IN. : vous avez été nommé directeur de création de l’année par le club des DA ? Fierté ?
Rémi Babinet : j’aime bien l’idée que je n’ai pas oublié de savoir faire mon métier. J’ai beaucoup d’activités, c’est passionnant, et le centre de tout ça reste toujours la création, son pouvoir de transformation, son pas de côté, sa capacité à accélérer. Je suis un créatif qui continue à vouloir être reconnu par ses pairs. Cela reste un graal, je prends donc cette nomination comme un honneur. Exactement comme la première fois où j’ai eu l’honneur de figurer dans le livre du Club des DA comme jeune concepteur-rédacteur.
IN : à écouter « les gens de la profession », vous seriez dans l’immobilier… et la politique… Votre version des faits ? Vous êtes toujours parmi nous ?
R.B. : vous me donnerez les noms… 😉 Pour un gars qui est dans l’immobilier ou dans la politique je ne me débrouille pas trop mal en pub. BETC a remporté cette année le titre de meilleure agence européenne de l’année aux Eurobest. Elle est agence de l’année aux prix Effie et agence de l’année au Club des directeurs artistiques. Par ailleurs c’est vrai que je n’ai jamais pensé qu’on se donnait les meilleures chances d’être un très bon publicitaire en n’étant obsédé que par la pub. Je n’arrive pas à n’avoir qu’une seule obsession, ça tombe bien c’est moins ennuyeux et c’est encore plus agréable quand elles s’enrichissent entre elles. Ceux qui connaissent bien l’agence savent qu’elle a trouvé sa force et son développement grâce à des gens très ouverts et engagés aussi dans d’autres champs que la publicité stricto sensu. Ces connexions multiples dans d’autres sphères de la société ou de la création sont clé pour apporter les bonnes réponses, la bonne sensibilité et la bonne vitesse à nos clients aujourd’hui.
IN. comment s’organise aujourd’hui le navire BETC ?
R.B. : le navire ! Oui, il s’agit bien d’art de la navigation dans des temps plutôt agités. La tristesse a été cette année de voir le bâtiment des Magasins généraux à quai avec très peu de gens autorisés à venir y travailler, alors qu’il avait été construit pour nous rassembler et nous emmener loin. Et dans un monde beaucoup plus ouvert que celui que nous avons traversé cette année ! Malgré l’attachement que nous avons pour ce lieu qui est aussi un bel outil de travail, nous nous sommes réunis autrement, et avec une efficacité qui m’a sidéré. Mais nous avons hâte de nous retrouver tous autour de la même table, on est faits pour travailler comme ça, en se croisant à l’improviste, en dehors des petites cases violettes de teams. Le désir et le plaisir peuvent disparaître assez vite, on peut fonctionner parfaitement en s’emmerdant parfaitement ! Cela n’a jamais et ne sera jamais notre projet. J’attends la réouverture de l’agence et des bistrots avec impatience. Et évidemment celle de la cantine !
Les Magasins généraux, dont l’activité est basée beaucoup sur des expos et des festivals a été plus affecté par la crise que l’agence. Je me rappellerai longtemps notre dernière exposition, BAN ¬—réunissant 11 photographes invités à répondre à la question : « qu’est-ce qu’être au ban, à côté des autres ? » et conçue avec le Redstar— : je l’ai inaugurée et fermée le même jour, c’était le début du premier confinement, il y a plus d’un an. Nous allons reprendre ces activités-là en juin si tout va bien.
IN. : Bertille Toledano et Mercedes Erra sont-elles les porte-paroles du groupe ? Les hommes de BETC sont-ils volontairement « absents » de la scène pub-médiatique ?
R.B. : vous faites bien de poser la question. Ce n’est pas volontaire de notre part, elles nous ont interdit de prendre la parole 😉 Plus sérieusement, il n’y a pas d’organisation de la parole dans l’agence et tout le monde peut s’exprimer quand il a quelque chose à dire. Personnellement je n’aime prendre la parole que quand je suis sûr d’avoir fait quelque chose d’intéressant, ce qui n’arrive pas tous les quatre matins, et je me porte très bien quand je ne suis pas dans la lumière. Pour finir, dans un milieu qui est réputé très macho, je ne suis pas frustré que ce soit des femmes qui parlent pour la profession, au contraire.
