A l’aube de la reprise, Sup de Pub rencontre Caroline Darmon, Directrice RSE Publicis Groupe en France, VP Commission RSE de l’AACC – Membre du CPP pour parler pub, éthique et nouveaux enjeux liés à un contexte de société post-épidémique.
Christèle Boisseau-Potier : l’éthique et la pub, ça donne quoi aujourd’hui ?
Caroline Darmon : « La publicité a toujours été bousculée, montrée du doigt mais elle a toujours été aussi le reflet de la société. Et en terme de règles éthiques, nous avons également toujours été régulés par l’ARPP, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité. A la base, éthique et pub ne sont donc pas séparés. Et aujourd’hui ce qui change surtout c’est que, poussés par des consommateurs connectés et de plus en plus engagés, nous nous devons de représenter une société plus durable, plus écologique, plus solidaire… à leur image. En tous cas c’est ce qui se passait avant la crise que nous vivons. On ne sait pas ce que cela va devenir dans le futur mais je suis positive.
En effet, une récente étude a montré que les entreprises jugées les plus responsables sont celles qui ont le mieux résistées en bourse et une autre que plus des deux tiers des Français attendent une relance verte ! On verra si on tient bon, on verra notamment en termes d’économie, mais j’ai bon espoir. Regardez ces élans de solidarité, jamais autant de personnes ne se sont senties autant investies ! C’est bien pour les associations qui ont le plus grand investissement en la matière et qui arrêteraient sinon du jour au lendemain.
C.B-P. : les marques peuvent-elles du coup tout se permettre ? Peut-on rire de tout par exemple sous couvert de faire passer un message ?
C.D. : le plus compliqué à gérer est l’humour car c’est très subjectif. Là encore, l’ARPP joue un rôle, important avec les règles sur l’image, le respect de la personne et la lutte notamment contre les stéréotypes féminins. Pour notre part, nous avons chez Publicis toujours été très vigilants sur ce point-là. Et pour moi il y a un test très simple à faire si il y a un doute sur l’humour dans la publicité : la soumettre à plusieurs personnes. Soit tout le monde rit et on est bon, soit une ou plusieurs personnes sont mal à l’aise, auquel cas c’est qu’il y a un problème et que ce n’est pas de l’humour, c’est très clair. Et puis si la pub sort et qu’elle gêne certaines personnes, il y a le Jury Déontologique de la Publicité qui peut-être saisi par le consommateur et qui tranchera. Sur la lutte contre les stéréotypes, c’est un un combat très important et la prise de conscience dans l’ensemble a eu lieu, les agences jouent le jeu. Si l’on regarde le dernier bilan de l’ARPP image et respect de la personne, on peut voir que la très grande majorité des campagnes qui sont « retoquées » ont été réalisées directement par des annonceurs et non par les agences.
C.B-P. : n’arrive-t-on pas à un système un peu trop « verrouillé » de fait ?
C.D. : absolument pas, cela évite les faux pas ! L’ARPP fonctionne plutôt bien en France. Et une fois encore, si la communication que vous présentez est drôle et que tout le monde la trouve drôle, alors c’est bon. L’imagination, la création n’est pas castrée parce qu’il y a régulation, et sa fonction 1ère reste d’être au service de l’efficacité publicitaire.
C.B-P. : que doit retenir un étudiant en pub en termes d’éthique actuellement ?
C.D. : pour moi, ce que doit retenir un étudiant tient en trois mots : transparence, clarté et véracité. Si les publicités des étudiants n’ont pas ces filtres, alors 100% d’entre elles ne seront pas éthiques.
C.B-P. : agences, annonceurs, distributeurs, qui doit porter l’éthique en premier ?
C.D. : si l’on se trouve dans ce trio, la responsabilité 1ère est celle de l’agence. Définitivement. c’est notre rôle de conseil de proposer, recommander des publicités qui soient responsables à tous niveaux : message, forme et même production car produire des campagnes c’est créer des impacts environnementaux et sociétaux et donc s’en soucier pour les diminuer au maximum.
L’idée principale est de ne pas induire le consommateur en erreur. Mais à la fin c’est toujours l’annonceur qui décide. Néanmoins, devant une défiance vis-à-vis des entreprises de la part des Français qui n’a jamais été aussi élevée, aujourd’hui porter des discours responsables soutenant des actions réelles elles-mêmes responsables devient une nouvelle norme pour être préférée et choisi pour un consommateur qui a compris que son acte d’achat était également un acte citoyen.
