge doté d’une étoile… Son myspace est devenu the place to be !

IN. : n’était-ce pas vertigineux parfois ? N’aviez-vous pas l’impression de l’exhiber?

S.G. : les « plus belles années » ont été celles où elle commençait à perdre seulement un peu la mémoire, un mot par ci, un endroit par là, mais surtout, elle n’avait pas Alhzeimer, sinon toute cette histoire aurait été impossible. Au début je tentais de la remettre dans la réalité, selon ma logique, puis très vite j’ai compris que le chemin était de l’accompagner au gré de sa mémoire et de notre imagination mise en commun. Elle veut m’appeler Poupinette ? Va pour Poupinou, j’ai une éthique ! (rires), elle sera Poupinette ! Au bout d’un moment que l’on s’appelle Goldberger ou Poignée de porte n’a pas d’importance. Nous construisions ensemble un univers, auquel elle apportait ses idées, et moi les miennes ou l’inverse. C’est un peu comme de vivre avec un enfant qui vous demande quel jour on est, qui vit dans son monde, qui n’a pas le sens du temps, des distances… On croise des univers. Cela permet de jouer, il ne faut pas avoir peur, il s’agit d’amour, d’intimité, de complicité. Les trois dernières années, elle ne me reconnaissait peut-être plus, mais on s’aimait. Les mots deviennent abstraits les gestes sont là, et puis de temps en temps ce que je prenais pour des fulgurances, des phrases tellement drôles… Elle me disait avec son accent inimitable « tu es mon gars préféré »…

IN. : vous n’avez jamais eu peur de vous laisser entrainer dans une certaine folie ?

S.G. : la créativité, l’imagination c’est un peu la folie aussi… Cela me rappelle ce film, Train de vie* où pour échapper aux nazis, les habitants d’un village, sur les conseils du fou du village, justement organisent un faux train de déportation…

IN. : cette idée géniale aussi de faire de votre grand-mère une vieille super-héroïne…

S.G. : oui, aux US ce sont des Juifs qui ont imaginé les super héros. La question était de savoir comment vieillissait un super héros… Alors on a créé la série Super Mamika.

IN. : pensez-vous que cette incroyable histoire ait fait réfléchir les fans de Mamika , notamment sur leur relation à leurs vieux parents?

S.G. : oui. Je suis certain d’avoir interpellé, sensibilisé des gens, et je dis ça en toute modestie. Accompagner quelqu’un que l’on aime dans sa vieillesse est simplement humain… La folie n’est-elle pas plutôt du côté de ceux qui trouvent normal d’enfermer leurs vieux dans un lieu dont ils ne sortiront plus, où ils ne sont pas chez eux, de les confier à des inconnus ? D’avoir cette idée de construire des ghettos pour personnes âgées ?

IN. : votre grand-mère Frédérika Goldberger est morte la semaine dernière à 102 ans, que ressentez-vous ?

S.G. : à une époque je me demandais comment j’allais pouvoir la faire exister si elle mourait… Aujourd’hui je me suis aperçu que tout le monde la connaît, et c’est rassurant, elle existe partout, elle est dans des livres, chez des gens, sur les réseaux. J’ai beaucoup pleuré ces derniers jours. À 50 ans, je vais avoir mon premier enfant, dans deux semaines… Lina, mon amoureuse, dit qu’il n’y a pas de hasard…

Train de vie. 1941, dans un village juif d’Europe de l’Est. Schlomo, le fou du village, arrive essoufflé devant le conseil des sages pour leur annoncer une terrible nouvelle : les Allemands tuent et deportent vers des destinations inconnues tous les habitants juifs des shtetls voisins. Le conseil se réunit et après maintes querelles, une idée jaillit de la bouche même du fou : pour échapper aux nazis, ils organiseront un faux train de déportation !

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