IN. : le dernier coup porté par Trump, suite de quatre ans d’insultes faites aux humains, est selon vous l’affaire d’un seul homme, ou la partie immergée d’un iceberg populiste rampant au quotidien, qui peu à peu trouve ses figures emblématiques, dans beaucoup de pays ?
R.B. : ce n’est évidemment pas l’affaire d’un seul homme même s’il a donné au populisme un caractère plus spectaculaire. Il s’agit clairement d’un phénomène social et occidental mondial issu de la montée d’une classe déshéritée qui trouve de nouvelles voies, et de nouvelles voix en l’occurrence, et surtout, qui flirte avec l’anti-démocratique. C’est simplement, il me semble, le résultat presque mécanique de la montée des inégalités. Cela va donc rester une crise persistante si les choses ne changent pas. La difficulté restant d’expliquer pourquoi la plupart du temps les électeurs votent aussi facilement contre leurs intérêts économiques. Le 1er avril, le FMI dans un rapport sur les finances publiques, a rendu une ordonnance, et ça n’avait pas l’air d’un gag, qui disait crûment : « une autre vaccination mondiale s’impose d’urgence : une injection d’égalité pour tous. »
TOTAL NE VA PAS PASSER AU SOLAIRE DUJOUR AU LENDEMAIN, ET SA TRANSFORMATION ELLE-MÊME EST UNE FORME DE DÉVELOPPEMENT INTÉRESSANT À COMMUNIQUER
IN. : l’époque pique, fait mal, les spécialistes parlent de révolution, de profonde mutation… et de crise sociale et économique majeure. Comment selon vous résoudre cette équation chimérique ? Comment les métiers de la communication peuvent contribuer à l’améliorer, alors qu’ils sont décriés par la convention citoyenne et autres détracteurs ?
R.B. : ces métiers ne sont pas décriés pour les bonnes raisons. Il faudrait séparer le métier, son utilité d’une révolution de la communication en cours qui me semble préoccupante et dont il n’est pas responsable. On pourra revenir sur ce sujet car je considère que c’est une question plus urgente que le fait de savoir s’il faut réduire l’affichage en ville ou arrêter de faire de la pub pour les voitures. Il y a eu beaucoup de caricatures, comme d’habitude lorsqu’on parle de publicité, lors des débats autour du projet de loi sur le climat et de son volet concernant la pub. Discuter de la réglementation de la publicité pour les produits les plus impactants pour le climat me semble normal. Mais attention aux ligues de vertu qui diabolisent la publicité. On ne va pas transformer le monde d’un coup de baguette magique, le temps de transformation reste un temps fondamental à considérer. Et dans cette perspective la consommation—même si on en fait le procès— ne peut pas être jugée uniquement du point de vue du consommateur, il faut prendre en compte aussi les emplois qui sont en jeu dans les entreprises. Total ne va pas passer au solaire du jour au lendemain, et sa transformation elle-même est une forme de développement intéressant et utile à communiquer. La publicité a toujours été le porte-voix, ou le signe le plus visible de la société de consommation telle qu’elle est. Les interrogations sur le fonctionnement de cette société montant en flèche, il est normal que les attaques redoublent et c’est toujours plus simple et plus spectaculaire de s’en prendre aux avocats qu’aux clients. Cela ne m’empêche pas de dormir. Je considère que continuer à bien faire mon métier est une obsession respectable. A la fois parce que c’est le rôle historique de la publicité d’aider au développement des entreprises, de faire savoir ce qu’elles offrent et parce que cela m’amuse et m’intéresse dans la compétition générale de trouver les formes les plus créatives et les moins intrusives pour pousser en avant mes clients.
