“Il était une fois”… une histoire contemporaine et pourtant révolue. Je suis né et j’ai grandi dans une époque qui laissait à penser que l’on pouvait bénéficier de l’assurance quasi systématique de “faire mieux” que la génération d’avant, de profiter d’un ascenseur social qui pouvait nous permettre de voir plus grand, plus loin.
“Il était une fois”… Cette phrase nous parle, à toutes et à tous. Elle ouvre la narration des histoires qui forgent nos identités et nos perceptions depuis le plus jeune âge. Les récits sont des éléments à la fois fondateurs et constitutifs de notre rapport au monde. En fondant les individus qui composent les sociétés, ils fondent les sociétés elles-mêmes. Parce qu’il répond à un certain nombre de besoins naturels de l’humanité, et notamment ses besoins d’appartenance et de reconnaissance, le récit justifie la contribution des individus au monde et influence la manière dont ils s’engagent et se présentent à lui, ainsi que leur propension à coopérer et interagir.
Mais est-ce toujours vrai ? L’absence de perspectives induites par un avenir troublé (crises climatiques et systémiques, retour de la guerre aux portes de l’Europe, etc.), ainsi que le phénomène de défiance dans les institutions, les entreprises et les médias, ont émoussé la forme fédératrice des récits traditionnels.
Les nouvelles générations n’ont pas connu cela : elles sont nées dans un monde où les notions de rareté et de finitude irriguent le discours public. Elles connaissent cependant l’immédiateté de l’information fournie par les moteurs de recherche. Ce rapport désormais très personnalisé à l’information porté par Internet et les réseaux sociaux et l’absence d’objet politique commun faisant l’unanimité, ont participé au morcellement des sociétés en micro-communautés rassemblées autour de micro-récits.
Le “il était une fois” des nouvelles générations n’est donc plus le même que celui des générations précédentes. Le hiatus des récits traditionnels avec le contexte actuel les rend désormais inopérants. Ils ne répondent plus à ce pourquoi ils ont été conçus : transmettre et perpétuer une histoire, une somme de savoirs et de connaissances, et offrir la capacité d’agir. D’autant plus dans une société marquée par la défiance des français face aux médias, aux entreprises, aux institutions.
Responsabilité et récit
Il est désormais temps d’ouvrir une nouvelle page, une page faisant place à un récit à la fois réaliste et soutenable, porteur de sens. Un récit responsable, utile et authentique, à la fois porté par les nouveaux “raconteurs” d’histoire, les médias et les marques.
Les nouveaux usages, nos manières de consommer l’information, nos rapports aux technologies d’une part, et les évolutions sociétales, conjoncturelles ou structurelles, de l’autre, nécessitent la révision de ces récits (notre manière de les adresser, de les construire et de les déployer), ainsi que l’histoire qu’ils contiennent. Ces modifications profondes concernent l’ensemble des professionnels de l’information et de la communication, qu’ils et elles soient journalistes, directeurs artistiques, communicants, chargés de projets événementiels, concepteurs-rédacteurs, Community Managers, podcasters ou autres.
A eux de réintroduire de la cohérence et à accompagner la compréhension nécessaire et préalable à toute action fondée, mais aussi la direction à suivre, dans un monde où les anciens repères sont devenus caducs. A eux également de restaurer la confiance, pilier indispensable pour refaire société. Il affleure également une autre idée : celle de la vision du futur que nous souhaitons faire advenir, c’est-à-dire matérialiser. Les récits que les créateurs de contenus (journalistes, communicants, créatifs…) doivent désormais contribuer à écrire ne peuvent se construire que selon une approche responsable, prenant en compte les aspirations fortes en matière de transparence, de véracité, d’authenticité et de RSE.
Quant à l’histoire déroulée, elle ne saurait être hors-sol mais au contraire, s’attacher prioritairement à répondre aux besoins existants plutôt que d’en créer de nouveaux, en cohérence avec les limites révélées du monde dans lequel nous vivons, et construite sur des faits sourcés et vérifiés.
C’est ainsi que ces nouveaux récits se situent à la convergence d’une vision suffisamment désirable pour embarquer le plus grand nombre, sur le principe du plus grand dénominateur commun, et d’une approche soutenable de l’histoire, dans le respect du vivant.
Car c’est bien ici que se situe l’obligation morale de ces professionnels déjà en exercice comme en apprentissage : puisque le récit est un instrument puissant qui a fait ses preuves, il induit une responsabilité. Et celle-ci est au moins autant de “répondre de” que de “répondre à”, conscients de l’impact de ces récits sur la sphère réelle et les comportements.
Éthique du récit et évolution des acteurs du secteur
Il ne faut pas prendre “les récits pour des lanternes”, mais plutôt pour des boussoles, quand les grilles de lecture et d’interprétation d’alors ne sont plus valables. C’est pourquoi l’élaboration des récits doit s’inscrire dans une éthique. Le cadre de cette éthique est en grande partie donné par la fin de l’histoire à laquelle on souhaite parvenir, puis par l’utilisation faite par les différents outils auxquels on recourt et non par la fascination de ces outils (la fin, toujours la fin !).
Or, nous n’avons plus la même manière de construire, déployer et consommer l’information. C’est pourquoi les acteurs de la formation à la création de contenus à destination des médias et des marques, dont l’IICP fait partie, doivent, eux aussi, évoluer. Il en va de la pérennité de ces métiers, mais aussi de leur légitimité.
Née il y a plus de 30 ans, l’IICP a connu, à ses premières heures, le contexte qui fut le mien, celui du début de mon parcours professionnel puis de ma maturation ! Aujourd’hui, pour continuer à accompagner les communicants, les créatifs et les journalistes en devenir, nous avons à dessein choisi de refonder l’identité de l’école. L’IICP devient Narratiiv, comme une référence ouverte à la prégnance de former à la maîtrise de nouveaux récits médiatiques responsables. Sans renier le passé, en témoigne le double “i” et la préservation des fondamentaux originels de créativité et de professionnalisation. Ce changement de nom s’accompagne d’un parti-pris autour de l’innovation pédagogique, autour de l’IA et de la confiance dans la technologie, dans le renforcement du “travailler ensemble”, dans la mise en place de parcours “à la carte” ou bien encore d’un programme de formation autour du savoir-devenir. Avec son positionnement fort autour de “maîtriser le récit, maîtriser le média”, Narratiiv renforce également ces choix d’enseignement autour de l’évolution des besoins et des devoirs des médias et des marques, avec un point de vigilance sur l’authenticité et la véracité. Ainsi que sur l’utilité. Car un récit n’est utile que s’il est utilisé.
Par Jean-Luc Letouzé, directeur de Narratiiv, école de communication, journalisme et création