7 février 2022

Temps de lecture : 4 min

« La technologie logistique d’Amazon est dépassée », Renaud Heitz (Exotec)

Après des études aux Mines ParisTech et au célèbre MIT près de Boston, Renaud Heitz a co-fondé Exotec en 2015 avec Romain Moulin, un de ses collègues chez General Electric. Ce fabricant de robots pour les acteurs du e-commerce est devenu au mois de janvier la toute première licorne industrielle française. Sa levée de fonds de 335 millions de dollars menée par Goldman Sachs et ses actionnaires historiques 83North et Dell Technologies Capital a permis à sa capitalisation de de franchir le cap symbolique des 2 milliards de dollars. Une étape importante dans la courte histoire de cette start-up qui double son chiffre d’affaires chaque année…
INfluencia : Comment deux collègues de GE décident de se lancer dans la conception et la fabrication de robots pour les entrepôts de logistique ?

Renaud Heitz : L’événement qui a fait tilt dans notre esprit a été le rachat par Amazon de Kiva en 2012. Nous travaillions avec Romaindans la robotique pour General Electric et quand on a vu le géant de l’e-commerce s’implanter dans ce secteur, nous nous sommes dits que nous pourrions peut-être faire quelque chose de notre côté. Notre réflexion s’est encore accélérée lorsque Amazon a décidé en 2015 de ne plus commercialiser les robots de Kiva afin d’être le seul à pouvoir les utiliser dans ses entrepôts.

IN : Concurrencer Amazon ne vous semblait pas un peu ambitieux ?

R.H. : Les robots d’Amazon fonctionnent sur un modèle en 2D et ne vont pas plus haut que la taille humaine. Notre idée était de créer un système en 3D capable de grimper à douze mètres de hauteur. Romain est le mécano et moi, le « softeux ». Nous avons commencé par faire une mission de « product market » afin de vérifier qu’il existait bien un marché pour notre concept. Nous nous étions fixés comme challenge de nous rendre dans au moins un entrepôt par semaine et nous avons été surpris de la manière dont nous avons été très bien accueillis par les sociétés que nous visitions car nous étions là pour leur poser des questions et non pas pour leur vendre un produit ou un service. Nous avons vite réalisé que notre offre pouvait changer la donne dans la logistique car notre système permettait, sur le papier, de stocker cinq fois plus d’articles sur un même espace et de collecter cinq fois plus de produits dans les rayons que lorsque des employés font du picking avec leur caddie.

IN : Quand êtes-vous passé du concept à la pratique ?

R.H. : Lorsque nous avons décroché notre première commande ! Nous nous sommes lancés en vendant des présentations sur PowerPoint car nous n’avions aucun produit fini. Cdiscount a été la première entreprise à nous faire confiance. Ils nous ont demandé de créer pour leur entrepôt de Bordeaux un système comprenant six robots. Ce premier test nous a ensuite permis de décoller très rapidement car beaucoup d’entreprises voulaient voir de visu notre modèle avant de faire affaire avec nous.

IN : Qui sont les clients qui vous ont fait confiance ?

R.H. : En France, Cdiscount, Carrefour, Decathlon, E.Leclerc et Monoprix notamment. Nous comptons aujourd’hui 30 clients et équipons 50 entrepôts dans le monde.

IN : Que représente l’international pour votre société ?

R.H. : L’export a généré l’an dernier 75% de notre chiffre d’affaires qui a atteint 100 millions d’euros. Pour nous lancer à l’international, nous avons fait le choix de participer à des salons professionnels. En 2019, nous avons été la première entreprise non-allemande à remporter le prix du meilleur produit au LogiMAT de Stuttgart. C’est durant ce salon, qui réunit tous les grands acteurs de la logistique, que nous avons aussi rencontré des dirigeants du géant japonais du textile Uniqlo. Ces cadres ont tout de suite été intéressés par notre offre car nous sommes les seuls à proposer un système totalement flexible. Il suffit d’ajouter des robots pour augmenter le volume de produits traités. Cette souplesse intéresse beaucoup les acteurs de l’e-commerce. Avec Uniqlo, nous avons commencé par équiper une de leur plateforme aux Pays-Bas et ils nous ont ensuite demander de les aider sur certains de leurs sites au Japon. Aux Etats-Unis, nous travaillons beaucoup avec Gap.

IN : Ouvrez-vous des filiales dans les pays où vous vendez des robots ?

R.H. : Nous avons opté pour un modèle hybride afin de nous développer plus rapidement. Nous avons ouvert des locaux à Atlanta pour le marché nord-américain qui comptent déjà 25 collaborateurs. Nous avons un nombre de salariés équivalent au Japon et nous employons dix personnes dans nos locaux munichois. Parallèlement, nous signons des partenariats avec des sociétés pour lesquelles nous devenons leur fournisseur. Nous formons leurs salariés dans l’université que nous avons ouvert juste à côté de notre usine dans le nord de la France afin qu’ils apprennent à vendre et à maintenir nos produits tout en maitrisant la gestion de leur projet.

IN : A quoi va vous servir votre nouvelle levée de fonds ?

R.H. : A poursuivre notre développement à l’international car nous avons besoin de recruter dans les pays que nous visons avant de pouvoir signer des contrats. Nous comptons aujourd’hui 370 salariés et nous prévoyons d’en employer 600 d’ici la fin de l’année. Le recrutement est le plus grand défi qui nous attend car nous devons trouver des personnes qui ont le sourire et l’énergie pour continuer l’aventure avec nous. Nous cherchons de nombreux profils spécialisés notamment dans la R&D, le manufacturing, la vente et la gestion de chantier. Notre levée de fonds va aussi nous aider à étendre notre gamme de produits car nos clients ne veulent plus acheter des robots mais des systèmes complets qui comprennent à la fois des robots mais aussi des logiciels qui permettent de gérer la chaîne complète de logistique. Aujourd’hui, nos plus grandes installations sont capables de traiter 10.000 articles par heure grâce à 400 robots mais nous devons aller encore plus loin.

IN : Cela fait quoi d’être une licorne ?

R.H. : C’est une fierté mais cela ne représente qu’une étape sur notre chemin. Pour Romain et moi, passer le cap du milliard de dollars de chiffre d’affaires est plus important que de voir sa valorisation atteindre ce niveau. Il y a en effet beaucoup de liquidités actuellement sur les marchés et cela accroît la valorisation des sociétés. Nous avons toutefois réalisé que le statut de licorne représentait une grosse reconnaissance pour nos équipes. Nous ne pensions pas que ce titre serait aussi important pour eux.

IN : Quelle est la marge de progression de votre société ?

R.H. : Elle est très importante. Si nous parvenons à maintenir notre rythme de croissance actuel, nous devrions atteindre les 200 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022 et le milliard dans quatre ans. Le marché mondial de l’automatisation des entrepôts atteint aujourd’hui 60 milliards de dollars et il pourrait franchir le cap des 100 milliards dans trois ans.

IN : Ne craignez-vous pas la concurrence ?

R.H. : La technologie d’Amazon est aujourd’hui dépassée. Ses entrepôts sont toujours équipés de système à hauteur d’homme et pour gagner de la place, le groupe coule du béton et construit plusieurs étages dans ses hangars mais cette solution est moins efficace et flexible que la nôtre. On voit, à l’inverse, des start-ups en Israël, en Chine et aux Etats-Unis qui commencent à proposer des solutions comparables aux nôtres mais elles ont trois ans de retard sur nous. Pour ne pas nous faire rattraper, nous avons bien conscience que nous devons continuer à nous développer très rapidement et c’est exactement ce que nous faisons.

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