IN. : la communication doit évoluer en termes de messages, de compréhension des publics. La tech et ses innombrables outils, réseaux, solutions ne sont-elles pas pour l’instant en train de prendre le pas sur la création ?
R.B. : dans la tête d’un directeur des achats sans aucun doute. Ce sont eux qui de plus en plus arbitrent le choix des agences de communication par les annonceurs. Ces outils dont vous parlez sont théoriquement modélisables et quantifiables, un vrai bonheur pour un patron financier. Très rassurant ! La création elle, n’a jamais été rassurante. Comment faire confiance à la création et aux idées quand il arrive qu’on puisse trouver une campagne en deux secondes mais aussi qu’on puisse chercher pendant deux mois sans trouver. Difficile à processer ! La partie essentielle de notre métier reste un artisanat, c’est ce qui le rend si précieux et si actuel.
Je comprends que les annonceurs, dans l’état de stress général, aient du mal à résister aux sirènes de l’automation et du process. Mais ce n’est pas la partie de la publicité qui m’intéresse le plus. Langage et automation n’ont jamais fait bon ménage pour moi. La publicité est un langage, le commerce une relation, un discours, un charme. Pas vraiment raisonnable quand on est un bon commerçant, de prendre le risque de ne passionner personne !
Comme le disait de manière frappante Benoit Devarrieux : « depuis les années 80, mi-effrayés, les clients aiment dire à propos des créatifs qu’ils ont fumé la moquette. En 2020 les clients pleureront car les robots ne fument rien. »
Nous sommes en 2021 ! Heureusement l’avenir prend toujours des chemins imprévisibles. On voit bien que ce sont les messages eux-mêmes, leur sens, leur forme et leur impact qui continuent à faire la différence et à creuser les écarts entre les marques. Même si c’est vrai qu’aujourd’hui on entend davantage la voix des fournisseurs de tuyaux et de systèmes que celle des créateurs de fluides. Est-ce que la tuyauterie intéresse vraiment les gens ? Surtout quand elle déborde de messages moches et répétitifs ? Personne n’a envie d’être dérangé pour rien. Chacun voit très vite le peu d’art et d’attention sincère que ces systèmes déploient pour le convaincre.
IN. : vous parliez de révolution de la communication…
R.B. : oui, ce qui me frappe, et qui n’est pas si souvent dit, c’est qu’un aspect important de la mutation dont vous parliez prend la forme d’une révolution ou d’une crise de la communication, ce qui est pareil. Le développement du capitalisme sous sa forme la plus actuelle s’appuie principalement sur les nouvelles technologies de communication. Et dans ce développement plus il y a de gens connectés, plus les plateformes sont prospères. Dans cette nouvelle histoire où nous participons tous « joyeusement » au développement de ce nouveau capitalisme, l’évolution de la publicité a été sidérante. Si je caricature, aujourd’hui, en laissant ses traces partout, gratuitement, chacun contribue à sa manière à la fabrication des futurs messages ou futures pubs qui seront censés lui plaire. Nous sommes tous en quelque sorte les employés volontaires et non-payés d’un nouveau fonctionnement publicitaire. Le corollaire de ce fonctionnement c’est la plupart du temps une dégradation de la qualité des messages, remplacée par la précision et la récurrence de la connexion. Le marché va dans ce sens. Le combat de l’ « ancienne » industrie de la communication est désormais de capter une partie du marché de ce nouveau fonctionnement trusté par les GAFAM, de garantir une meilleure protection de la circulation des données et une créativité plus grande des messages. Combat titanesque !
Je crois que ces questions sont les plus importantes aujourd’hui dans la transition qui s’amorce. La connaissance du client a toujours été la base de la création publicitaire. Mais un nouveau mode publicitaire a tendance à s’imposer qui propose une nouvelle manière de faire du commerce, plus automatique, plus déshumanisée, plus prédatrice de données. Qu’est-ce qu’on en pense ?