Ce qui est compliqué, surtout pour les engagements RSE, Responsabilité sociale des entreprises, ce sont les marques qui veulent aller trop vite et dire trop de choses qui ne sont pas basées sur des actes concrets. Le consommateur ira vérifier et c’est prendre un risque incommensurable de bad buzz si les choses dites ne sont pas vraies. Et après, reconstruire une image de marque prend un temps monstrueux ! Du coup c’est notre rôle à nous agences de conseiller pour faire de la transparence, la clarté et la véracité nos mots d’ordre du quotidien
C.B-P. : RS et éthique font-ils bon ménage ?
C.D. : c’est plus compliqué ! Car pour le coup, tout le monde peut communiquer sur les RS, les agences ne sont pas les seuls acteurs ! Et les règles déontologiques qui gèrent notre discipline ne sont pas observés par tous, loin de là. Si on prend l’exemple des influenceurs, quand on regarde le dernier observatoire du marketing d’influence de l’ARPP, même si des progrès sont notés, encore 12% des contenus des influenceurs n’indiquent pas clairement le partenariat avec une marque et 33% sont améliorables… Et là, on parle toujours de confiance entre les Français et les marques et si la transparence n’est pas au rendez-vous avec les influenceurs, la défiance continue de grandir.
C.B-P. : il faut se méfier de la communication influenceurs ?
C.D. : on peut travailler avec les influenceurs bien sûr ! Surtout que c’est un peu compliqué aujourd’hui d’oublier les réseaux sociaux ! Mais ce qui est fondamental c’est de choisir des influenceurs en fonction de la cible, des objectifs de communication et surtout en adéquation avec les valeurs de la marque. Sinon la discension est trop forte et les consommateurs comme les followers sont perdus.
C.B-P. : pouvez-vous nous parler de la RSE aujourd’hui dans le monde de la pub ?
C.D. : quand on regarde dans d’autres pays, en Europe nous ne sommes pas si en retard que cela. C’est un vaste sujet il est vrai, avec une multitude de problématiques qui peuvent effrayer mais c’est passionnant ! Les agences se sont mises sur le tard à la RSE et le mouvement s’est accéléré depuis un an et demi. Soit les agences, comme Publicis, ont anticipé cette révolution environnementale et sociétale (après la transformation digitale des entreprises) ; soit le cas le plus fréquent : les clients eux-mêmes ont poussé leurs agences dans ce domaine. Chez Publicis par exemple, dès 2015 Publicis Conseil s’est doté d’un département RSE dédié permettant d’accompagner la transformation RSE de l’agence. Peu à peu, il s’est développé, on a abordé la RSE d’abord en interne auprès de nos collaborateurs puis ensuite, parce qu’on était légitime pour en parler, on a accompagné nos clients dans leur propre transformation RSE. Et aujourd’hui, 5 ans après, quasi toutes les entités de Publicis France sont désormais dotées d’un référent RSE qui, appuyé par les directions et soutenu par des collaborateurs engagés, ont entamé la transformation RSE de leur agence
C.B-P. : de nouveaux métiers en relation avec la RSE se profilent donc ?
C.D. : définitivement ! Chez les annonceurs, de nouveaux métiers apparaissent, cela va du chef de projet RSE jusqu’à l’expert RSE avec des problématiques bien particulières : RH, mission handicap, reporting RSE, diversité… Tout s’accélère en ce moment, ce qui va donner lieu en effet à une multitude de nouveaux métiers !
Et en agences, il faut avoir la double casquette RSE, et en interne et en externe, connaître les enjeux de la communication responsable comme les sujet RSE dans de nombreux domaines pour accompagner nos clients qui eux doivent aussi bien traiter de gaspillage alimentaire, que de recyclage de leurs emballages en passant par la diversité de leurs collaborateurs…C’est d’ailleurs ce qui est passionnant quand on est en agence, la variété des sujets RSE à aborder et connaître. Et chez Publicis on est bien lotis ! Nous avons la chance d’avoir de nombreuses marques et entreprises dont certaines très importantes. Si elles vont dans le « bon sens », comme Carrefour par exemple, c’est un challenge passionnant de les accompagner dans leur transformation RSE et voir des changements marquants s’opérer dans la société ! »