Le quotidien de notre enfant doit-il être étalé sur les réseaux sociaux, sans qu’il puisse avoir le moindre contrôle sur un contenu que la Toile gardera pour de longues années ? Le débat est passionnant et a fait l’objet d’études. Pour aiguiser les arguments des pros et des anti, une étudiante néerlandaise propose un nouveau type de jouets, interactifs et sociaux.
Le sujet peut animer les dîners de jeunes parents : faut-il oui ou non poster des photos de nos enfants sur les réseaux sociaux sans leur consentement ? Pour les partisans de l’exposition digitale de leurs rejetons, la Toile permet de partager et d’immortaliser des moments précieux et fugaces. Ils ne nient pas une éventuelle perniciosité mais n’y voient pas non plus une sorte d’antéchrist orwelien du respect de la vie privée. Après tout, le délestage de notre intimité quotidienne n’est plus seulement la norme mais une attente.
Pour les détracteurs des photos de bébé à qui mieux-mieux sur Facebook, Twitter et Instagram, les progénitures n’ont rien demandé. Elles se trimballeront leurs « dossiers » toute leur vie, car le web archive tout et n’oublie rien. Ils dénoncent une violation dangereuse d’une vie qui plus encore que celles des adultes consentants, mérite de rester privée.
Chacun aura son opinion et pour vous aider à affiner la vôtre, l’étudiante néerlandaise en design Laura Cornet a développé un projet qui nous a interpellés. Nous connaissions déjà l’application TweetPee de Huggies, qui permet aux chérubins de tweeter leurs parents quand l’heure du pot sonne, voilà désormais les jouets interactifs de New Born Fame. Le principe ? En appuyant sur l’une des peluches pendues au dessus de son lit, l’enfant produit un contenu social posté automatiquement sur l’un des trois réseaux concernés.
Jouer avec des peluches produit du contenu social
Bébé tire le mini coussin Facebook ? Grâce à un localisateur GPS, son statut et sa localisation sont automatiquement mis à jour. Il joue avec l’oiseau bleu ? Un tweet automatique est généré. Il fait mumuse avec l’appareil photo en mousse ? Il prend une vidéo de lui-même envoyée directement sur son compte Instagram. Enfin, s’il appuie sur la boule en peluche il prend un selfie qui sera immédiatement exhibé sur les trois réseaux en même temps.
Avec son projet disons-le un brin effrayant, Laura Cornet veut obliger les parents à justement réfléchir sur les informations qu’ils diffusent sur internet sans l’avis de leurs enfants. Chaque post intégré par chaque géniteur, constitue une data disponible et encore visible sur la Toile bien après qu’ils aient grandi. Vingt ans plus tard, un employeur peut par exemple tomber dessus. Et alors, diront les moins réfractaires ?
Instagram, symbole de la nouvelle famille dispersée
Lancée en 2013, l’application unbaby.me promettait de nettoyer votre flux Facebook des pelletées de photos de bébés postées sur le réseau social par vos amis. Filtre algorithmique symbole d’un ras le bas ou non, unbaby.me est depuis devenu Rather et ne se concentre plus seulement sur les chérubins, mais sur tout ce qui vous gène dans le fil d’actualités de votre cercle. Faut-il y voir le signe que la famille sociale a gagné le combat ? Plusieurs études commencent en tout cas à s’intéresser aux impacts sociologiques et psychologiques du partage de la vie parentale sur les réseaux sociaux.
« Nous vivons dans une époque différente, où les familles n’habitent pas nécessairement dans le même quartier, la même rue et ne rendent plus visite aux grands-parents tous les dimanches. Instagram est un très bon moyen pour eux mais pour aussi pour les oncles et le reste de la famille de suivre notre vie sans être avec nous au quotidien », raconte une mère de famille de Brooklyn, Nicole Jedinak, sur le site de la radio publique nord-américaine NPR. Comme des millions d’autres, le bébé de cette trentenaire newyorkaise fait partie de cette première génération aux empreintes digitales : leur vie entière sera exposée comme une suite de preuves sur les réseaux sociaux. A cause des explications sociologiques de Nicole Jedinak, Priya Kumar s’est intéressée à son cas.
Cela commence dès les échographies
Cette chercheuse de l’université de Michigan s’est récemment penchée sur les motivations des nouvelles mères à partager les photos de leurs progénitures sur la Toile. Pour Priya Kumar, « l’empreinte digitale commence dès les échographies que gardent les parents. Ensuite, les images postées sur Facebook fournissent une vision unique pas seulement de la transition vers la maternité, mais de la relation mère-enfant. »
Revenons donc à la question suscitée par Laura Cornet: après tout si nous laissons l’enfant prendre ses propres décisions sur ce qui peut être diffusé ou non, ne restera-t-il de lui que des selfies flous? En attendant une possible commercialisation de son New Born Fame, l’étudiante des Pays-Bas admet un possible intérêt des consommateurs pour un tel produit mais envisage les interactions dans le cercle familial. Le contenu généré par ses jouets resterait donc privé.
Benjamin Adler / @BenjaminAdlerLA
Rubrique réalisée en partenariat avec ETO
Découvrez le projet de Laura Cornet : New Born Fame