LES RÉACTIONS QUASI-AUTOMATIQUES AUX PIQÛRES DE L’ACTU UNIFORMISENT LA NATURE DES MESSAGES
IN. : qu’est-ce que la création publicitaire aujourd’hui ? A quels critères doit-elle répondre ? Quels ressorts utiliser alors que les citoyens sont gavés d’informations, de messages, (2000 par jour) comment faire émerger la com des marques ?
R.B. : une première piste : aujourd’hui la communication digitale est inondée d’images et engendre peu de mots inoubliables. Je crois au retour de l’écriture dans la communication digitale, au retour de la finesse, de la nuance, du plaisir d’écrire. L’écriture est sans doute le meilleur marqueur qu’il y a quelqu’un derrière l’écran, qui vous parle. D’innombrables messages que l’on reçoit aujourd’hui semblent n’émaner de personne. On ne sait pas si ce sont des robots qui les envoient, les écrivent, les composent. On est loin de l’engagement, de la sensibilité, de la surprise ou de l’humour qui font la bonne création et le bon commerce. Ce manque d’égards est particulièrement douloureux dans l’espace exigü d’un smartphone, notre nouvel espace de communication. Les défauts prennent un relief monstrueux, il y a un effet de loupe, la mauvaise qualité de la publicité devient gênante et encombrante comme jamais.
Il y a aussi un autre point important mais ça demanderait du temps. Je pense que pour bien communiquer on n’est pas obligé d’être constamment dans l’actualité ou d’y réagir. Les marques qui arrivent aussi bien à s’en extraire qu’à s’en nourrir sont les plus fortes. Les réactions quasi-automatiques aux piqures de l’actu uniformisent la nature des messages. Ce qui est le contraire de la publicité efficace.
Enfin, je pense qu’aujourd’hui la création publicitaire peut prendre de nombreuses formes qui ne se limitent ni aux media traditionnels ni au digital. La communication peut passer par de l’influence, une édition, un objet de design, une conférence, un festival, une exposition… L’activation d’une marque peut prendre plein de formes. Même dans nos expérimentations des Magasins Généraux, nous proposons aux marques d’autres voies. Dans le festival Futures of Love, Tinder, marque qui a révolutionné l’univers amoureux, a préféré prendre la parole au travers d’un événement artistique, festif et prospectif accessible au plus grand nombre et très amplifié sur les réseaux sociaux, plutôt que de communiquer au travers d’une campagne publicitaire plus traditionnelle.
LA SOLUTION VIENDRA DU RAPPORT QUE LES CITOYENS, LES CONSOMMATEURS ET LES ÉTATS SAURONT ENTRETENIR AVEC LES MÉGA-MARQUES DIGITALES, ENTRE AUTRES, LES GAFAM.
IN. : pensez-vous comme certains que les marques ont un rôle majeur à jouer, plus que les politiques, comme s’il y avait un déplacement des pouvoirs ? le politique étant souvent jugé comme étant impuissant à résoudre le dilemme actuel, consommation-pollution-écologie-biodiversité-climat ?
R.B. : ce n’est pas leur rôle en tout cas. Et ce serait assez effrayant. Je pense par contre qu’elles peuvent par la communication de leur transformation, accélérer un peu le mouvement général. Une bonne communication sur ce sujet, même si elle peut paraitre quelquefois assez décalée par rapport à la réalité, peut avoir un effet d’entrainement. C’est d’ailleurs souvent le rôle de la communication d’avoir cette vertu performative.
Au-delà de ça je pense encore une fois qu’une bonne partie de la solution aux problèmes que vous évoquez se trouve dans le rapport que sauront entretenir les citoyens, les consommateurs et les états avec les mega-marques digitales dont on parlait tout à l’heure, disons pour caricaturer les GAFAM… Quel sera le rapport de force ? C’est intéressant, puisqu’on parle de communication, et inquiétant à la fois, de voir que ce sont les plus grandes marques de communication mondiale qui ont pris le pouvoir. Leur capitalisation boursière représente je crois près de la moitié du Nasdaq et trois fois le CAC 40. Pas mal ! On a eu une illustration extraordinaire de ce pouvoir avec l’épisode Trump ! Qui avait le pouvoir ? Facebook et Twitter après avoir libéralisé à l’extrême, sans règles partagées et claires, ce qu’on pouvait dire et faire, ont réduit de manière aussi extrême, et d’un seul coup dans le cas de Trump, la liberté d’expression. Ces enjeux de communication sont énormes aujourd’hui dans la résolution des crises que nous traversons : circulation de l’information, recherche de la vérité, hyper-connexion addictive, marchandisation de la connexion sont des paramètres majeurs du débat mondial actuel sur l’avenir de la planète.
