Face à l’e-commerce, le centre-commercial doit placer l’expérience au centre de son offre, pour offrir un moment de vie au consommateur qui fait l’effort de quitter son ordi ou son smartphone. Un projet français de ferme pédagogique au coeur d’un espace dédié à la consommation propose un nouveau concept unique hybride et synergique. Ouverture programmée en 2020. En attendant la concrétisation (éventuelle) des promesses affichées sur papier, INfluencia a voulu comprendre cette première européenne.
En présentant début août Amazon One le premier avion de sa flotte aérienne, Jeff Bezos envoyait un message anxiogène à tous ces has been du brique et mortier : l’achat en ligne en deux clics et livraison express représente le seul avenir du commerce de masse et même de nasse, le reste ne sera vite que relique pour nostalgique rétrograde. L’excentrique patron mégalomane du géant mondial de l’e-commerce réinvente l’univers marchand avec un appétit mercantile et idéologue gargantuesque. Face à la concurrence de l’e-commerce, les centres commerciaux sont forcés de s’adapter pour apporter une réponse résidant principalement dans l’expérience.
Le consommateur qui n’appuie pas sur un bouton de smartphone ou d’ordinateur pour réaliser un achat cherche avant tout un moment de vie. Depuis quelques années des concepts novateurs intègrent donc les valeurs artistiques, sociales ou écologiques dans le processus et l’intention de consommation. Première européenne, le projet français DécouVertes invente un nouveau modèle en proposant une synergie inédite entre ferme pédagogique et magasins. « Pour la première fois un centre-commercial va donner à voir et à vivre le spectacle de la nature pour tous, y compris ceux qui n’en font pas la démarche spontanée », résume Michel Cousin, le président du groupe Sopic, instigateur d’un projet de 100 millions d’euros prévu pour être inauguré en 2020, trois ans après le début des travaux.
Comme le présente le communiqué commun de Sopic et de ses deux partenaires, les Fermes de Gally et l’agence Wilmotte, DécouVertes sera un espace d’une surface globale de 74 000 m2 avec 61 000 m2 dédiés au commerce et une ferme pédagogique de plus de 2,5 hectares, intégrant un bâtiment de 800 m2 et composée de six blocs organisés autour d’un plan d’eau et d’espaces paysagers situés à l’extérieur. D’une ferme aux animaux de 4000 m2 au moulin en passant par le pressoir, le rucher et le potager, ce centre-commercial hybride unique en France incitera notamment l’éveil sur la permaculture et l’agroforesterie, « deux composantes qui font la richesse de l’agriculture française et encouragent une évolution vers l’agriculture biologique ou raisonnée. »
Faire retrouver un équilibre à la société hyper connectée
Interrogé par INfluencia, Xavier Laureau, co-fondateur des Fermes de Gally, assure que « découVertes répond à un besoin de pédagogie autour de l’environnement mais aussi aux besoins d’une société hyper connectée qui, par le contact avec des réalités simples, retrouve son équilibre. Nous essayons d’offrir du réel, une expérience des cinq sens. Lorsqu’un enfant participe à un atelier, il repart chez lui avec le produit de sa découverte. Créer une ferme c’est avant tout marquer un territoire en lui donnant du sens et en rapprochant son visiteur d’une réalité de nature ou de biodiversité. Nous voulons être la ferme du territoire. »
Egalement sollicité, le groupe Sopic estime que s’il existe déjà certaines fermes pédagogiques indépendantes, de qualité et qui sont de véritables lieux de destination en dehors de tout lieu de consommation, intégrer la ferme au centre d’un lieu marchand, c’est offrir spontanément aux populations un tableau des richesses de l’agriculture, sur le site même de leurs achats récurrents. Le win-win est simple: d’un côté, le flux marchand contribue à la fréquentation de la ferme et aide donc la gestion d’une telle structure; de l’autre la ferme représente un attrait singulier qui implique les enseignes dans une démarche environnementale. D’ailleurs à partir d’un certain montant d’achats, les commerces distribueront des coupons d’entrée aux activités de la ferme à leurs clients.
« La réponse doit passer par l’expérience offerte en point de vente »
Sur le papier, quatre ans avant son ouverture programmée, le concept frôle le délice paroxysmique pour tout hipster consumériste en quête de déculpabilisation. DécouVertes ferait même passer Whole Foods ou Patagonia pour des apprentis sorciers de l’éco-consommation. Le concept accélère le vent de l’histoire et son intention mérite au moins pour l’instant d’exister, en attendant de confronter ses promesses théoriques à ses futures réalités pratiques. Pour bien cerner les enjeux, INfluencia a interrogé Michel Cousin, le patron de Sopic.
INfluencia: sommes nous ici dans un « flagship store » agricole dans l’esprit du « do it yourself » et du FabLab ou plutôt dans un nouveau modèle d' »urban farming » intégré aux centres commerciaux ?
Michel Cousin : DécouVertes est un nouveau lieu, hybride. Il propose en effet des ateliers dans l’esprit du « do it yourself » avec la fabrication du pain notamment. Ces initiations se renouvelleront sans cesse, au rythme des saisons. Un lieu ouvert à tous, une sorte de FabLab. Mais ici, pas d’innovation, juste une ouverture permettant à chacun de se réapproprier un savoir-faire ancestral.
IN: en intégrant la ferme dans un centre commercial, s’agit-il de rappeler le « comment on fabrique » aux consommateurs habitués à acheter sans se soucier du processus de réalisation préalable obligatoire ?
MC : Evidemment, découVertes est l’occasion de rappeler à tous comment on fabrique, mais il va au-delà puisque ce lieu a vocation à offrir le spectacle de la nature que les chalands pourront non seulement observer, mais aussi vivre et partager. Cette expérience pourra même être prolongée de retour à la maison où chacun pourra cuire et déguster le pain façonné durant nos ateliers ou le miel récolté dans nos ruchers.
IN: est-ce que les concepts aux Etats-Unis de la serre sur le toit d’un supermarché ou de la chaîne de restaurant qui ouvre sa propre ferme d’auto-approvisionnement sont des inspirations pour ce projet ?
MC : la réalité c’est que l’idée de découVertes ne m’est pas venue d’initiatives de ce type. C’est une sérendipité qui m’est venue un matin du printemps 2015 après quelques jours passés en famille avec ma soeur exploitante agricole qui a développé une ferme pédagogique et mes petits enfants émerveillés par ce spectacle de la nature. Nous avons tous partagé un moment si extraordinaire que ce fut une évidence ! Une idée bien plus pragmatique en soi. Nous n’avons pas la prétention de réinventer quoi que ce soit, mais plutôt de ramener la nature et ses valeurs à ceux qui ont oublié.
IN: comment associer les valeurs de ludisme et de pédagogique dissociées de toute transaction financière dans un espace dédié avant-tout à l’expérience d’achat ?
MC : ces deux concepts ne sont pas contradictoires, au contraire, ils peuvent se nourrir et c’est ici l’une des démonstrations. C’est la dualité de l’activité marchande et de la pédagogie qui permet de créer un équilibre. Notre modèle génère déjà beaucoup d’enthousiasme tant auprès des exploitants de la ferme, Gally, que du côté des enseignes, tous convaincus de cette complémentarité et de la nécessité d’apporter de la vie dans les centres commerciaux. Le e-commerce a lourdement pénalisé leur activité et je suis convaincu que la réponse doit passer par l’expérience offerte en point de vente. Je suis d’autant plus convaincu que découVertes est une démarche riche de sens, c’est en cela qu’il constitue un développement durable.