IN. : si faire de la pub c’est créer le désir, comment le faire actuellement alors que tout est « interdit », que nous sommes comme « interdits » ou empêchés par la même occasion ?
R.B. : c’est vrai, vous l’avez remarqué, on ne se marre pas tellement et on n’a pas le droit de faire ni de dire grand-chose. La publicité a toujours avancé sur un terrain archi-réglementé mais là on bat des records. Malgré tout, je crois que c’est un devoir pour une agence de création de surprendre et de trouver de la lumière à travers l’obscurité des normes et des réglementations. Quelquefois on y arrive. Il faut rester frais et agile en toutes circonstances. Ce que nous avons fait pour Bouygues récemment est un exemple de ce qu’il faudrait toujours se préparer à imaginer chaque matin. Une réplique de notre film de Noël avait vexé les ostréiculteurs du Morbihan qui ont donc déversé des kilos de coquilles d’huîtres devant la boutique Bouygues Telecom de Lorient. Nous avons modifié le film et rebaptisé presqu’instantanément la boutique de Lorient « Bhuîtres » pour quelques jours, en invitant les ostréiculteurs à vendre leurs huîtres sur le perron. Et créé l’opération « une coque – une bourriche », les passants pouvant repartir avec des huîtres et une coque de téléphone. Tous les bénéfices ont été reversés aux hôpitaux de France.
La dureté des réglementations pousse aussi la publicité à rechercher sans arrêt de nouveaux formats. C’est ce qui rend le métier très intéressant aujourd’hui.
IN. : la communication responsable peut-elle passer par l’humour ?
R.B. : évidemment ! Je ne dirais pas qu’elle doit, mais la plupart du temps elle en tire profit. Nous sommes tous confrontés aux problèmes d’adaptation dans notre vie quotidienne. Le sujet est de ne donner de leçons à personne et de trouver le ton. Nous avons fait récemment une campagne pour Leclerc qui met en scène des gens en train d’essayer de consommer plus responsable, avec toutes les difficultés et les situations drôles que ça entraîne. : ceux qui ne comprennent rien au tri sélectif, ceux qui se lancent dans la fabrication de savon maison etc… Ça me parait être une bonne manière de traiter le sujet.
Je pense aussi à Patagonia, toujours assez forts pour communiquer de façon différente sur l’écologie ou la politique. L’année dernière, ils avaient écrit au verso de leurs étiquettes de shorts « Vote the assholes out » pour encourager au vote contre les climatosceptiques.
UNE AGENCE RESTE UNE VERSION AUGMENTÉE DE LA CATÉGORIE « ENTREPRISE ». UNE SORTE DE VERSION SPORTIVE, SURVOLTÉE DE L’ENTREPRISE
IN. : si vous aviez 20 ans aujourd’hui, iriez-vous taper aux portes d’une agence ?
R.B. : honnêtement oui, même si les conditions sont dures car l’époque est dure. Je considère qu’une agence est un endroit extraordinaire où on peut apprendre presque tout. Quand on est créatif, on a le plaisir de toucher à peu près tous les genres d’expression, tous les sujets. On y apprend la rigueur et la décontraction. C’est très compétitif. On y apprend à écrire, à ré-écrire, à parler, à présenter, à clarifier, à trancher. Fondamental. On y apprend aussi à apprendre, ce qui est vital aujourd’hui.
J’ai eu la chance de connaitre deux agences : une qui m’a déniaisé et formé, BDDP. L’autre que j’ai formée, avec mes deux associés Mercedes et Eric. Pour moi une agence reste une sorte d’entreprise exceptionnelle, une version augmentée de la catégorie « entreprise ». Une sorte de version sportive, survoltée de l’entreprise.
Si je ne devais retenir qu’une chose, ce qui fait pour moi la valeur et la qualité d’une agence, c’est la capacité à émettre un point de vue fort et efficace. C’est ce que racontait Martin Sorrel à propos d’un de ses collaborateurs qui revenait dans le groupe WPP après avoir été débauché par un cabinet de consultants. Intéressé par ce qui avait pu l’attirer chez ces consultants en vogue il l’interroge : « Alors, c’est quoi la différence entre eux et nous ? » et son collaborateur répond : « chez les consultants, tout commence par « The fact is.. », chez les agences, tout commence par « I think that is.. ».Cette frontière éclaire la recomposition actuelle de tout le marché de la communication. Une bonne agence pensera toujours que les puissantes possibilités offertes par l’analyse des data sont fantastiques mais qu’elles ne remplaceront jamais un point de vue éclairé.
AU SUJET DU GRAND PARIS : SENTIR DE MANIÈRE TRÈS PALPABLE ET QUELQUEFOIS TRÈS BRUYANTE, QU’UNE PROMESSE EST ENTRAIN DE SE RÉALISER EST ENTHOUSIASMANT…
IN. : un sujet qui vous tient à coeur autant que la création… Le Grand Paris… Son guide, qui d’ailleurs sera disponible dès demain dans toutes « les bonnes librairies »…
R.B. : un investissement de cœur. Et un peu plus ! Quand nous avons emménagé à Pantin au bord du Canal de l’Ourcq, nous n’avions qu’une notion très vague de ce projet appelé Grand Paris et qui est le futur de Paris. Pourtant en nous installant là nous mettions un pied dans le futur Grand Paris. Ce n’était plus Paris et ce n’était pas la banlieue non plus. C’est un sujet qui s’est renforcé pour moi de trois manières. J’ai accepté la présidence du Fonds de dotation du projet culturel du Grand Paris Express, nous avons ouvert les Magasins généraux avec une exposition sur les Grands Parisiens dans le cadre du mois de la photo du Grand Paris et nous avons très rapidement conçu et réalisé le premier guide des Grands Parisiens dont la deuxième édition sort cette semaine dans toute l’Europe. Ce projet de guide a été mené conjointement par les Magasins généraux et les deux fondateurs du media Enlarge Your Paris, Renaud Charles et Vianney Delourme, qui par ailleurs organisent des balades à travers ce territoire sur le tracé des futures lignes du Grand Paris Express.
Avec ce guide, ce qui nous semblait intéressant c’était d’accélérer la perception de ce nouveau territoire en formation en s’affranchissant de toutes les contraintes administratives, politiques etc… qui bloquent sa définition. Il n’est pas simple à saisir car il est à la croisée de trois échelles : Paris, la Métropole du Grand Paris et l’Ile-de-France. Nous avons voulu faire une sorte de carte mentale de ce futur en créant et baptisant 10 grands quartiers selon des logiques géographiques, historiques ou culturelles. En plus des 300 adresses distribuées selon les thématiques habituelles des guides (Culture, Art de vivre, Plein air, Manger, En famille, Dormir) on peut découvrir une nouvelle cartographie qui gomme la frontière physique et psychologique entre Paris et la banlieue. Pour vous donner quelques grands quartiers il y aura par exemple l’HyperMuseum (du centre Pompidou au château de Saint Germain en Laye), Le Delta (l’Est Grand-Parisien, entre la Seine et la Marne), ou encore la Forêt Enchantée qui comprend la forêt de Fontainebleau et le Parc régional du Gâtinais… C’est à la fois un guide culturel et touristique d’un territoire très actuel, et aussi une première idée du futur de Paris, les première lignes du récit d’un Grand Paris en construction !
Et je vous garantis qu’il est en construction ! Il suffit de venir aux fêtes de chantier que les équipes du Grand Paris Express organisent à chaque arrivée d’un tunnelier pour mesurer l’intérêt et l’engouement pour ce projet qui va transformer Paris. Je pense que sentir, de manière très palpable et quelquefois très bruyante, qu’une promesse est en train de se réaliser, est enthousiasmant. C’est suffisamment rare aujourd’hui pour que ce soit précieux, surtout à cette échelle titanesque puisque ce sont 68 nouvelles gares et nouveaux quartiers autour d’elles qui vont sortir de terre.
Pour vous donner une idée, lors de la première fête de chantier, sur celui de Fort d’Issy-Vanves-Clamart, des ouvriers travaillaient sur une dalle de béton colossale — 60 mètres de long, 40m de large, 1,5 m d’épaisseur : elle pèse 7000 tonnes, l’équivalent de la tour Eiffel. Sur celui de Champigny, j’ai assisté sous une pluie battante et devant 4000 personnes du quartier à la descente dans un trou gigantesque de la roue de coupe d’une tête de tunnelier tout aussi colossale, marquant symboliquement le début du creusement du premier tunnel du nouveau métro.
Au-delà de son échelle, je trouve passionnant qu’au cœur de ce projet de transport il y ait un projet artistique et culturel original et ambitieux. Il faut avoir en tête qu’historiquement les premiers réseaux de métro dans le monde ont souvent témoigné d’une exigence remarquable de qualité artistique et esthétique, avec l’intervention de créateurs de référence. La société du Grand Paris met la même exigence au cœur de son projet, avec une équipe de direction artistique et culturelle très forte, autour de Jose-Manuel Gonçalvès et de Manifesto.
IN. : n’est-ce pas simplement là aussi, qu’une question de communication ?
R.B. : c’est intéressant cette question sur la communication ! On n’en sort pas ! 😉 Ce qui m’intéresse beaucoup là-dedans justement, en termes de communication, c’est qu’il s’agit de l’image de Paris ! Et que cette image reste jusqu’à présent magnifiquement figée dans les traits de l’architecture Haussmannienne et du Métropolitain. C’est d’ailleurs impressionnant de noter à quel point la folle ambition des premiers bâtisseurs du métropolitain en 1900 continuent à façonner l’esthétique de Paris, son image en France et dans le monde. Ces sujets grand-parisiens, qu’ils soient ce projet culturel autour du futur métro, une nouvelle appréciation du territoire avec le guide ou les festivals grands-parisiens que nous organisons avec les Magasins généraux sont évidemment aussi des sujets de communication ! J’ai donc l’impression d’être dans mon rôle et dans mon savoir-faire quand sur des sujets aussi importants que l’image de Paris, j’essaie d’aider à ma manière. L’idée en cours de formation d’un nouveau Paris m’intéresse énormément. Et devrait intéresser aussi bien le monde économique que le monde culturel. C’est le début de cette idée que nous sommes venus chercher et construire à Pantin. Essayer de commencer à changer, à notre niveau, l’image dans laquelle le monde entier voudrait enfermer Paris : une capitale magnifique et immuable, où l’on est sûr de faire une rencontre inoubliable avec le passé. Mais où l’on ne serait pas sûr de croiser le futur. Nous rêvons d’un Paris plus grand, grand comme peuvent l’être New-York, Londres, Sao Paulo ou Shanghai.
IN. : cela signifie t-il que vous avez un « profil politique » et si oui comment le vivez-vous ?
R.B. : si par politique vous entendez, prendre sa part dans la vie et l’avenir de sa cité, oui. Et je le vis très bien. Et n’en déplaise à ceux qui diabolisent la publicité, c’est une des raisons qui me rendent fier d’avoir créé cette agence et d’avoir réussi à élargir son spectre d’activités.
IN. : est-ce le fait d’être à la tête de BETC qui vous a mené vers ce sujet du Grand Paris, où y êtes-vous attaché naturellement ?
R.B. : cela s’est fait progressivement mais rapidement, c’est le résultat d’une série d’engagements et d’actions de l’agence. S’impliquer dans la vie du territoire de la Seine Saint-Denis a été le premier pas évidemment, car c’est un territoire d’avenir par excellence pour le Grand Paris de demain. Le siège de BETC est devenu un centre de création grand-parisien ouvert au public, et qui a rassemblé dès le début plusieurs acteurs de la création. Nous nous sommes ensuite rapidement engagés dans des évènements culturels, des projets d’édition (Guide des Grands Parisiens), des prises de position et nous participons au développement de pas mal de projets et lieux Sequano-Dyonisiens (les Grandes-Serres de Pantin, les Ateliers Médicis, le Red Star…).
Le fait que l’agence ait gagné il y a un mois la communication des Jeux Olympiques et Paralympiques a beaucoup de sens pour moi aussi dans le cadre de tous ces engagements grand-parisiens. 100 ans après les derniers jeux parisiens — c’est un peu comme le Métropolitain — je crois que le projet Paris 2024 est lui aussi un de ces projets puissants et concrets qui peuvent redonner confiance en l’avenir et recréer de l’enthousiasme. La Seine Saint-Denis aura aussi un rôle très important dans la réussite de ces jeux.
Deux éléments étaient au cœur de ce projet dès l’origine : proposer une carte inédite du territoire s’affranchissant des frontières administratives et notamment de la barrière physique et mentale du périphérique ; et faire un guide par, pour et avec les habitants du territoire, rebaptisés alors pour la première fois « Grands Parisiens » et participer à dessiner progressivement une identité grand-parisienne.
Les Magasins généraux et Enlarge your Paris sont également à l’origine de la première « signalétique grand-parisienne » installée dans les rues de Paris en 2019 et 2020 : des panneaux à destination des piétons et cyclistes pointant vers des destinations situées outre-périphérique pour les mettre en valeur auprès des parisiens et des touristes.
Avec cette nouvelle édition du Guide des Grands Parisiens les deux partenaires poursuivent leur collaboration et continuent de faire rayonner le Grand Paris même au-delà des frontières avec le lancement cette année d’une version anglaise de l’ouvrage, The Greater Paris Guide.
Enlarge your Paris, media de référence sur le Grand Paris :
Média local indépendant lu par près de 200.000 lecteurs par mois, Enlarge your Paris explore le Grand Paris depuis 2013 avec une attention particulière pour la culture, l’écologie, l’économie sociale et solidaire et les loisirs. Pour mieux faire connaître le territoire à ses lecteurs, Enlarge your Paris organise également de nombreux événements comme les randonnées urbaines le long des futures lignes du Grand Paris Express, les Rencontres de l’agriculture urbaine ainsi que la Transhumance du Grand Paris en 2019. enlargeyourparis.fr
Les Magasins généraux ou comment collaborer avec des marques différemment :
Les Magasins généraux sont un centre de création ouvert au public, fondé par l’agence BETC en 2016, et qui participe à l’énergie et à l’émergence du Grand Paris.
Convaincus que la culture et la création ont le pouvoir de relier les gens les uns aux autres, les Magasins généraux développent de nouveaux contenus culturels avec des créateurs de tous horizons : artistes, designers, architectes, musiciens, danseurs, chefs cuisiniers…
Ces différents projets peuvent associer des marques à travers des partenariats inédits. Les Magasins généraux sont en effet animés par l’idée d’inventer de nouveaux objets de communication pour celles-ci, fondés sur l’expérience, l’évènementiel, l’édition, la production de projets culturels et sur une collaboration renforcée avec les créateurs contemporains.
C’est ainsi que le Guide des Grands Parisiens n’existerait pas sans le soutien de Grands Partenaires engagés pour le Grand Paris. Qu’ils soient acteurs de l’énergie, de la logistique ou de la mobilité, publics ou privés, ils participent tous au rayonnement et à l’importance de cette métropole en construction.